Intervention de Pierre Fauchon

Réunion du 12 décembre 2007 à 15h00
Rôle d'eurojust et du réseau judiciaire européen — Discussion d'une question orale européenne avec débat

Photo de Pierre FauchonPierre Fauchon, représentant de la délégation pour l'Union européenne :

Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, la question d'Eurojust peut-être examinée de deux points de vue différents, qui sont apparemment liés. S'ils le sont certainement dans leurs aspects techniques, ils sont ou risquent d'être antinomiques dans leur aspect politique, mais seulement en apparence.

Le premier point de vue est celui du réalisme, terrain sur lequel se situe très normalement la question posée par le président de la délégation pour l'Union européenne et qui tend à faire le point, une fois de plus - ce n'est certainement pas la dernière ! - sur cette institution, sur ses conditions d'existence, sur les résultats de son action, sur ses perspectives et sur les améliorations susceptibles d'être apportées en vue de développer cette action.

Un autre point de vue - s'il est moins réaliste en apparence, il l'est davantage en réalité - consiste à considérer non pas la menace, mais la réalité que constitue le développement de la criminalité transfrontalière et à se demander si les moyens mis en place pour la combattre, Eurojust en premier lieu, mais aussi Europol et les autres instances existantes, sont non seulement une réponse adaptée à ce phénomène mais aussi et surtout une réponse à la hauteur de celui-ci, et si elles sont en état non seulement de le combattre et, si cela se peut, de le vaincre, ou du moins de le réduire.

Sur le premier point, je n'ai rien à ajouter à ce qui a été excellemment vu, analysé et dit par le président de la délégation pour l'Union européenne, auteur de la question, ou le sera dans quelques minutes par le non moins excellent François Zocchetto, au nom de la commission des lois.

Je me réjouis moi aussi de constater les résultats acquis et d'enregistrer les progrès, comme je me réjouis de voir la Commission s'inquiéter des moyens d'améliorer le fonctionnement de l'institution, en dépit de la complexité incroyable et véritablement décourageante du système - mais elle fait la joie des spécialistes !

Je tiens surtout à rendre hommage à celles et à ceux qui oeuvrent pour améliorer la coopération judiciaire dans les affaires dont ils sont saisis et qui, du même coup, explorent ce domaine si difficile en raison de sa complexité, de sa diversité, du poids des cultures nationales abritées, bien entendu, derrière le rempart des langues, qui suffit, à lui seul, à tout embarrasser.

Je veux, plus encore, rendre hommage à l'esprit de mission qui anime notre magistrat, M. Falletti, ainsi que ceux qui l'entourent, et qui, tous, font la preuve quotidienne - quotidienne, mes chers collègues ! - d'un savoir-faire et d'une volonté d'agir. Ils méritent pleinement notre confiance.

Pour autant, sommes-nous dispensés de poser la question essentielle, qui est de savoir si les dispositifs mis en place, Eurojust ou Europol, sont à la hauteur de l'objectif ?

Qui peut le croire, madame le garde des sceaux, alors que nul ne saurait ignorer les ravages provoqués par cette criminalité, depuis les actions terroristes, sans doute exceptionnelles, mais néanmoins atroces, jusqu'aux trafics de drogues ou de substances interdites universellement répandus, en passant par les trafics d'êtres humains et les fraudes aux politiques communautaires, toutes formes de délinquance dont aucun spécialiste ne doute qu'elles ne soient en voie de propagation ou d'aggravation ?

Qui peut le croire, madame le garde des sceaux, alors que les actions dites « européennes », que leur multiplicité affaiblit plus souvent qu'elle ne les renforce, sont aussi embryonnaires dans leur conception, limitées dans leurs moyens matériels et plus encore juridiques ?

Pour s'en tenir à Eurojust, faut-il rappeler que cette unité ne dispose d'aucune autorité véritable, que le recours à son intervention n'est que facultatif, comme n'est que facultative la mise en oeuvre de ses préconisations, et que, enfin, le statut de chacun des magistrats qui en font partie relève de l'État d'origine et est en conséquence différent d'un membre national à l'autre ?

Il est difficile d'imaginer quelque chose de plus mal bâti et il est encore plus difficile de s'en satisfaire !

Le fait que dans telles ou telles circonstances - heureusement qu'il y a eu l'affaire du Prestige ! -, dont le nombre semble d'ailleurs en augmentation - tant mieux !-, Eurojust ait pu faire preuve d'une remarquable efficacité signifie que la coopération judiciaire en matière pénale est parfaitement possible dès lors qu'elle est acceptée par les autorités concernées. Cela ne signifie pas pour autant que cette coopération soit assez générale pour que l'on puisse considérer qu'elle constitue une réponse adaptée à l'ensemble du domaine concerné, lequel est immense et d'ailleurs aux limites inconnues. En effet, il n'est pas dans les habitudes des délinquants de déclarer leurs activités !

