Intervention de Robert del Picchia

Réunion du 12 décembre 2007 à 15h00
Rôle d'eurojust et du réseau judiciaire européen — Discussion d'une question orale européenne avec débat

Photo de Robert del PicchiaRobert del Picchia :

Madame le garde des sceaux, je souhaite, au nom du groupe UMP, me féliciter de la tenue d'un tel débat, tant la mise en place concrète d'un espace européen de liberté, de sécurité et de justice est une priorité absolue qui répond à une forte aspiration des citoyens. Elle nécessite surtout une forte volonté politique pour surmonter les réticences des administrations nationales, très jalouses quelquefois de leurs prérogatives.

À cet égard, notre délégation, dont je salue le président Hubert Haenel, s'est fortement engagée en faveur de la création d'un véritable « espace judiciaire européen » et a toujours été très soucieuse de suivre au plus près les évolutions de cet organisme, en militant pour son renforcement et son évolution vers un « parquet européen ».

Mes collègues ayant rappelé l'historique et les objectifs d'Eurojust, j'en soulignerai les difficultés et me tournerai vers l'avenir.

Eurojust doit devenir un acteur clé pour lutter efficacement contre la criminalité organisée transnationale au sein de l'Union européenne. Pour cela, la volonté politique des États membres, notamment de la France, est essentielle.

Si Eurojust a eu l'occasion de démontrer à plusieurs reprises son utilité, son bilan n'est cependant pas entièrement satisfaisant. Plusieurs difficultés subsistent.

Tout d'abord, de nombreux États membres n'ont pas encore transposé la décision instituant Eurojust dans leur droit national. De plus, lorsque les États ont pris des mesures de transposition, celles-ci se sont révélées incomplètes ou insuffisantes ; la France n'est elle-même pas exempte de critiques.

La deuxième difficulté d'Eurojust tient à sa composition puisque, en raison de la diversité de statut des membres nationaux, on y trouve une « mosaïque » de compétences, en particulier depuis le dernier élargissement de l'Union, qui a fait passer le collège de quinze à vingt-sept membres.

La disparité de statut et la diversité des pouvoirs des membres nationaux qui composent le collège d'Eurojust sont problématiques. Cela tient beaucoup aux différentes conceptions des États membres à l'égard du rôle même d'Eurojust. Certains considèrent qu'il s'agit uniquement d'un groupe de magistrats de liaison qui aurait pour vocation d'apporter un appui aux autorités nationales. D'autres ont une conception plus ambitieuse d'Eurojust et tendent à lui reconnaître des pouvoirs contraignants à l'égard des juridictions nationales. Cette ambiguïté originelle n'a jamais été levée et elle est source de difficultés.

Une troisième difficulté tient aux relations avec les procureurs nationaux. En effet, pour qu'Eurojust apporte une réelle valeur ajoutée, il est indispensable que cette institution soit saisie par les procureurs lorsque ceux-ci sont confrontés à une affaire de criminalité transfrontalière Or, cinq ans après sa création, nous constatons que de nombreux procureurs ignorent jusqu'à son existence dans notre pays. Il est donc indispensable, madame le garde des sceaux, de mieux faire connaître aux différents parquets l'existence d'Eurojust.

En matière de lutte contre le terrorisme - plus que jamais d'actualité, malheureusement, au lendemain des attentats en Algérie -, le nombre de saisines d'Eurojust est resté relativement faible. Dans ce domaine, mes chers collègues, il est indispensable de créer une relation de confiance entre les magistrats des différents pays, qui fait cruellement défaut aujourd'hui. Cette relation est longue à établir, mais les réunions de coordination se sont multipliées, une task force antiterroriste ayant même été créée au sein d'Eurojust.

La décision du 20 septembre 2005 qui oblige les États à transmettre à Europol et à Eurojust les informations relatives aux affaires de terrorisme international est actuellement très imparfaitement appliquée. Il semble qu'une intervention législative soit nécessaire. De même, la communication systématique au représentant national des commissions rogatoires internationales par les juges d'instruction ne peut être imposée que par la loi. Je souhaiterais connaître vos intentions à ce sujet, madame le garde des sceaux.

Enfin, la dernière difficulté tient aux relations entre Eurojust et les autres organismes européens.

En ce qui concerne Eurojust et Europol, malgré la signature d'un accord de coopération, il n'existe pas de véritable et profonde coordination entre les deux organismes, qui ont parfois tendance à s'ignorer mutuellement. Eurojust est confrontée à de réelles difficultés pour accéder au contenu des fichiers d'analyse d'Europol, particulièrement protégé par des règles drastiques en matière de protection des données.

À l'avenir, il me paraît indispensable de renforcer la coopération entre les deux organismes. L'entrée en vigueur du protocole danois, le 18 avril dernier, doit oeuvrer dans ce sens.

