A quelle période votre constat s'applique-t-il exactement ? Une sortie précoce de la maternité, aussitôt après l'accouchement, n'induit-il pas un moindre accompagnement susceptible d'accentuer les difficultés éprouvées par la mère ?
Pr Jacques Dayan. - La période à laquelle je faisais référence s'étend du début de la conception à environ un an du post-partum.
S'agissant des sorties précoces de la maternité, nous avons des présomptions mais pas d'études. Pour être clair, nous n'en savons rien.
Professeur Manuel Bouvard, chef du service universitaire d'hospitalisation pour enfants et adolescents au CHU de Bordeaux. - A mon tour de vous remercier de pouvoir échanger avec vous sur un aussi vaste sujet. D'un point de vue lexical, il existe deux acceptions de la précocité selon qu'on la considère par rapport à l'âge ou par rapport au parcours de soin. À quel moment le diagnostic doit-il intervenir à partir de la question de l'alerte ? Il faut s'intéresser au parcours à partir du moment où quelqu'un commence à s'inquiéter. Souvent les parents sont les premiers à s'inquiéter ; parfois, ce sont les enseignants ou les personnels de la crèche. Il importe de repérer les signes avant-coureurs depuis la crèche jusqu'à l'école primaire. Au fur et à mesure que l'enfant grandit, le nombre de partenaires augmente. Cela renvoie d'ailleurs également à la question de la formation. À quel moment le diagnostic doit-il est posé ? Et qu'est-ce que le diagnostic ?
En psychiatrie, nous travaillons beaucoup avec des outils de diagnostic basés sur des comportements observés et la validité des diagnostics est fondée sur des démarches, d'où le nécessaire délai qui s'écoule entre l'inquiétude manifestée et l'identification d'une problématique impliquant des interventions. S'agissant de la santé mentale des mineurs, il faut bien différencier le repérage, éventuellement du dépistage, et du diagnostic. Entre l'alerte et le diagnostic, il faut bien sûr que le moins de temps possible s'écoule. Globalement en France, quelle que soit la pathologie de l'enfant ou de l'adolescent, nous connaissons des délais beaucoup plus longs que ceux des autres pays européens. L'un des enjeux est de rendre lisibles les parcours de soins dans un contexte marqué par les inégalités territoriales et la réorganisation territoriale.
En second lieu, le diagnostic doit devenir un outil de communication. Or, il nous faut harmoniser nos pratiques. Il est frappant de constater à quel point la diversité des trajectoires ne correspond pas à la diversité des problématiques. En d'autres termes, une même situation peut impliquer, en fonction du contexte, des trajectoires différentes, qu'il s'agisse de problématiques de développement, comme par exemple le TDAH ou l'autisme, ou d'autres problématiques comme la maltraitance. Cela renvoie à l'enjeu d'égalité d'accès aux soins.
Cette hétérogénéité se retrouve également dans la formation des psychiatres. À titre d'exemple, la question des troubles comportementaux fait l'objet de quatre heures d'enseignement sur les quinze ans d'études. Les futurs médecins généralistes ne reçoivent qu'une heure de cet enseignement. La formation initiale de l'ensemble des acteurs du champ médical et médico-social pose ainsi problème. La formation initiale et continue des coeurs de métier est importante. Les familles font souvent face à des avis contradictoires. Cela pose la question de l'harmonisation des pratiques, qui doit passer par la formation. La pédopsychiatrie est un champ de la médecine et un champ de la psychiatrie où la recherche, notamment sur le développement du cerveau comme l'épigénèse, permet aussi d'envisager la mise en place de nouveaux soins.
Je suis très heureux qu'une mission comme la vôtre se penche sur la santé mentale des mineurs. Le terme de mineur renvoie surtout à une notion juridique. Il faut prendre en compte la continuité entre le bébé, l'enfant, le jeune adulte, le moins jeune adulte, etc. On a longtemps considéré qu'il fallait séparer les phases de l'existence depuis la naissance jusqu'à la vieillesse. Or, la question de la continuité est posée : que va devenir un enfant, dont le diagnostic est posé dans sa petite enfance, lorsqu'il atteindra trente ans ? J'ai pu mesurer, à l'issue du suivi de certains patients sur au moins vingt ans et en qualité notamment de chef de pôle du centre hospitalier Charles Perrin, l'importance de la continuité des soins. L'un des enjeux en termes d'offre de soins aujourd'hui est de répondre à la question des transitions. Un enfant âgé entre deux et quatre ans dispose autour de lui d'instances comme les crèches qui sont autant de partenaires, avant que ne se pose la question de la scolarisation vers l'âge de cinq-six ans. Paradoxalement, ces phases de transition sont des phases de rupture, en matière de prise en charge, de soins et de capacité d'accompagnement.
Enfin, le partenariat avec les familles reste un enjeu majeur. Les projets, y compris au moment du diagnostic et ensuite pour l'accompagnement, doivent être travaillés avec les familles, autant dans l'annonce que dans le travail. Les familles ne doivent pas être laissées de côté. C'est un enjeu culturel important. Pendant trop longtemps, une forme de séparation entre le milieu médical et les familles s'est imposée, confinant à une sorte de vision manichéenne. Or, les familles sont partenaires du diagnostic et c'est d'ailleurs grâce à elles que peut être maintenue la continuité des soins. Il faut que les professionnels que nous sommes entendent ces familles pour les accompagner.
On retrouve d'ailleurs ce sujet de la continuité de la prise en charge en matière de protection de l'enfance.