Comme M. Rousselot l'a expliqué, nous nous sommes intéressés aux liens entre l'enseignement supérieur et les territoires, en laissant de côté, à contrecoeur, la recherche.
L'accès à l'enseignement supérieur est marqué par de grandes disparités géographiques. Ainsi, le taux de diplômés chez les 25-34 ans décroît à mesure qu'on s'éloigne des grandes villes. La présence d'un établissement d'enseignement supérieur fait augmenter ce taux de façon locale, preuve des liens entre politiques d'aménagement du territoire et politiques d'enseignement supérieur.
Le concept même d'université est éclaté dans des réalités très diverses. De fait, les établissements qui ont ce titre en partage n'ont plus grand-chose en commun. Les universités héritent de disparités historiques en matière de finances, de profils étudiants et de place dans la recherche. Ces disparités ont été récemment accentuées, notamment par les investissements d'avenir, destinés à créer dix à vingt universités d'excellence en recherche. Les petites universités, celles qui accueillent moins de 20 000 étudiants, ne sont plus en mesure de capter ces financements sélectifs pour mener leurs recherches dans l'ensemble des disciplines.
Pour prendre en compte ces disparités, les universités se sont regroupées : Association des universités de recherche, Association des universités de recherche et de formation, petites et moyennes universités...
La possibilité de créer des établissements publics expérimentaux, prévue par l'ordonnance Vidal de 2018, concrétise juridiquement ces disparités.
Le dispositif d'allocation des moyens du ministère - le système de répartition des moyens à la performance et à l'activité (Sympa), progressivement complexifié et auquel se sont ajoutés le dialogue stratégique et de gestion (DSG) et des dispositions spécifiques issues de la loi de programmation de la recherche - n'a pas évolué pour prendre en compte ces réalités. Très centralisé, il ne tient compte ni de la qualité des formations, ni du territoire occupé. Il est devenu illisible pour les universités elles-mêmes.
Pour sortir de cette situation, la Cour des comptes propose deux scénarios.
Le premier consiste à catégoriser les établissements sur le fondement de critères objectifs : nombre d'étudiants, place de la recherche... Nous avons élaboré plusieurs catégorisations, en fonction des grandes missions des universités.
La seconde option repose sur un dialogue individualisé, autour de contrats d'objectifs et de moyens ; elle pourrait passer davantage par les services déconcentrés.
Quoi qu'il en soit, la Cour des comptes recommande d'instaurer un nouveau modèle d'allocation des moyens, reposant sur des critères d'activité et prenant en compte l'environnement territorial.
Nous avons constaté que le titre d'université était insuffisamment protégé : des établissements privés l'utilisent, alors que le code de l'éducation l'interdit. De même pour les titres de licence et master. Tout cela participe à une confusion entre le public et le privé, voire à une concurrence entre établissements publics. La Cour des comptes recommande au ministère de mieux veiller au respect de ces dénominations, dans l'intérêt des étudiants.
S'agissant des enjeux territoriaux des missions d'enseignement supérieur et de vie étudiante, nous nous sommes intéressés aux antennes, aux campus connectés et aux centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires (Crous).
Nous avons été surpris de constater qu'aucune définition n'existait d'une antenne ; nous en avons proposé une. Nous avons dénombré 150 sites secondaires d'enseignement supérieur, accueillant 91 000 étudiants, dont les trois quarts sont en premier cycle et un tiers en instituts universitaires de technologie (IUT). Ces antennes accueillent 11 % des néobacheliers : elles sont donc un acteur important de l'accès à l'enseignement supérieur. Elles accueillent davantage d'étudiants ruraux et issus de milieux défavorisés. La réussite y est similaire à celle du siège, mais le taux de poursuite en deuxième cycle y est plus faible. Le coût d'un étudiant en antenne est similaire à celui d'un étudiant au siège, voire légèrement inférieur : pour autant, il est toujours perçu comme un coût supplémentaire.
La Cour des comptes recommande au ministère de reconnaître ces antennes et de mieux les évaluer pour intégrer la dimension territoriale dans le calcul de la subvention pour charge de service public. Le ministère ne peut pas se cacher éternellement derrière l'autonomie des établissements sur une question de cette importance.
