Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la présente proposition de loi organique vise à doter la collectivité de Saint-Barthélemy de la faculté de participer à l’adaptation des règles destinées à favoriser la continuité des soins dans l’île. Il s’agit d’un sujet épineux qui préoccupe la population.
Je tiens à remercier les rapporteurs Valérie Boyer et Alain Milon de leur implication et de l’intérêt qu’ils ont manifesté pour ce texte.
Le dispositif initial visait à permettre à la collectivité de Saint-Barthélemy de participer à la compétence de l’État en matière de sécurité sociale. En effet, bien que la santé soit l’objectif autour duquel se cristallise le texte, le véritable enjeu est celui du financement. Il s’agit d’assurer la continuité des soins à Saint-Barthélemy en tenant compte de l’insularité du territoire et des surcoûts liés à la petite taille de l’île et à son économie.
La proposition de loi organique s’inscrit dans le cadre de l’article 74 de la Constitution, qui permet aux collectivités d’outre-mer dotées de l’autonomie de participer aux compétences conservées par l’État. De la sorte, les réalités locales sont mieux prises en compte dans des domaines dont l’État doit continuer à garantir la cohésion.
Ce texte s’inscrit en outre dans la continuité de l’objectif de maîtrise de sa destinée qui a présidé à l’érection de Saint-Barthélemy en collectivité d’outre-mer. La collectivité a ainsi toujours été à l’initiative de mesures d’adaptation aux réalités du terrain, tout en ayant une relation très harmonieuse avec l’État.
Mon prédécesseur Michel Magras, ancien président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, avait lui-même porté en 2015 la demande d’une plus grande implication de la collectivité dans la définition de la politique de protection sociale, en déposant deux propositions de loi, l’une organique et l’autre ordinaire. La même année avait été créée la caisse de prévoyance sociale (CPS) de Saint-Barthélemy, sur laquelle j’aurai l’occasion de revenir.
La nouvelle majorité n’a, du reste, pas fait exception à ce principe, en créant une commission ad hoc diagnostic territorial de l’offre de soins, un domaine qu’incarne avec une implication et une énergie sans faille la première vice-présidente.
Aucune collectivité d’outre-mer n’a jusqu’à présent participé à la compétence de l’État en matière de sécurité sociale. Une fois de plus, Saint-Barthélemy propose d’innover, comme elle l’a fait déjà pour plusieurs dispositifs. Elle est ainsi la seule collectivité à avoir renoncé au fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA). Et les missions du service départemental d’incendie et de secours (Sdis) et de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) sont assurées par des services de la collectivité, en lieu et place d’un établissement public et d’un groupement d’intérêt public (GIP).
Ce texte n’a pas la prétention d’être révolutionnaire. Il tend simplement à utiliser les outils d’adaptation offerts par le statut de collectivité d’outre-mer dotée de l’autonomie. Il est la traduction d’une demande qui n’est pas nouvelle. En effet, depuis plusieurs années, les élus ont alerté les gouvernements sur la dégradation de l’offre de soins, en particulier hospitalière. Cette dégradation a connu une accélération ces derniers mois.
Le coût de la vie, en particulier le niveau vertigineux des loyers, combiné aux difficultés du quotidien sur un territoire de 21 kilomètres carrés, contraint la mise en œuvre des politiques publiques. Fidéliser les médecins hospitaliers pour permettre un fonctionnement continu de l’hôpital requiert de tenir compte d’un tel contexte.
L’île est dotée d’un établissement de proximité, l’hôpital de Bruyn. Pour les cas les plus graves, elle est dépendante des évacuations sanitaires vers les centres hospitaliers de Saint-Martin – cela représente 80 % des évacuations –, de la Guadeloupe ou de la Martinique. Les évacuations sont prises en charge par le budget de l’hôpital. La piste est trop courte pour permettre à des aéronefs de plus de vingt places d’atterrir, et les évacuations ne peuvent être effectuées sur des lignes régulières. Leur coût pèse donc sur les dépenses hospitalières.
Ainsi, en 2022, 194 évacuations ont été réalisées, pour un coût de 600 000 euros pour l’hôpital, alors que la dotation est de 420 000 euros. L’impossibilité d’atterrir de nuit est l’autre contrainte des évacuations sanitaires. Lorsque l’hôpital fonctionne en sous-effectifs, au-delà d’un certain nombre d’évacuations sanitaires, il n’y a plus de médecin urgentiste présent. Il s’agit donc de disposer sur place des ressources médicales chaque fois que cela est possible.
C’est non pas la taille de la population, mais les besoins et les risques qui doivent être les critères de définition de l’offre de soins. Je veux ici rassurer le Sénat et le Gouvernement. L’attachement au principe de solidarité n’est pas remis en cause. En effet, la présente proposition de loi organique ne vise en aucun cas à lier capacités contributives et dépenses de santé, mais à les ajuster aux besoins réels. La population de Saint-Barthélemy est en droit d’attendre une offre de santé aussi large que possible sur un petit territoire insulaire. Surtout, depuis dix ans, le projet politique s’est bâti sur l’existence d’un « excédent » des comptes territoriaux que jamais personne n’a pris la peine d’infirmer, alors que les élus s’en prévalaient.
