Merci de m'accueillir ce matin.
Mon propos introductif portera plutôt sur la France, mais nous pourrons parler plus généralement du reste si vous le souhaitez.
Nous sommes le meilleur exemple de ce que la concurrence dans les télécommunications peut permettre de créer. Elle a apporté de l'innovation, de bas prix et beaucoup d'investissements dans les réseaux.
En France, on s'est développé sur un modèle vertueux dans les télécommunications, avec une régulation qui a été extrêmement volontariste du régulateur sectoriel et de l'Autorité de la concurrence, qui a permis d'avoir quatre opérateurs puissants en téléphonie fixe et mobile. Sur ces quatre opérateurs, trois ont une stratégie avec un déploiement international. Je pense que nous sommes le pays au monde le plus présent à l'étranger grâce à la dérégulation.
Dans le cas d'Iliad, cela nous a permis d'aller en Italie avec un grand succès - plus de 10 millions d'abonnés - et en Pologne, où nous sommes le premier opérateur. Nous sommes par ailleurs opérateurs de télécommunications dans une vingtaine de pays, où nous connaissons énormément de croissance.
Dans le même temps, nous nous sommes sentis obligés d'aller voir ailleurs pour que l'ensemble des Français puissent bénéficier de cette concurrence. C'est ce que nous avons fait à la Réunion et à Mayotte. Lorsque Free est arrivé là-bas, les prix se sont écroulés, principalement à la Réunion, où ils ont été divisés par deux, alors que, dans le même temps, les prix restaient très hauts aux Antilles. Nous venons de nous y lancer, et l'impact sur les prix est significatif. L'idée était de rendre à tous les Français le bénéfice d'une concurrence effective et réelle.
Aujourd'hui, grâce à ces investissements, Iliad est devenu le sixième opérateur paneuropéen. Nous avons un peu plus de 42 millions d'abonnés en Europe et avons réalisé 8 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2022.
En France, nous comptons 14 millions d'abonnés mobiles et 7,2 millions d'abonnés à qui nous délivrons un service fixe en fibre optique et en ADSL. Nous sommes le deuxième employeur du secteur derrière Orange, avec plus de 10 000 salariés directs en France, et probablement la société qui, en France, investit le plus. Nous investissons environ 25 % de notre chiffre d'affaires annuel dans nos réseaux. Nous sommes montés jusqu'à 30 %, ce qui donne des chiffres très élevés pour une société qu'on peut qualifier de mature, puisque notre croissance est aujourd'hui de l'ordre d'environ 10 % chaque année.
En France, la stratégie de Free est extrêmement simple : nous sommes un opérateur fixe et mobile. Nous proposons des offres simples et attractives. Comme tous les autres opérateurs, nous sommes nés de la possibilité d'utiliser le réseau d'Orange en pratiquant le dégroupage et avons migré vers une activité dans laquelle nous déployons nos propres réseaux en fibre optique. Nous disposons de nos propres sites mobiles. Nous en avons plus de 23 000 en France. Nous déployons et exploitons nos propres réseaux et, dans le même temps, avançons pour diminuer notre empreinte environnementale.
En France, nous pouvons nous réjouir d'une couverture élevée du très haut débit en fixe et en mobile. La France est parmi les grands pays les plus couverts en termes de foyers où l'on peut s'abonner à la fibre optique. Les opérateurs alternatifs supportent une grande partie des investissements. 60 % des investissements dans la fibre optique jusqu'au domicile (FTTH) sont réalisés par les trois opérateurs alternatifs, Orange en conservant 40 %. Cette part continue à diminuer.
Cet investissement est un investissement lourd. On a parfois le sentiment, lorsqu'on rencontre des politiques ou des entreprises sur le terrain, que la totalité de ces investissements sont réalisés par Orange. Or, ils sont majoritairement réalisés par les opérateurs alternatifs nouvellement entrants sur ces sujets.
Un élément est extrêmement important : la réalité de la concurrence qui existe en France fait que nous bénéficions des tarifs parmi les plus bas en Europe. À pouvoir d'achat équivalent, les États-Unis pratiquent des prix trois à quatre fois plus élevés que les prix français.
