Intervention de Pierre Moscovici

Réunion du 22 mars 2023 à 15h00
Dépôt du rapport public annuel de la cour des comptes suivi d'un débat

Pierre Moscovici :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens d’abord à remercier l’ensemble des orateurs et des groupes de la part active qu’ils ont prise à ce débat et de l’intérêt manifeste qu’ils ont apporté à nos travaux.

Je ne dirai pas qu’il y a consensus – et c’est naturel – sur des sujets qui ne s’y prêtent d’ailleurs pas. Mais les différentes prises de parole confirment ce que j’évoquais tout à l’heure, c’est-à-dire la volonté et la capacité de la Cour à être un acteur du débat public, fournissant des éléments qui suscitent des opinions tantôt convergentes, tantôt contradictoires. C’est notre ambition à la fois forte et limitée.

Monsieur le président de la commission des finances, j’ai toujours plaisir à travailler avec vous. Je me réjouis que vous partagiez les conclusions principales de ce rapport public annuel, tant sur la situation des finances publiques – je ne parle pas des remèdes proposés – que sur le bilan de la décentralisation.

Nos prochains travaux, que ce soit à votre demande ou sur notre propre initiative, dessineront de nouvelles perspectives d’évolution, toujours en vue d’une plus grande efficacité de la dépense publique.

Je veux dire ici, comme je l’ai dit tout à l’heure au président du Sénat, que la Cour entend participer à un exercice de revue de la dépense publique au travers d’une série de notes structurelles et thématiques sur les diverses politiques publiques, comme elle l’avait fait avant la dernière élection présidentielle. Elle souhaite ainsi « soulever le capot » de la dépense, afin d’améliorer et de rendre plus efficaces et plus justes ces politiques, sans pour autant que ces dernières soient plus coûteuses.

Il me semble que la contribution des collectivités locales au redressement des finances publiques, sujet qu’ont abordé plusieurs intervenants, est devenue indispensable du fait de l’interdépendance financière croissante entre l’État et celles-ci. Cette participation passe naturellement par un cadre efficace de dialogue.

Notons qu’aujourd’hui, du fait précisément de cette perte d’indépendance et de l’augmentation des concours de l’État, un certain nombre de recettes des collectivités locales sont largement garanties.

Madame la présidente de la commission des affaires sociales, je me réjouis tout autant de travailler avec vous qu’avec M. le président de la commission des finances.

Nous répondons toujours à vos demandes avec diligence et plaisir. Je rappelle à ce titre que la Cour publiera prochainement un audit flash sur les politiques en faveur des chômeurs de longue durée, sujet sur lequel vous avez mis l’accent à plusieurs reprises.

Nous restons évidemment à la disposition de la commission des affaires sociales pour effectuer de nouveaux contrôles. Pour nous, ce dialogue avec votre commission, avec le Sénat en général, est toujours précieux et extrêmement fructueux.

Monsieur Sautarel, il m’a semblé que vous approuviez assez largement l’analyse de la Cour. Je le répète, une revue de l’ensemble de nos dépenses publiques, comme le pratiquent la plupart des pays de l’Union européenne – en réalité, dans notre pays, il n’y a jamais eu de véritable travail de cette nature –, suppose une analyse de la performance : il s’agit de déterminer si les dépenses publiques sont efficaces, puis de dégager des marges de manœuvre en rationalisant les modes de gestion.

Elle ne résulte pas, comme je l’ai entendu, d’une quelconque volonté austéritaire. L’austérité, ce serait de préconiser des coups de rabot, qui appauvrissent les services publics, affaiblissent la capacité de la puissance publique à réagir et pénalisent bien souvent la croissance. Or ce n’est certainement pas ce que la Cour des comptes recommande.

Pour ne citer qu’un exemple, nous avons validé sans réserve la politique du « quoi qu’il en coûte » menée par le Gouvernement pendant la crise de la covid-19 ; je vous renvoie au rapport sur le plan de relance que nous avons réalisé à la demande de la commission des finances.

Nous avions en effet conscience de la gravité de la pandémie, durant laquelle 160 000 Français ont perdu la vie, ainsi que de la nécessité de soutenir les ménages et les entreprises et de favoriser la reprise de la croissance, qui a été rapide. Nous ne sommes pas des fourriers ou des parangons de l’austérité ; ce n’est absolument pas le cas.

Ce que nous suggérons, c’est autre chose. Nous plaidons pour une meilleure qualité de la dépense publique, qui aurait effectivement pour conséquence, et non comme préalable, de réduire ou de ne pas renchérir le coût des politiques publiques.

