Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous devons nous pencher sur une problématique récurrente d’organisation territoriale, à laquelle le Sénat est toujours particulièrement attentif.
La problématique mise en avant par l’auteure de la proposition de loi et étayée par les travaux des rapporteurs est celle du manque de moyens pour les collectivités territoriales pour agir sur des compétences étatiques. En l’occurrence, il s’agit de confier à la collectivité de Saint-Barthélemy un pouvoir de proposition dans les domaines de la sécurité sociale et du financement des établissements de santé qui relèvent de la compétence de l’État.
L’offre de soins locale de Saint-Barthélemy est très restreinte, et s’appuie fortement sur la Guadeloupe et Saint-Martin.
La situation n’est, certes, pas nouvelle, mais la pandémie a permis de mettre en avant le rôle et la réactivité qu’ont pu développer les collectivités locales dans le domaine de la santé.
À Saint-Barthélemy, la situation locale ne permet pas la prise en charge des cas graves ou complexes et conduit à de nombreuses évacuations sanitaires, en particulier vers Saint-Martin. Nos commissions ont rappelé l’aspect indispensable de ces évacuations sanitaires, mais aussi les difficultés qu’elles présentent.
Ces difficultés sont tout d’abord matérielles ; je pense aux conditions de l’aéroport de Saint-Martin, qui ne permettent pas d’atterrissage de nuit faute d’éclairage, aux contraintes liées à l’utilisation d’un l’hélicoptère basé en Guadeloupe.
Mais elles sont aussi financières, puisque ces évacuations sont souvent réalisées par des sociétés privées, à défaut d’être assurées par des lignes régulières et représentent à peu près 600 000 euros par an, pour environ 200 rotations.
Deux autres sujets mis en avant par l’auteure de la proposition de loi et par Mme la rapporteure : d’une part, l’absence à ce jour de reconstruction de l’hôpital cinq ans après le passage de l’ouragan Irma, ce qui ne permet pas d’améliorer l’attractivité des conditions d’exercice des soignants, déjà entravées par le coût de la vie sur l’île ; d’autre part, les problématiques induites par la gouvernance de l’ARS, qui laisse peu de place à la collectivité territoriale de Saint-Barthélemy.
Ces difficultés ne sont pas nouvelles. Nous avions déjà eu par le passé des propositions de modifications pour un régime propre à Saint-Barthélemy.
La version initiale de cette proposition de loi écartait la possible ouverture de la participation à l’exercice de la compétence de l’État en matière de santé, car requérant des « compétences techniques dont Saint-Barthélemy est dépourvue et qui représentent un coût exorbitant ».
L’auteure, que je salue, avait souligné le besoin impérieux que la santé reste « un domaine qui doit être mis à l’abri des aléas politiques ». Pour autant, le besoin d’une plus forte participation de la collectivité avait donné lieu à la rédaction de trois amendements visant à une plus grande autonomisation du système à Saint-Barthélemy.
Toutefois, après les discussions qui se sont tenues dans nos deux commissions, plusieurs points ont été soulevés.
La direction de la sécurité sociale a mis en avant une « mauvaise appréciation de la situation financière dès lors que la situation de la caisse ne reflète pas celle d’un régime de sécurité sociale autonome et omet une part substantielle des financements dont bénéficie le système de santé de l’île », établissant que la solidarité nationale s’exerce bien aussi au profit de l’île.
Les deux rapporteurs ont pu insister à juste titre sur ce principe de solidarité au cœur de notre système de sécurité sociale, principe fondamental inscrit dans le texte de la commission.
Aussi, au lieu d’une réforme statutaire initialement proposée, la commission s’est dirigée vers une expérimentation de l’exercice de ce pouvoir de proposition par la collectivité.
La durée de cette expérimentation de cinq ans laisse le temps à la mise en œuvre des dispositions et aux ajustements nécessaires. Un rapport devra être rendu dans les six mois suivant la fin de l’expérimentation.
Au passage, madame la ministre, comme mes collègues Alain Milon et Valérie Boyer l’ont rappelé, les rares rapports demandés par notre assemblée au Gouvernement pourraient éclairer nos débats si vous y donniez suite… Certes, j’ai bien compris que nous disposerions du rapport, sinon au mois de juin, du moins un jour ou l’autre.
L’inertie en matière de décrets ne contribue pas à améliorer les choses. Les travaux et la nécessaire réflexion de notre assemblée sur une organisation territoriale plus décentralisée pourraient prendre plus de sens si nous disposions des rapports et décrets plus rapidement.
L’encadrement de ce nouveau pouvoir permet de poursuivre la réflexion sur l’offre de soins à Saint-Martin et en Guadeloupe. C’est la raison pour laquelle sera soumis pour avis à l’ARS compétente « tout projet d’acte du conseil territorial, afin d’assurer la compatibilité d’une telle proposition avec l’organisation existante et régionalisée de l’offre de soins ».
Enfin, les travaux ont restreint le champ des compétences susceptibles de faire l’objet de propositions du conseil territorial à la seule assurance maladie et au financement des établissements et des services de santé « en vue de garantir la continuité des soins et l’adaptation aux particularités et besoins spécifiques de l’offre de soins liés à l’insularité et à l’éloignement ».
Cette notion de continuité des soins est la question fondamentale sur laquelle nos concitoyens et nos élus locaux nous interrogent toujours, et à juste titre.
Notre groupe, attaché à l’engagement local, à l’expertise des élus et à l’expérimentation votera pour cette proposition de loi, tout en rappelant que, sans engagement fort et rapide de l’État, toute démarche locale sera vaine.