Si le volontariat et la bonne volonté d'organismes ou d'autorités multiples, concurrentes et parfois peu soucieuses de coopération, suffisaient à lutter contre la criminalité, cela se saurait et on se demanderait alors pour quelles raisons les parquets ou les polices sont organisés d'une manière de plus en plus rigoureuse dans les cadres nationaux.

On a peine à garder son sérieux, madame le garde des sceaux, à l'énoncé de tels truismes. En vérité, on oscille entre le rire et la colère. Nul ne peut ignorer que la guerre contre la criminalité suppose, comme les autres guerres, unité d'organisation, unité de commandement, et que, en attendant que soit mise sur pied une telle unité, les dispositifs mis en place ne peuvent avoir qu'un caractère exploratoire et expérimental, ce qui ne diminue en rien leurs mérites, d'ailleurs.

Cela signifie, en clair, que seule l'unification des moyens de poursuites par la création d'un parquet européen constituerait une réponse appropriée, accompagnée, bien évidemment, de l'unification des règles de droit et de la création d'une instance judiciaire européenne supérieure chargée d'en contrôler et d'en garantir le respect.

De telles affirmations ne sont pas nouvelles et voilà des années, pour ne pas dire des lustres, que tant la commission des lois que la délégation pour l'Union européenne, par la voix en particulier de son président, les ont formulées, comme elles viennent de le faire encore il y a quelques instants.

Si je les rappelle, ce n'est pas seulement pour le principe ou parce qu'il est nécessaire de ne pas limiter notre réflexion au champ des réalités actuelles et aux améliorations possibles auxquelles il faut naturellement travailler. C'est aussi parce que j'ai la double préoccupation, d'une part, de ne pas donner à penser que la démarche actuelle est tout à fait satisfaisante - on pense souvent que parce que l'on entame une démarche, on résout le problème, or ce n'est pas suffisant, il faut le dire et le répéter -, et, d'autre part, si vous me le permettez, d'inviter le Gouvernement à faire figurer cette ambition au rang de ses préoccupations pour la présidence française qui se prépare.

Je n'ignore pas, madame le garde des sceaux, que le Gouvernement a déjà retenu d'autres priorités, en particulier l'immigration, la défense ou l'environnement, et je n'en sous-estime naturellement pas l'importance. Je sais que l'on ne peut pas courir plusieurs lièvres à la fois. Il me semble cependant que cette liste peut être complétée par l'objectif de créer un parquet européen, car il s'agit aussi d'une urgence et que la lutte contre la criminalité européenne intéresse directement les populations, spécialement les plus faibles et les plus vulnérables.

N'oublions pas qu'il peut arriver au cours d'une négociation que les mêmes partenaires qui refusent de donner leur accord sur tel ou tel point considéré comme primordial se montrent au contraire plus coopératifs sur tel autre, en quelque sorte par compensation. C'est souvent ainsi que se terminent les négociations : on obtient gain de cause, mais pas forcément sur ce qui était la priorité. Pourquoi le projet de parquet européen ne bénéficierait-il pas, à l'occasion, d'un tel transfert ?

Bien entendu, ce débat s'inscrit dans le cadre nouveau créé par le traité de Lisbonne, dont l'entrée en vigueur sera alors imminente. Il s'agit donc soit d'un accord unanime, soit d'une coopération renforcée. Pour rendre l'idée plus acceptable et plus pratique, on peut imaginer un parquet européen à compétences limitées, par exemple limitées à une délinquance déterminée comme la fraude aux intérêts communautaires, qui est expressément prévue, ou encore au trafic d'êtres humains ou au trafic d'armes, de substances ou d'objets interdits. Un tel objectif aurait le mérite de toucher plus directement les populations européennes.

Le dernier alinéa de l'article 86 du nouveau traité prévoit expressément ces diverses modalités. Encore faut-il le lire entièrement, car son libellé actuel ne manque pas d'interroger. Sans doute est-ce, comme toujours, le résultat d'une subtile négociation !

Pour conclure, madame le garde des sceaux, en cette semaine que j'oserai dire placée sous le signe de la Realpolitik, avec ce que cela comporte de nécessités - je suis de ceux qui les comprennent -, mais aussi d'inquiétudes, avouons-le, je me risquerai, à titre personnel, à souhaiter que le Gouvernement propose la création d'un parquet européen au nom de ce même réalisme politique. Sa création, qui aurait l'avantage de n'inquiéter que les délinquants, est nécessaire pour la protection des populations, qui sont en droit - je reprends la conclusion de mon prédécesseur - de nous juger et de juger l'Europe sur ce terrain, celui de leur sécurité dans leur vie quotidienne.

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