Il nous arrive régulièrement de préconiser des dépenses supplémentaires quand elles sont nécessaires, par exemple – je parle sous le contrôle de Mme la présidente de la commission des affaires sociales – sur les Ehpad. Autre exemple, auditionné hier par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale sur la pédopsychiatrie, j’ai évoqué la nécessité de multiplier par deux le nombre de pédopsychiatres recrutés chaque année.

Ne confondons pas les choses !

La maîtrise des dépenses publiques est d’autant plus indispensable que le consentement à l’impôt a diminué.

Je précise que la Cour ne propose pas non plus une réduction autoritaire du nombre des communes. J’ai entendu, ce qui est normal ici, des prises de position fortes sur le rôle des communes. Je les partage, j’allais dire naturellement, puisque, dans une autre vie, j’ai moi-même été président d’un établissement public de coopération intercommunale. La réduction du nombre de communes ne peut évidemment pas résulter d’une démarche autoritaire ; la Cour n’est pas favorable à une telle verticalité.

Cela étant, nous estimons que, si l’on veut être capable de faire face à des investissements lourds et structurants, c’est dans cette voie qu’il faudra s’engager, sur la base du volontariat, et de manière plus énergique que ce qui a été fait jusqu’à présent. Je constate d’ailleurs le constant ralentissement de ce mouvement.

Monsieur le sénateur Lagourgue, la Cour n’appelle pas du tout à un renforcement de l’État centralisé. Je n’ai aucune nostalgie de cela. Nous mettons au contraire en évidence que la France reste un pays très centralisateur.

Ce que nous demandons est un peu plus subtil et va certainement davantage dans le sens de ce que vous et les membres de votre groupe réclamez : nous voulons un réarmement de l’État déconcentré. En effet, au fur et à mesure que l’on décentralise – et sans doute faut-il continuer ce mouvement –, il faut que les élus puissent disposer d’un interlocuteur, l’État, qui soit un partenaire des stratégies territoriales. C’est en étant plus proche du citoyen que nous améliorerons la qualité du service rendu.

Je le dis ici, on a trop désarmé l’État déconcentré. Les réductions d’effectifs qui sont intervenues tout au long des dernières décennies ont davantage concerné les services déconcentrés que les administrations centrales.

Je ne dis pas qu’il aurait fallu faire le contraire, mais, en toute hypothèse, nous voyons bien que, dans certains territoires, l’État est à la fois indispensable et, pour le dire franchement, à l’os. Cette analyse figure notamment dans le rapport sur les sous-préfectures que nous avons remis, à sa demande, au ministre de l’intérieur et des outre-mer. En tout état de cause, la Cour le dit de manière très claire.

Monsieur Breuiller, je me souviens avec vous – je ne connais pas votre âge, mais nous sommes probablement de la même génération – de l’époque de l’État centralisateur. Votre éloquent plaidoyer nous rappelle qu’il n’y a véritablement aucune raison de regretter cette période, à l’inverse de tout ce que le mouvement historique de la décentralisation a apporté, ne serait-ce qu’en termes de résorption des inégalités territoriales. Vous évoquiez à juste titre le cinéma.

Je partage votre souhait de renforcer la cohérence des compétences de la plupart des politiques publiques. Je vous informe que la Cour publiera avant l’été un rapport thématique sur la gestion de l’eau, qui apportera – c’est le cas de le dire ! – de l’eau au moulin de vos débats et réflexions.

Monsieur Patient, le bilan de la décentralisation tel qu’il est dressé dans ce rapport public annuel ne traite en effet pas des collectivités d’outre-mer, parce qu’il nous a semblé que leur spécificité supposait une approche un peu différente ne pouvant pas s’inscrire facilement dans une analyse trop englobante.

Les thématiques liées à l’outre-mer figurent régulièrement dans la liste des travaux au programme de la Cour. Je pense en outre que le rapport public annuel 2024 permettra de traiter de nombreux sujets les concernant ; nous nous engageons dans cette direction.

Monsieur le sénateur Cozic, je vous ai écouté avec attention, et je ne peux pas être totalement en accord avec plusieurs de vos remarques.

Si je résume, vous estimez que l’inflation contribuerait pour beaucoup à la réduction des déficits. Pour ma part, je ne le crois pas : il y a inflation et inflation.

Le choc inflationniste survenu en 2022 résulte pour l’essentiel d’une hausse du coût de l’énergie, qui a conduit le Gouvernement à prendre des mesures pour en atténuer les effets, en faveur des ménages à la fois, avec les dispositifs dits de « boucliers tarifaires », et des entreprises, avec les fameux « amortisseurs ». Cette politique a pesé de manière significative sur les déficits enregistrés en 2022. J’ai rappelé le chiffre de 36 milliards d’euros pour 2023.