En ce qui concerne les relations entre Eurojust et l'Office européen de lutte antifraude, des difficultés d'ordre juridique, cette fois-ci, empêchent une réelle coordination. Il se pose un réel problème de délimitation des compétences entre les deux organes, dont les tâches nécessiteraient d'être clarifiées.

Il conviendrait également d'améliorer, à l'avenir, les relations avec les pays tiers ou avec les organisations internationales. Même s'il faut saluer à leur juste valeur les accords de coopération déjà en vigueur, notamment l'accord avec les États-Unis sur lequel la délégation du Sénat a particulièrement travaillé, il reste beaucoup à faire. Je pense à la Suisse, aux pays d'Amérique latine, mais aussi à la Russie ou encore à l'Ukraine. Pour ces derniers pays, nous savons que la protection des données personnelles pose un problème majeur.

La question des données personnelles est justement essentielle pour Eurojust, car elle est liée au secret de l'instruction et à la nécessité de protéger les droits des personnes, notamment le droit à la vie privée La décision instituant Eurojust et le règlement intérieur de l'unité contiennent des dispositions détaillées sur la protection des données.

Eurojust disposant déjà de ses propres règles en matière de protection des données, il faut noter que les dispositions de la future décision-cadre sur la protection des données personnelles au sein du « troisième pilier », actuellement en cours de discussion au sein du Conseil, ne lui seront pas applicables. Même si l'on peut s'interroger sur la pertinence de faire coexister plusieurs systèmes de protection des données à l'échelon européen, il est plus sage, mes chers collègues, à ce stade, de veiller à ne pas mettre en cause ce qui fonctionne déjà bien.

Les informations traitées par Eurojust sont fournies par les autorités nationales et par les organismes européens, comme Europol ou l'OLAF. En l'occurrence, des tâches pratiques sont réalisées ; mais la transmission d'informations, j'y insiste, reste insuffisante.

Toutes ces difficultés montrent que la construction d'un espace judiciaire européen est une tâche immense et de longue haleine. Elle nécessite une volonté politique sans faille afin de définir des perspectives d'avenir.

Le renforcement des moyens humains et juridiques, notamment des bureaux nationaux, ainsi qu'un réel effort de communication et de sensibilisation apparaissent comme un préalable indispensable. En effet, un grand nombre de dossiers qui pourraient et devraient être soumis à Eurojust ne le sont pas.

Par ailleurs, l'entraide judiciaire reste une priorité faible au sein des systèmes judiciaires et policiers de nombreux États de l'Union européenne. Dans une certaine mesure, cela est dû au fait que certains États membres préfèrent garder la responsabilité des enquêtes et des poursuites criminelles sur le plan national, où les questions et dossiers nationaux sont prioritaires.

S'agissant de l'idée d'une politique pénale européenne, il y a, dans une Europe à vingt-sept, une réelle difficulté à établir les priorités de l'action répressive à l'échelle européenne. En outre, de multiples organismes interviennent dans ce domaine, comme Europol, FRONTEX, l'OLAF, le coordonnateur européen pour la lutte contre le terrorisme, etc.

Il faut donc améliorer la coordination à l'échelle européenne. Cela aurait pu être la fonction du comité de sécurité intérieure, qui était prévu dans le traité constitutionnel. Une autre solution possible serait d'organiser une réunion régulière du collège d'Eurojust avec les procureurs généraux des États membres.

La création d'un parquet européen est une autre idée d'avenir chère au président Haenel. Cet ambitieux projet se heurte à la forte opposition de plusieurs États membres, comme le Royaume-Uni, l'Irlande ou les pays nordiques, pour ne citer que ceux-là. Je pense donc qu'il s'agit, au mieux, d'un projet à long terme.

On pourrait également imaginer la création d'un parquet européen par le biais d'une « coopération renforcée » entre plusieurs pays et hors du cadre des traités, un peu à l'image du traité de Prüm, qui renforce la coopération transfrontalière en vue de lutter contre le terrorisme, la criminalité organisée et l'immigration illégale.

L'Europe a conquis sa légitimité dans le domaine économique. Mais sa légitimité restera incomplète et fragile tant qu'elle ne sera pas synonyme de liberté, de sécurité et de justice pour les citoyens. Face aux lenteurs que rencontre aujourd'hui la construction d'un espace de liberté, de sécurité et de justice, nous devons profiter de la présidence française de l'Union européenne, au second semestre de l'année 2008, pour afficher notre ferme volonté de voir améliorer le fonctionnement et l'effectivité de la coopération judiciaire européenne.

Il ne suffit certes pas à la France de dire ce qu'elle veut pour que ce soit la volonté de tous, mais notre pays a le devoir de le faire. Si les Européens ne le font pas pour eux-mêmes, personne ne le fera à leur place !

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