Vingt-cinq ans après, - nous étions là dès 1998 -, on a donc un bilan d'ouverture à la concurrence très positif.
Des sujets doivent être traités collectivement. Il reste à réaliser beaucoup d'investissements, à couvrir la totalité des foyers en termes de fibre optique, à opérer des raccordements finaux complexes coûteux, à améliorer notre couverture mobile, alors qu'on nous dit dans le même temps qu'il faut une meilleure couverture mais moins d'antennes. Il nous reste également à déployer les nouvelles technologies 5G et à aborder la question de la résilience des réseaux.
Des problèmes persistent sur les conditions envisagées pour l'arrêt du cuivre, qui ne sont pas satisfaisantes et dont le calendrier est trop étendu. Le contexte est difficile pour les opérateurs du fait de l'inflation, de la hausse significative des coûts de l'énergie - même si la France n'est pas parmi les pays les plus mal lotis - et des taux d'intérêt qui montent. Tous les opérateurs sont endettés, les demandes de déploiement de réseaux ayant été mises en oeuvre parce que la totalité des opérateurs de télécommunications français ont vendu des actifs pour financer ces très lourds investissements, notamment dans la fibre. Nous avons tous vendu nos antennes pour récupérer du cash et l'investir dans le déploiement de la fibre optique.
À côté de cela, on a besoin d'une stabilité et d'un cadre concurrentiel équitable. J'aimerais à ce sujet vous parler de trois points précis : l'arrêt du cuivre, la fiscalité dont l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseau mobile (Ifer) et la couverture mobile des zones blanches et grises.
L'arrêt du cuivre est pour nous un problème important. Il faut se mettre à la place de l'utilisateur : quand on déploie une zone en fibre optique, 80 % des personnes qui sont dans cette zone vont spontanément prendre, en quelques années, un abonnement à la fibre optique. Cela va être extrêmement facile, chacun en voyant tout l'intérêt. Quand ces personnes vont déménager, elles ne vont pas redemander de l'ADSL, mais prendre la fibre.
Dans environ 10 % des foyers, on va devoir expliquer les choses et réussir à les convaincre. Les irréductibles représentent, en fonction des zones, 10 à 15 % des foyers. Leur ADSL fonctionne, et ils ne souhaitent pas changer. Le seul élément qui va les faire basculer, c'est l'extinction du cuivre. On l'a vu à Lévis-Saint-Nom et dans certains endroits où on a mené des expérimentations. Les seuls moments où cela fonctionne, c'est lorsqu'on retire le cuivre et qu'il faut basculer vers la fibre optique.
Collectivement, on doit donc prendre la décision d'éteindre le plus rapidement possible ce réseau cuivre, en premier lieu parce que cela va réduire l'impact environnemental. Avoir deux réseaux en parallèle a un impact environnemental double, voire un peu plus, le cuivre étant extrêmement consommateur d'énergie.
Cela signifie également optimiser l'investissement. Plus ces réseaux de fibre optique sont remplis, plus notre investissement est rentabilisé.
Nous pensons qu'Orange propose un plan peu ambitieux, avec des fermetures techniques qui commencent longtemps après la fermeture commerciale. On va en effet continuer à vendre des accès et à les laisser vivre. À la vitesse proposée par Orange, je pense qu'on pourra continuer pendant longtemps à avoir du cuivre sur la moitié des lignes en exploitation. Nous ne comprenons pas ce qui nous empêche d'éteindre les grandes villes. On a mené des expérimentations dans des villes moyennes, dans de petites villes : cela fonctionne très bien.
Aujourd'hui, on propose de déréguler Orange sur des zones fibrées sans pousser à une extinction rapide du cuivre. Nous pensons que c'est une erreur pour la France de laisser cinq ans pour ce faire. Cela n'apporte rien de plus.
Dans le même temps, on nous dit qu'on va fortement augmenter le tarif du dégroupage sur ces zones pour subventionner Orange d'une certaine manière. Si Orange a un problème dans ces zones, qu'il éteigne le cuivre et qu'on pousse collectivement ces foyers à passer à la fibre optique !