Le budget de l’hôpital affiche une dépense de 251 000 euros annuels pour loger des personnels. En déficit d’attractivité, celui-ci recrute difficilement des intérimaires, peu impliqués. Avec la probable adoption de la proposition de loi portant amélioration de l’accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé, dite proposition de loi Rist, des contraintes supplémentaires s’appliqueront à ces recrutements. Durant plusieurs années, l’hôpital de Bruyn a fonctionné, disons-le, selon une organisation propre aux médecins de l’île. Le retour légitime aux règles de droit commun de fonctionnement d’un établissement hospitalier a conduit au départ de la quasi-totalité des médecins hospitaliers basés à Saint-Barthélemy.
La réalité de l’île, c’est aussi que le laboratoire de biologie médicale n’est plus aux normes, notamment d’accessibilité, et a besoin de s’agrandir. Mais il ne peut pas supporter un loyer multiplié par trois.
La CPS est en réalité un démembrement de la Mutualité sociale agricole (MSA) Poitou, qui a permis de proposer un service de proximité jusque-là inexistant. Saint-Barthélemy doit pouvoir, comme les autres collectivités d’outre-mer qui le souhaitent, disposer de sa caisse propre, même non autonome.
Par ailleurs, l’absence de personnalité morale de la CPS soulève deux questions majeures : d’une part, celle de la fiscalité des pensions de retraite du régime général, d’autre part, celle de l’efficacité du recouvrement distant des cotisations, comme en attestent les chiffres. En effet, nous avons découvert que les impayés de cotisations représentaient plus de 97 millions d’euros. Pour une île comme Saint-Barthélemy, et au regard de son niveau d’activité économique, c’est inadmissible !
À la suite du diagnostic établi par la majorité actuelle, plusieurs pistes ont été lancées : le partage de la compétence santé par le biais d’une agence territoriale de la santé ; la construction d’un pôle hospitalier qui regrouperait l’hôpital, des logements, le laboratoire et une maison de santé accueillant ponctuellement des spécialistes ; la nomination d’un coordinateur de santé.
La réglementation de la santé stricto sensu ne pose pas de difficultés à Saint-Barthélemy. C’est l’organisation et le financement des soins, en particulier hospitaliers, qui doivent être mieux adaptés pour prendre en compte des réalités incompressibles de l’île, comme le coût de la vie et les contraintes de l’insularité.
Le projet, ambitieux à l’échelle de l’île, de construction d’un hôpital est à l’étude. Mais, j’en suis convaincue, la structure n’est pas le problème, pas plus qu’elle n’est la solution. La restructuration de l’offre hospitalière doit être pensée en tenant compte de l’achèvement prochain d’un hôpital de dernière génération en Guadeloupe. L’idée de développer le tourisme médical de luxe a également été évoquée au cours des travaux préparatoires, mais elle est inadaptée à la clientèle de Saint-Barthélemy.
Je ne peux pas m’empêcher d’évoquer la querelle qui oppose la collectivité à la direction hospitalière s’agissant de la propriété du foncier. Le terrain sur lequel est construit l’hôpital de Bruyn a une dimension patrimoniale collective pour les habitants de Saint-Barthélemy, où l’État est arrivé tardivement.
L’ancien président Bruno Magras avait proposé que les 4, 7 millions alloués par le Ségur de la santé soient plutôt affectés au fonctionnement de l’hôpital, véritable nœud du problème, et que le financement des investissements soit laissé aux soins de la collectivité. Dans son sillage, les nouveaux élus sont prêts à réaliser les investissements nécessaires pour rénover le bâtiment, mais ils estiment que la collectivité ne peut investir tant que le foncier ne lui aura pas été transmis. C’est une demande que je relaie et que je soutiens.
La collectivité s’est régulièrement impliquée dans l’amélioration des soins. Le président Bruno Magras a fait le choix stratégique d’orienter la générosité vers l’achat d’équipements médicaux plutôt que vers d’autres postes de dépenses. Ainsi, un scanner a été offert et l’hôpital a pu faire l’acquisition d’un mammographe. La collectivité a fait construire un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), dont elle a mis la buanderie et la cuisine à la disposition de l’hôpital. Ces mesures ont permis d’alléger les charges de fonctionnement de ce dernier et ont fait faire des économies à la sécurité sociale, qui éviter de payer le coût d’un aller-retour à Saint-Martin pour chaque examen.
La collectivité, bien que prête à faciliter le logement des personnels hospitaliers et enseignants, ne dispose pas aujourd’hui d’un parc de logements suffisant. Les constructions ne pourront pas être achevées avant deux, voire trois ans.
Le Sénat a bien compris ma démarche, comme en témoigne le rapport pour avis d’Alain Milon : « La présente proposition de loi organique (PPLO) propose une avancée équilibrée par ce qui s’apparente à un “droit de proposition” de la collectivité. » Avec une pertinence qui ne surprendra personne, les rapporteurs ont apporté des modifications au dispositif initial pour parvenir à un équilibre qui crée aussi les conditions de l’indispensable prise en compte de la volonté locale par l’État. L’expérimentation sur une durée de cinq ans laissera le temps d’évaluer l’intérêt de cette nouvelle faculté offerte à la collectivité : la majorité actuelle ou, le cas échéant, la prochaine pourra s’en saisir.
Je terminerai mon propos avec cet extrait du rapport de Michel Magras sur la différenciation : « L’État doit désormais accompagner les collectivités ultramarines pour nourrir leurs capacités propres d’expertise et leur garantir une véritable autonomie qu’elles peuvent mettre au service de leur développement endogène. Cela vaut dans tous les domaines. »