Lancés en 2019, les campus connectés visent aussi à rapprocher les formations des étudiants. En pratique, il s'agit de mettre à la disposition des étudiants du matériel informatique et du tutorat. Ces dispositifs ont été financés par le troisième volet des programmes d'investissement d'avenir (PIA) et par les collectivités territoriales. À la rentrée 2022, 87 campus connectés accueillaient 1 015 étudiants. Nous nous interrogeons sur leur pertinence, au vu de leur coût annuel, de 13 000 euros par étudiant - voire 100 000 euros dans les deux campus qui n'ont accueilli qu'un étudiant... Nous recommandons d'établir rapidement un bilan de ces campus ; le ministère s'est engagé à le faire dès cette année.
Les liens entre les établissements et les territoires doivent être examinés aussi du point de vue de la vie étudiante. La Cour des comptes rejoint le constat dressé par d'autres, dont l'inspection générale des finances : l'absence de directions nationales claires dans ce domaine, qui conduit à des niveaux d'implication très différents selon les établissements.
Le schéma directeur de la vie étudiante, prévu par la loi Fioraso de 2013, est une initiative louable, mais pourrait être plus efficace en se concentrant sur les partenariats les plus fréquents ; cela revient à passer de l'échelle régionale à l'échelle métropolitaine ou départementale.
Quant aux Crous, qui restent les acteurs centraux de la vie étudiante, la Cour des comptes estime qu'un rapprochement avec les universités pourrait présenter de nombreux avantages, dont la création d'un guichet unique pour les étudiants et une meilleure coordination de terrain - aménagement des horaires de cours pour réduire les files d'attente aux restaurants universitaires, par exemple. Interrogées par nos soins, les universités sont globalement opposées à cette perspective - 65 % des réponses sont défavorables. Une montée en puissance progressive des universités en matière de vie étudiante paraît donc préférable. Toutefois, des rapprochements pourraient être expérimentés dans les universités volontaires.
Alors que l'enseignement supérieur a longtemps été considéré comme une compétence exclusivement régalienne, les collectivités territoriales en sont aujourd'hui des alliées précieuses, finançant l'enseignement supérieur et la recherche à hauteur de 1,5 milliard d'euros, dont les deux tiers proviennent des régions et un quart par le bloc communal. Souvent, les régions, pourtant chefs de file depuis la loi NOTRe, n'assurent pas ou ne peuvent assurer pleinement la bonne coordination avec les autres collectivités territoriales. Il en résulte une répartition perfectible des financements, voire leur dispersion.
Le ministère peine à associer les collectivités territoriales à l'exercice de contractualisation qu'il mène tous les cinq ans, malgré les récentes dispositions de la loi de programmation pour la recherche qui l'y invitent. Nous estimons qu'une réforme de son organisation est nécessaire pour qu'il exerce pleinement son rôle de stratège et prenne mieux en compte les spécificités territoriales. Dans le même sens, la fonction de recteur délégué pour l'enseignement supérieur, la recherche et l'innovation (ESRI) a été créée dans certaines régions ; la Cour des comptes regrette que le rôle de ces recteurs délégués et leurs missions ne soient pas clairement établis, les recteurs de région académique restant chanceliers des universités.
Enfin, nous avons étudié, pour la première fois, les liens entre les universités et les entreprises. Certaines universités ont lancé des évaluations de leur impact économique sur leur territoire et, en quelque sorte, du retour sur investissement de l'argent public investi. Ces initiatives sont louables, mais nous recommandons d'établir un cadre méthodologique national. Les acteurs du monde économique s'affirment comme des interlocuteurs essentiels des universités, à rebours de l'image traditionnelle d'universités éloignées des entreprises. Nous avons réalisé un sondage auprès de plus de 400 chefs d'entreprise : une majorité d'entre eux souhaiteraient être davantage informés de l'offre de formation des universités de leur territoire ; un tiers aspirent à influer davantage sur les évolutions de cette offre ; un cinquième aimeraient être mieux intégrés dans les parcours universitaires. La plupart d'entre eux déplorent un manque de réactivité dans la construction et l'agrément des diplômes. Nous recommandons que les rectorats puissent, à titre expérimental, faciliter les procédures d'accréditation.