Nous pensons que cette proposition est critiquable. Rien ne justifie d'augmenter le tarif du dégroupage tant que le cuivre n'est pas réellement arrêté. C'est une formidable rente de situation pour Orange, avec une technologie obsolète et des abonnés qui n'ont pas envie de changer. Tant qu'on ne les contraindra pas à migrer, on n'y parviendra pas.
La fermeture commerciale n'a aucun impact sur la migration de ces abonnés qui ne vont pas choisir la fibre optique si la date de fermeture du réseau cuivre est lointaine. Si Orange reçoit plus de recettes pour le cuivre, on ne le motive pas à fermer ses réseaux. Aujourd'hui, les opérateurs natifs migrent plus vite les abonnés ADSL vers la fibre optique qu'Orange. En outre, l'ADSL, chez Orange, est vendu 10 euros moins cher que la fibre optique.
Tous ces éléments nous font penser que permettre une dérégulation sur ces zones est une erreur. L'Arcep va perdre tout contrôle sur Orange, qui pourrait même décider de conserver le cuivre encore plus longtemps, voire de continuer à augmenter les tarifs.
Un autre élément me paraît extrêmement important : aucun pays d'Europe n'a augmenté ses tarifs de dégroupage, et l'Union européenne recommande une stabilité des prix.
Notre vision est simple : arrêter le cuivre est important, et il faut accélérer les choses. S'il y a une hausse du tarif de dégroupage, elle doit intervenir un an avant la fermeture technique de ces réseaux pour accélérer la migration des abonnés récalcitrants. La hausse du dégroupage ne va servir qu'à augmenter la rente d'Orange.
Nous avons été étonnés d'entendre la directrice générale d'Orange parler d'un deal avec l'Arcep et annoncer qu'une augmentation du tarif de dégroupage est acquise en 2024, avant toute analyse de marché. Le deal est sûrement à la mode, mais on a le droit, dans les télécommunications, d'espérer une forme de concurrence différente. La dérégulation ne doit donc intervenir que lorsqu'on a une date rapide d'extinction du cuivre.
À côté, on a besoin d'un accompagnement et d'explications sur cette fermeture pour rassurer les populations. On l'a fait avec la TNT. Nous pensons que l'on doit faire un grand plan identique et expliquer que le cuivre n'est conservé que pour ceux qui ne peuvent accéder à la fibre optique. C'est un sujet incroyablement important. Une dérégulation trop rapide et mal encadrée peut venir bouleverser le secteur. C'est notre principal point d'inquiétude aujourd'hui.
Autre sujet qui nous tient à coeur, celui de la fiscalité. La fiscalité sectorielle est un véritable fardeau. Nous sommes, je pense, avec l'énergie, le secteur le plus surtaxé de ce pays. L'Ifer mobile est insupportable et injuste. Nous sommes spécialistes, en France, pour taxer les télécommunications, en général avec une bonne raison.
Je me souviens de la taxe sur les distributeurs de services de télévision (TSTD) en faveur du Centre national du cinéma (CNC), en contrepartie d'une TVA à 5,5 % que nous devions acquitter lorsque nous vendions des abonnements de télévision. La TVA est revenue à 20 % sur les abonnements de télévision : on a conservé cette taxe !
On a créé une taxe infinitésimale sur les distributeurs de services de télévision pour compenser l'arrêt de la publicité sur France Télévisions. La taxe ne va à présent plus à France Télévisions, mais au budget général !
L'Ifer mobile, qui devait compenser la perte de la taxe professionnelle, s'élevait, pour le secteur à 120 millions d'euros. En 2022, on est à 270 millions d'euros, et on sera à 500 millions d'euros en 2027. Cette taxe est injuste. Elle est basée sur le nombre de fréquences et le nombre d'antennes. Bien évidemment, plus on nous demande de déployer nos réseaux de capacité, de rapidité, de fréquences et une meilleure couverture, plus cette taxe augmente.
