Intervention de Olivier Dauger

Mission d'information Méthanisation — Réunion du 30 mars 2021 à 16h30
Audition de représentants d'organisations syndicales agricoles — Audition de Mm. Olivier dauGer administrateur en charge des questions climatiques de la fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles fnsea christophe chatet membre du conseil d'administration des jeunes agriculteurs georges baroni responsable de la commission énergie de la confédération paysanne et alain sambourg représentant de la coordination rurale

Olivier Dauger, administrateur en charge des questions climatiques de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) :

Merci monsieur le président, je vous remercie d'avoir créé une mission d'information sur la méthanisation. C'est une filière nouvelle et comme toute filière nouvelle, il est nécessaire de définir un certain nombre d'éléments, notamment de présenter ses objectifs et d'en débattre. Vous avez déjà reçu plusieurs personnes lors de vos précédentes auditions et vous disposez de nombreuses informations. Je vais m'efforcer d'apporter un regard un peu différent.

J'observerai tout d'abord que si nous ne répondions pas à vos trois questions principales, nous ne pourrions pas envisager le développement de la méthanisation dans de bonnes conditions.

Le réchauffement climatique a évidemment un impact sur l'agriculture, d'abord en termes de dates de récolte, mais surtout, depuis cinq ou six ans, en termes d'impact économique, avec plusieurs accidents climatiques, comme des inondations, des gels tardifs ou des périodes de sécheresse.

Je m'occupe des questions de climat et d'énergie, pour la FNSEA ainsi que pour l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA), depuis maintenant six ans. Quand j'ai commencé à m'intéresser à ces questions, le climat avait un peu changé, les vendanges avaient lieu plus tôt, mais il n'y avait pas encore d'accidents climatiques. Ces accidents pèsent sur l'équilibre économique des exploitations et nourrissent une réflexion sur la transition agricole, que certains appellent agroécologie, sur les systèmes, sur les sols, les apports aux sols, la vie des sols. Nos systèmes agricoles ne pourront sans doute jamais être complètement protégés par rapport au climat, mais nous pourrons les rendre plus résilients en termes d'érosion, d'eau ou d'utilisation de produits.

Le bilan énergétique doit bien entendu être réalisé, mais je rappelle que la transition énergétique résulte des dispositions de l'Accord de Paris sur le climat du 12 décembre 2015, dont la première décision pratique consiste à sortir des énergies fossiles. Cette transition doit se faire avec une vision globale, prenant en compte ses impacts positifs comme ses impacts négatifs. En outre, le gaz vert n'est pas qu'un prix. Il touche à l'économie circulaire et présente des intérêts au niveau agronomique, parmi d'autres externalités positives. Or, nous n'avons pas encore de vision globale sur ce que peut apporter cette nouvelle filière. Notre attention se focalise trop sur le prix du gaz.

Les agriculteurs s'intéressent autant à la transition énergétique parce que son potentiel se situe en grande partie dans les territoires agricoles. Il est donc logique que ce potentiel soit exploité au niveau de la profession agricole. Or en économie, l'exploitation d'un potentiel ne bénéficie pas toujours à ceux qui le détiennent. Cette question fait également partie du débat sur la diminution à venir des tarifs d'achat du biométhane : je pense qu'un tarif qui a tendance à baisser permet d'éviter certains effets d'aubaine. Je vais préciser ma pensée.

Avant l'ère du pétrole, l'agriculture fournissait l'énergie, les vêtements, les isolants : en résumé, elle fournissait tout. Avec l'arrivée du pétrole, du charbon et du gaz, l'agriculture s'est ensuite focalisée sur l'alimentation. Aujourd'hui, si nous supprimons à plus ou moins brève échéance ces énergies fossiles et en particulier si nous renonçons à la moitié des 400 térawattheures fournis par le gaz, il faudra bien trouver des solutions pour produire les 200 térawattheures manquant. Je rappelle que le biogaz représente aujourd'hui 2 à 3 térawattheures, avec un potentiel de développement de 10 à 15 térawattheures. Nous ne ferons pas que de la méthanisation, il existe d'autres technologies comme la méthanation, le power-to-gas ou l'hydrogène. L'agriculture est active sur ces énergies, car elles représentent un moyen de redynamiser les territoires et de développer l'économie circulaire.