L’inflation a aussi conduit à une forte augmentation, près de 15 milliards d’euros, des charges liées aux obligations indexées sur l’inflation, dans la mesure où notre service de la dette a augmenté avant même que la Banque centrale européenne ne décide d’augmenter ses taux.

Or ces deux éléments sont venus peser sur nos déficits, sans que l’effet positif de l’inflation sur les recettes parvienne à ramener l’équilibre.

L’inflation a in fine conduit les autorités à prendre des mesures de resserrement monétaire, qui a abouti à une hausse des taux d’intérêt. Cela pèsera mécaniquement sur l’investissement et, donc, sur la croissance.

Au total, il me semble que l’inflation, en particulier lorsqu’elle résulte d’un choc au niveau des prix de l’énergie, n’est pas une solution au problème de la dette ni un moyen de renforcer la croissance. Les travaux tant de la Cour que du Haut Conseil des finances publiques le montrent.

Vous avez également sinon accusé, au moins soupçonné la Cour d’être partisane d’une cure austéritaire. Je récuse cette idée.

Nous parlons de la dépense publique. En volume, reconnaissons ensemble que celle-ci est considérable en France, puisqu’elle représente 58 % du PIB, soit huit points de plus que la moyenne de l’Union européenne. C’est beaucoup, alors que nos concitoyens ne perçoivent pas forcément une qualité du service public à la hauteur.

J’aimerais dire que notre système éducatif est en pleine forme, que notre système de santé est au top et que notre politique du logement est merveilleuse. Mais je ne crois pas que les Français le perçoivent ainsi.

Un travail doit donc être mené sur la qualité de la dépense publique, avant même de réfléchir à son volume. Même si les deux problématiques sont incontestablement liées, je préfère prendre les choses dans cet ordre. C’est pourquoi je propose cette revue de la dépense publique.

Je me souviens d’une période où le parti qui est le vôtre, monsieur Cozic, s’attelait à l’assainissement des finances publiques, faisait le choix de l’Europe et travaillait à l’entrée de notre pays dans l’euro.

Je me souviens aussi de Pierre Mendès France, homme de gauche, qui déclarait : « Un pays qui n’est pas capable d’équilibrer ses finances publiques est un pays qui s’abandonne. » Aujourd’hui, je ne fais plus de politique, étant à la tête d’une institution impartiale, mais je n’oublie pas ces paroles, et je pense qu’il ne faut jamais les oublier.

Monsieur Savoldelli, je ne crois pas que la décentralisation ait été dévoyée. Je partage le souhait que vous avez clairement exprimé d’un retour à l’État territorial. Cela correspond du reste au réarmement de l’État déconcentré que j’appelle de mes vœux.

En revanche, je ne vois pas le mouvement de recentralisation que vous avez décrit. Je vois plutôt un empilement un peu contradictoire qui rend les choses illisibles.

Vous réclamez de nouveaux services publics qui seraient à inventer autour du thème de l’égalité. Vous avez enfin fait allusion à la politique de l’eau ; le rapport que j’ai mentionné voilà quelques instants devrait répondre à certaines de vos interrogations.

Monsieur le sénateur Canévet, en réalité, le rapport public annuel de la Cour est destiné au Gouvernement. Il est d’abord remis au Président de la République, avant que je ne vienne le présenter devant les deux assemblées. Le Gouvernement a donc parfaitement connaissance de nos constatations et de nos recommandations.

J’entends bien votre préoccupation sur l’autonomie fiscale des collectivités. La Cour évoque évidemment ce point dans son rapport public annuel. Elle ne souhaite pas, comme je l’ai déjà dit, une réduction autoritaire du nombre des communes. S’il y a confusion à ce sujet, je profite de l’occasion qui m’est donnée de m’exprimer à cette tribune pour rectifier cette idée.

Un rapprochement entre communes ne peut se faire, pour ce qui est d’engager des investissements, que sur la base du volontariat, comme cela s’est déjà vu dans plusieurs départements. Bien entendu, nous savons qu’il existe une très grande hétérogénéité des approches et que certains territoires sont plus impliqués que d’autres. Cela tient sans doute à des raisons historiques et géographiques.

Autant nous ne plaidons pas pour un rapprochement ou une fusion autoritaire des communes, autant il ne faut pas condamner un tel mouvement, qui, sur une base volontaire – j’y insiste –, est parfaitement vertueux.

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