On nous promet régulièrement une réforme qui ne vient pas, et nous avons l'impression d'être pris dans le feu de la relation entre l'État et les collectivités.
La taxe Ifer est inéquitable. Elle ne s'applique pas de la même manière à tous les opérateurs. Deux opérateurs mutualisent leur réseau, Bouygues et SFR. Ils font du renchering. Cela pose par ailleurs un certain nombre de problèmes quand le réseau de l'un ou de l'autre est en panne. On perd alors 50 % de capacité, mais ils se partagent cette taxe, alors qu'Orange et Free payent une surtaxe.
Parallèlement, Orange et Free sont punis puisqu'ils n'ont pas le droit d'utiliser Huawei en France, alors que Bouygues et SFR le peuvent. Ceci a un impact car les équipements de Huawei consomment 30 % d'énergie en moins que les équipements que nous avons le droit d'utiliser.
Aujourd'hui, Free Mobile paye deux fois plus d'Ifer que SFR ou Bouygues Telecom, ramené au chiffre d'affaires. En 2027, ce sera trois fois plus.
C'est un sujet important pour nous. Un plafonnement ou une taxe sur le chiffre d'affaires - bien que ce soit tout ce que l'on déteste - nous semblerait plus juste. La disparition de la taxe me paraîtrait en toute franchise s'imposer ou, à tout le moins, une meilleure répartition entre les différents opérateurs.
Le troisième sujet que j'aimerais évoquer est celui de la couverture mobile. Nous nous étions engagés collectivement, dans le New Deal, à rajouter 5 000 sites : 2 300 sont aujourd'hui en service. Les autres sont en cours de construction, les 800 derniers ayant été affectés en 2023. Nous pensons qu'il serait intelligent d'éviter un point de coupure quand ces 5 000 sites seront en fonction, et de mettre en oeuvre un New Deal 2. En effet, vous aurez bien évidemment des demandes supplémentaires de couverture. Il s'agit d'une vision à long terme.
Cela évitera, en 2030, des discussions longues sur le renouvellement des fréquences pour les opérateurs. Nous pensons que les pouvoirs publics devraient profiter de cette opportunité dès maintenant pour regarder comment avancer et définir un volume de sites à déployer en zones blanches et en zones grises. Nous pensons que cela ne pourrait avoir que des effets positifs, sans quoi on va se retrouver avec ces 5 000 sites, des zones blanches et des zones grises où vous pourriez avoir des demandes.
Depuis dix ans, nos investissements sont au plus haut. On est montés jusqu'à 30 % de notre chiffre d'affaires. L'année dernière, nous étions à 25 % pour assumer des obligations de couverture fibre et mobile, qui sont des demandes fortes de couverture étendue.
Nous connaissons un problème de surfiscalité. Comment concurrencer les Gafam ? En ayant des moyens ! La quasi-totalité du cash produit par les télécommunications l'est aujourd'hui par Orange. Les opérateurs alternatifs, depuis des années, ne génèrent pas de cash-flow positif parce qu'ils investissent lourdement dans leurs réseaux, avec des fréquences qui sont dans le même temps vendues toujours plus chères. Je vous l'ai dit, nous avons vendu énormément de nos pylônes pour financer tout cela.
Malgré tout, il nous reste beaucoup de travail à accomplir pour continuer à déployer ce réseau. Dans le même temps, alors que nous avons des bilans tendus, on nous parle d'augmenter les tarifs de dégroupage, de complétude des réseaux fibre, de résilience - et j'oublie toutes les autres idées que vous pourriez avoir pour taxer les opérateurs.
Nous sommes des sociétés responsables en grande majorité. Nous utilisons le cash que nous arrivons à générer pour réinvestir, nous développer à l'international et concurrencer les Gafam. À un moment où les pouvoirs publics réclament la réindustrialisation, l'indépendance nationale, la présence française dans les domaines stratégiques, l'intelligence artificielle, la cybersécurité, ce n'est pas une très bonne chose que d'appauvrir les groupes les mieux à même de défendre nos couleurs !