Je reprends rapidement la parole pour développer sur le fond l'idée que je souhaite transmettre à votre commission. Elle s'articule en deux temps : d'abord, une appréciation sur la situation actuelle, que j'ai appelée l'état existant ; ensuite, un effort de prospective, que je qualifie d'état projeté. Je reprends ainsi des termes familiers au monde du bâtiment. Je fais circuler une version écrite de mes analyses.
Je n'adhère pas du tout aux propos, trop souvent entendus, relatifs au ratage de la rénovation énergétique, à l'absence de réalisations ou à la gabegie. Je m'attacherai d'abord aux lumières, mais aussi aux ombres qui caractérisent la situation actuelle. Je présenterai ensuite deux façons d'envisager l'avenir. Je qualifie la première d'ajustement. Elle consiste à aménager et améliorer l'existant. La seconde voie consiste en un « changement de braquet ». J'appelle une telle transformation de mes voeux. En effet, la question de la rénovation du bâti occupera plusieurs dizaines d'années. Elle justifie de mener une politique industrielle. Telle serait ma proposition.
Sur l'état existant, je relève des éléments de stabilité intéressants.
Tout d'abord, le cap annoncé en 2007 et posé en 2009 à l'horizon 2050 demeure. Il a résisté à toutes les majorités, même si certaines périodes furent plus favorables que d'autres. L'objectif n'a pas dévié, ce qui donne de la force à notre sujet.
En deuxième lieu, la prise de conscience est généralisée. En une année, 650 000 personnes ont ainsi sollicité MaPrimeRénov' auprès de l'Agence nationale de l'habitat. Cela témoigne d'une évolution considérable des esprits. La question de la rénovation énergétique est maintenant répandue. Elle ne concerne pas seulement les ménages. Les grandes enseignes de distribution perçoivent elles aussi que leurs clients ne supportent plus les gaspillages d'énergie. Elles envisagent en conséquence des efforts considérables. La société a donc changé.
Dans le même temps, les programmes menés ont continué à manifester une attention prioritaire au soutien des plus fragiles. Ainsi, les ménages modestes se révèlent les principaux bénéficiaires de MaPrimeRénov'. Notre premier groupe de travail, constitué en 2009, était consacré à la lutte contre la précarité énergétique. Nous avons inventé ce qui est devenu le programme Habiter mieux. La situation des plus fragiles doit constituer une priorité toujours réaffirmée de toute politique publique de rénovation.
Le Plan Bâtiment durable a aussi inventé l'écoconditionnalité des aides. Il s'est alors inspiré des pratiques de la Région Basse Normandie, qui subventionnait les seuls travaux réalisés par des artisans qualifiés. Nous nous en sommes inspirés pour élaborer cette certification garante de l'environnement, en dépit de ses faiblesses actuelles.
Par ailleurs, la fin du crédit d'impôt transition énergétique (CITE) se révèle positive. En effet, ce dispositif encourageait à mon sens un effet d'aubaine excessif.
Enfin, il convient de mentionner d'autres éléments positifs comme la mise en place de France Renov' et de ses 550 espaces conseil ou la mise en oeuvre d'une collaboration interministérielle et administrative en matière de rénovation.
Je m'arrêterai là sur les lumières et évoquerai quelques ombres : le fait que les aides se révèlent trop compliquées et versatiles ou que le statut de la copropriété constitue un chantier permanent. Ces éléments ne favorisent pas une dynamique de l'action. De fait, la complexité et le changement des règles incitent à l'attentisme.
Par ailleurs, j'ai toujours émis d'assez fortes réserves sur les rénovations par geste. Je ne crois pas qu'un geste en appellerait un autre. À mon sens, cette idée de départ ne se traduit pas dans les faits. J'estime que deux ou trois actions permettent de conduire vers la rénovation globale sans présenter la même rigueur.
Le pilotage public apparaît également trop morcelé entre plusieurs ministres et secrétaires d'État. La coordination interministérielle demeure insuffisamment dotée et ne peut peser fortement. Enfin, l'intervention des collectivités territoriales demeure trop faible.
Concernant l'état projeté, je passerai rapidement sur la première branche de l'alternative, qui concerne les ajustements. Les axes d'amélioration sont en effet visibles. J'évoquerai juste deux points rapidement.
Tout d'abord, il paraît difficile de réduire la complexité des aides, en raison de la multiplicité de leurs émetteurs : les aides locales viennent s'ajouter à celles de l'État et aux programmes spéciaux. Il convient à mon sens de renoncer à l'idée d'une aide unique. En revanche, un dossier unique serait imaginable, avec un seul interlocuteur et une harmonisation des critères permettant l'accès aux aides.
En second lieu, j'estime impératif d'accompagner sans attendre les bailleurs privés. En effet, la loi Climat et résilience a créé à leur égard une obligation de rénovation des logements énergivores, dont le tempo est soutenu, pour ne pas dire ambitieux. La mise en oeuvre d'un amortissement accéléré des travaux viendrait notamment compléter le doublement du déficit foncier imputable décidé dans le cadre de la loi de finances pour 2023. En effet, le déficit foncier ne me semble pas répondre à tous les cas.
Je terminerai avec mon dernier axe, en abordant une question essentielle : qu'attend-on pour bâtir une politique industrielle et une véritable filière industrielle de la construction et de la rénovation ? J'illustrerai le sujet par deux observations.
D'une part, l'offre de travaux et de service n'est pas suffisamment performante sur l'ensemble du territoire. Cela ne remet aucunement en cause la qualité des personnes qui animent cette offre. J'imagine une politique immobilière couvrant toute la chaîne des acteurs. Elle irait des industriels jusqu'aux gardiens d'immeuble. Elle associerait les financeurs, les assureurs, les gestionnaires, les personnes en charge de la maintenance, etc. La filière immobilière n'a pas réalisé la mue opérée par d'autres industries.
D'autre part, il conviendrait de changer la maille d'intervention. Nous n'atteindrons pas les objectifs fixés en continuant à raisonner au niveau du logement ou de l'immeuble collectif, mais à celui d'une ville, d'un quartier ou d'un pâté de maisons. La réussite des opérations programmées d'amélioration de l'habitat représente à cet égard un modèle. La direction de terrain, opérée par le maire ou le président de l'intercommunalité, assure l'unité de temps, de lieu et d'action qui emporte tous les acteurs concernés. Un maillage élargi permettrait de sortir d'un accompagnement sectorisé. Avec une telle politique, des opérateurs nouveaux, comme les acteurs importants du BTP ou les promoteurs, s'intéresseront à la rénovation de l'existant.
De même, la construction hors site, c'est-à-dire la construction modulaire en site protégé, permettra d'accélérer le rythme de construction sur des chantiers propres. Ce grand mouvement donnera une garantie de performance aux ménages et aux entreprises qui assureront la rénovation de leurs locaux. Cependant, cela suppose l'implication de tous les acteurs.
Enfin, la mobilisation des réseaux bancaires ou à défaut la mise en place d'une banque dédiée sur le modèle allemand sont indispensables. À cet égard, la dilution du Crédit foncier de France dans l'ensemble BPCE a freiné le développement des éco-prêts collectifs auprès des copropriétaires. Le secteur des assurances est également concerné. Il conviendrait d'assurer plus rapidement les produits innovants qui émettent une garantie de performance au bénéfice des maîtres d'ouvrage.
En conclusion, je crois à la possibilité de ce grand saut industriel. J'espère que votre commission le suggèrera. Un pilotage politique unique et une incarnation du sujet seront alors nécessaires.