Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, la Cour a publié son rapport annuel ; c’est un moment important de notre vie démocratique, qui gagnerait d’ailleurs à plus en tenir compte.
Le Sénat débat aujourd’hui de ce rapport. Il en partage les constats, mais ne peut pas s’associer aux termes employés concernant la limitation du nombre de communes, alors que nous avons besoin de davantage de décentralisation. J’y reviendrai.
Le constat de la situation extrêmement dégradée des finances publiques de notre pays est posé dans cet hémicycle depuis déjà plusieurs années. On ne peut que saluer la clarté de vos propos sur le sujet, monsieur le Premier président : « La France ne peut pas continuer sur cette voie, qui la distingue de ses partenaires européens. » Il nous faut impérativement agir, faute de quoi tout cela pourrait se terminer très mal.
En détail, que dites-vous ?
Incontestablement, la situation de nos finances publiques est l’une des plus dégradées au sein de l’Union européenne. Alors que nous étions entrés dans la crise déjà affaiblis, le Gouvernement a fait le choix, à partir de 2020, de mettre en œuvre diverses mesures pour soutenir les ménages et les entreprises face aux effets de la crise sanitaire, mesures prolongées par des dépenses de relance dès l’automne 2020. Le poids de ces engagements a progressivement décru, mais ils restent significatifs : 37, 5 milliards d’euros en 2022, 12, 5 milliards en 2023.
À ces mesures de soutien sont venues s’en ajouter d’autres, destinées à atténuer l’impact de l’augmentation des prix de l’énergie ; celles-ci, vous l’avez rappelé, pèseraient sur nos finances à hauteur de plus de 25 milliards d’euros en 2022 et de 36 milliards en 2023. Nous ne pouvons pas continuer sur cette voie ! Alors que l’année 2023 aurait dû être marquée par la fin du « quoi qu’il en coûte », nous continuons à mettre en œuvre des mesures, insuffisamment ciblées, dont nous n’avons plus les moyens.
Le résultat, c’est un déficit public qui, après avoir culminé à 6, 5 % du PIB en 2021, devrait encore atteindre 5 % du PIB en 2023 comme en 2022. Quant à la dette publique, elle dépassera 111 % du PIB à la fin de l’année : c’est 14 points au-dessus de son niveau d’avant-crise.
Si l’on remonte à l’entrée dans l’euro – vous en avez parlé tout à l’heure, monsieur le Premier président –, l’endettement de l’Allemagne a augmenté de 10 points de PIB, celui de l’Italie de 40 et celui de la France de 55. Nous divergeons incontestablement de la courbe de nos partenaires, et cela nous affaiblit. Un désendettement maîtrisé est impératif pour assurer la soutenabilité de notre dette publique. Certes, son taux est encore arrimé à celui de l’Allemagne, mais pour combien de temps ? C’est le premier enjeu de souveraineté !
Hors dépenses exceptionnelles, la hausse de nos dépenses atteint 3, 5 % en 2022 ; elle sera encore de 0, 7 % en 2023. Rappelons que l’objectif était de 0, 6 % par an jusqu’en 2027 : on en est donc loin ! Le budget pour 2024 devra donc être plus exigeant sur ce front que celui de 2023.
À 58 % du PIB, la France a le taux de dépenses publiques le plus élevé de la zone euro. Pour autant – c’est à la fois un paradoxe, une incompréhension et une difficulté démocratique –, cela ne s’accompagne pas d’un haut niveau ressenti de performance des services publics. En outre, un pays endetté à l’excès ne peut pas financer la préparation de son avenir.
Notons que l’endettement des collectivités territoriales est, quant à lui, très faible – moins de 9 % de l’ensemble –, confirmant que ce n’est pas de ce côté-là qu’il faudra accomplir l’essentiel des efforts. Il faudra des milliards pour la transition environnementale et énergétique, pour combler notre retard en matière d’innovation et de recherche, pour renforcer notre politique industrielle ou encore notre système hospitalier. Tout cela, le pays en a besoin. Mais aujourd’hui, il ne s’en donne pas les moyens. La fuite en avant n’est plus possible !
De plus, la trajectoire prévue par le Gouvernement est à la fois trop optimiste et trop peu ambitieuse. Pour la période 2023-2027, même après le rejet du projet de loi de programmation des finances publiques, le Gouvernement retient un rythme de croissance potentielle de 1, 35 % par an. C’est au-dessus du consensus, ce qui signifie que ses prévisions sont fragiles et que le moindre accroc remettrait en cause le passage sous la barre des 3 % à la fin du quinquennat. Mais il est également peu ambitieux de vouloir revenir tout juste sous 3 % en 2027, alors que la quasi-totalité des pays de la zone euro devraient repasser sous cette barre dès 2025. Nous sommes en train de décrocher sur le front du déficit et de la dette, et cela va finir par se voir.
Il y a trois leviers pour réduire les déficits, comme vous le rappelez utilement dans votre rapport, monsieur le Premier président.
Le premier consiste à espérer que cette réduction provienne essentiellement de la croissance. Renforcer celle-ci y contribue évidemment, et c’est pour cela qu’il nous faut investir. Mais nous entrons dans une période de croissance modérée, et ce levier ne sera pas suffisant.
Le deuxième consiste à augmenter les impôts. C’est particulièrement compliqué dans un pays où les prélèvements obligatoires sont déjà très élevés – 45 % – et où le consentement à l’impôt est faible.
La troisième voie consiste à maîtriser intelligemment les dépenses. Il faut commencer par là. Il faut insister sur la qualité de la dépense publique. C’est le chemin dans lequel nous voulons nous engager.
La décentralisation constitue le thème de votre rapport annuel, à l’occasion des quarante ans de celle-ci. Je veux vous remercier de les avoir salués, car qui en parle ? Voilà bien un anniversaire oublié au pays des commémorations…
Avec un poids relatif de la dépense publique locale très modéré – 19 % de l’ensemble, alors que la moyenne européenne se situe à 34 % –, nous restons un pays marqué par notre tradition centralisatrice. La décentralisation est un mouvement historique qui doit être non pas remis en cause, mais remis sur pied, consolidé.
On peut surtout parler d’un essoufflement de la décentralisation et de contradictions qui ne sont pas propices à la meilleure efficacité de l’action publique, comme vous le soulignez dans votre rapport. Plusieurs réformes de l’organisation territoriale ont été menées depuis 2010, sans rien clarifier, sans marquer une vraie décentralisation politique aboutie. Les faiblesses de la décentralisation sont en partie dues au brouillage des compétences entre État et collectivités.
Il faut lancer un nouvel acte de la décentralisation qui clarifie la répartition des compétences, avec une véritable liberté locale quant à leur exercice, et veille à doter chaque échelon des moyens requis pour assumer ces compétences.
Le Sénat s’y emploie, sur l’initiative du président Larcher, qui a mis en place un groupe de travail dont les propositions seront rendues d’ici à la fin du printemps.
Oui, il convient de redéfinir le mode de financement des collectivités territoriales comme vous le préconisez. Vous avez présenté à cette fin des orientations devant notre commission des finances.
Oui, il convient de garantir l’autonomie financière, voire fiscale, des collectivités et d’en moderniser la gouvernance.
Oui, il convient de garantir la commune comme socle démocratique de notre pays, qui coûte peu et assure le lien de proximité, tellement indispensable, que beaucoup s’emploient à distendre, voire à rompre depuis bien des années.
Dès lors, non à la réduction autoritaire du nombre de communes, qui remplissent une mission essentielle pour un coût modique. Au contraire, il faut les renforcer. Ce n’est pas seulement affectif ; c’est efficace !