Toute nouvelle énergie ou filière nécessite des « calages », c'est-à-dire des ajustements. La méthanisation constitue une filière récente, notamment en injection, moins en cogénération. C'était une filière de niche, qui aujourd'hui se développe. Ce développement crée des effets d'aubaine et des déséquilibres par rapport aux intrants. Pour l'agriculteur qui dispose d'une vision globale de son exploitation, de ses systèmes agricoles, de ses sols et de son élevage, le méthaniseur représente une vraie plus-value. D'une façon générale, je pense que notre filière doit se développer de cette manière, tout en restant attentive à prévenir certains effets d'aubaine.

Je précise que je suis également le coprésident de France Gaz Renouvelables. Nous avons accepté la baisse, annoncée par les pouvoirs publics, de 2 % par an du tarif d'achat du biométhane aux unités de méthanisation. En effet, nous nous sommes rendu compte de l'existence de tels phénomènes d'effet d'aubaine. Par exemple, certains exploitants sont prêts à acheter du maïs en le payant trois fois le prix normal. D'autres avaient prévu une méthanisation avec de l'irrigation. Je suis convaincu qu'un projet de méthanisation fondé sur de telles bases ne serait pas un projet durable. Et si nous avons besoin au niveau national de produire 100 ou 200 térawattheures, beaucoup d'hectares risqueraient alors de devoir être irrigués, pour alimenter ce type de développement. Or, nous aurons précisément besoin de l'irrigation pour l'alimentation, si le réchauffement climatique se poursuit.

Un troisième exemple d'ajustement à intervenir porte sur la sécurité. Nous travaillons aujourd'hui avec la Direction générale de la prévention des risques (DGPR) sur les installations classées protection de l'environnement (ICPE) et avec la Direction générale de l'alimentation (DGAL) sur le socle commun du retour à la terre, c'est-à-dire sur ce que l'on peut épandre. Cela nécessite un gros travail. Les premiers textes de la DGPR sur les ICPE étaient particulièrement rigides. Nous sommes donc « montés au créneau » pour que les normes soient efficaces, qu'elles répondent aux risques mais qu'elles n'empêchent pas, par leur complexité, les agriculteurs de rentabiliser leurs investissements.

D'une façon générale, nous avons des normes élevées, ce qui est très bien, mais il faut également que le prix de vente « paye la norme ». En agriculture, vous aurez résolu 95 % des problèmes, le jour où les agriculteurs seront payés au juste prix de leurs produits.

Le gaz doit lui aussi être payé à son juste prix. Or la baisse proposée, de 30 % au total par rapport aux tarifs actuels, conduit dans les faits à un moratoire sur les nouveaux projets après 2023. Les changements brutaux ne sont pas dans l'intérêt de la filière, car ils conduisent à des projets développés à la hâte pour entrer en service avant le changement de tarifs, alors qu'ils n'ont pas été suffisamment travaillés. Il est nécessaire de trouver le bon équilibre. Le véritable enjeu consiste à conserver dans notre pays une méthanisation territoriale, sur une base agricole, tout en refusant le système allemand. Je me réjouis enfin d'avoir participé à la création, il y a trois ans, de France Gaz Renouvelables qui permet des échanges réguliers entre le secteur du gaz, celui des réseaux et le secteur agricole.

Si le prix du gaz est trop faible, tous les projets de méthanisation seront de gros projets industriels, portés par Engie ou par Total, et la dimension développement durable de la filière aura disparu. Par ailleurs, il faut cesser de comparer le gaz renouvelable au gaz naturel. Plus précisément, le prix du gaz renouvelable doit faire l'objet d'une comparaison, non pas avec le prix d'une énergie fossile, qui va être abandonnée, mais avec celui du mix énergétique qui sera en vigueur en 2030 ou en 2040. L'estimation tourne autour de 50 à 60 euros par térawattheure à l'horizon 2040/2050 (au lieu de 90 euros actuellement), à comparer avec les 20 euros que coûte aujourd'hui le gaz naturel. Il faut donc trouver un équilibre et leur donner aux agriculteurs des perspectives de tarifs raisonnables.

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