Intervention de Vincent Delahaye

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 29 mars 2023 à 9h00
Avenir des concessions d'autoroutes — Audition de Mm. éric Jeansannetas président et vincent delahaye rapporteur de la commission d'enquête sur le contrôle la régulation et l'évolution des concessions autoroutières 2020

Photo de Vincent DelahayeVincent Delahaye, rapporteur de la commission d'enquête sur le contrôle, la régulation et l'évolution des concessions autoroutières :

La commission d'enquête a permis de faire un point complet sur le dossier des concessions historiques - 9 000 des 12 000 kilomètres d'autoroutes - et de rééquilibrer le rapport de force entre l'État et les sociétés concessionnaires, principalement Vinci, Eiffage et Abertis. Quand on est concédant, on doit aussi avoir un poids. Or le poids de l'État était insuffisant.

Nous avons fait trois principales propositions.

La première était de ne surtout pas proroger les contrats existants et de mettre fin au système des travaux contre prorogation, contrairement à ce qui s'est fait en 2015 - 4 milliards de travaux ont été prévus contre une prorogation de trois ans. En fait, les sociétés d'autoroutes sont largement gagnantes, mais la collectivité est perdante. Le péché originel est que les contrats n'ont pas été modifiés lors de la privatisation. En 2002, Lionel Jospin, alors Premier ministre, a décidé d'ouvrir le capital des Autoroutes du Sud de la France (ASF) à hauteur de 20 %, le reste a suivi sous Dominique de Villepin. Il aurait alors fallu modifier les contrats et prévoir une clause de revoyure, ce qui n'a pas été fait. Pour ma part, je considère qu'il s'agit de contrats léonins, car on ne peut pas signer de contrat portant sur une durée d'une vingtaine d'années sans prévoir une clause de ce type. Sur ce premier point, je pense que l'action du Sénat a permis d'arrêter les projets de prorogation.

La deuxième proposition portait sur l'équilibre économique et financier des contrats, qui est le point central d'un contrat de concession. Or cet équilibre est toujours évoqué mais n'est jamais défini. Nous avions donc souhaité l'organisation d'une table ronde réunissant l'État, les concessionnaires et l'ART afin de définir cet équilibre. Pour notre part, nous avons considéré qu'il s'agissait de la rentabilité attendue par les actionnaires. Lorsque ces derniers ont investi en 2002, puis en 2006, ils se sont fixé comme objectif un taux de rentabilité de 8 %. Or les chiffres que nous communiquaient les sociétés d'autoroutes étaient toujours couverts par le secret des affaires ; nous ne pouvions pas les publier. Aussi avons-nous publié nos propres prévisions, qui ont été largement confirmées en 2021-2022. Nous avons pu ainsi calculer la rentabilité des actionnaires sur la durée des contrats.

Les sociétés d'autoroute vous diront que la rentabilité se mesure à la fin des contrats, mais il sera alors trop tard ! Aujourd'hui, on considère que Vinci aura atteint les 8 % à la fin de l'année 2023, Eiffage à la fin de 2024. Or les contrats d'Eiffage courent jusqu'en 2034, ceux de Vinci jusqu'en 2036. Abertis atteindra la rentabilité en2031, année de fin de ses contrats.

L'Inspection générale des finances (IGF), dans son rapport qui devait rester secret, mais qui a fini par fuiter, a confirmé la méthodologie appliquée par la commission d'enquête du Sénat pour calculer la rentabilité pour les actionnaires. Elle fait état de quelques petites erreurs méthodologiques de la part de la commission d'enquête, mais je les conteste et j'écrirai à Bruno Le Maire à ce propos. Dans son rapport, l'IGF a repris les réponses du président d'Eiffage, qui ne concernaient pas la méthodologie elle-même.

L'IGF considère que la rentabilité atteindra 12 % à la fin des contrats - nous avions dit 11,3 %, nous sommes dans les mêmes eaux-, mais l'Autorité de régulation des transports l'estime à environ 7,6 %. Les sociétés d'autoroutes s'appuient donc sur l'ART et arguent qu'il n'y a pas de surrentabilité. En réalité, l'ART calcule une rentabilité par projet, mais le détail de ses calculs ne figure pas dans son rapport.

Pour notre part, nous calculons ce que l'investissement a rapporté aux actionnaires. Il faut avoir en tête ces différences de modes de calcul pour discuter de l'équilibre économique et financier. C'est important, car les sociétés concessionnaires peuvent remettre en cause les contrats si elles considèrent que l'équilibre financier n'est pas celui qu'elles avaient prévu à l'origine. Elles ont le droit de dénoncer le contrat.

Par parallélisme des formes, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas dénoncer des contrats dès lors que l'équilibre économique et financier est atteint sur l'ensemble du contrat. Ainsi, Vinci atteindra 8 % de rentabilité en 2023, même si ce taux est ensuite de zéro jusqu'à la fin des contrats. Je considère donc que l'État peut exercer une pression sur les concessionnaires. Notre rôle aujourd'hui est de mettre la pression sur l'État et sur le Gouvernement afin de rééquilibrer le rapport de force avec les sociétés concessionnaires d'autoroutes.

Notre troisième recommandation était de préparer l'avenir, même si les contrats vont à leur terme. Pour ma part, je ne souhaite pas qu'ils aillent à leur terme. À cet égard, je demanderai à Bruno Le Maire des détails sur sa saisine du Conseil d'État, dont je souhaite connaître la réponse. Si le Gouvernement joue la transparence, nous devrions l'obtenir. Je tiens à m'assurer que l'objectif est bien de réduire la durée des contrats actuels et non pas celle des contrats futurs, tout le monde s'accordant sur la nécessité de réduire la durée de ces derniers.

Pour ma part, je pense que le système des concessions est un bon système dès lors que l'on a de bons contrats et que l'on effectue un bon suivi. Or, en l'espèce, ce n'est pas le cas.

Il est important de préparer l'avenir. Va-t-on continuer avec le modèle des concessions ? Pour quelle durée ? Avec quel type de contrat ? Faut-il créer une société des autoroutes de France qui permette de récupérer de l'argent et de flécher ces ressources sur certaines dépenses, des routes et des infrastructures de transport ? Enfin, il faut absolument veiller à la remise des biens de retour en bon état à la fin de la concession. Or on a plutôt assisté à une baisse des investissements sur les dernières années de contrat, ce qui est assez classique.

J'ajoute enfin qu'il ne faut pas craindre les contentieux. Les sociétés d'autoroutes déposent toujours des contentieux. Elles sont ainsi actuellement en contentieux avec l'État concernant l'indexation des taxes d'aménagement, au motif qu'elle va leur coûter un milliard d'euros d'ici à la fin des contrats en 2036. Or il faut savoir que la baisse du taux de l'impôt sur les sociétés de 33 % à 25 % va leur rapporter, sur la même durée, 7 milliards d'euros ! Elles déposent un contentieux pour un milliard d'euros, mais elles empochent tranquillement 7 milliards... Ces sociétés ont les moyens de payer beaucoup de juristes, avec de l'argent public d'ailleurs, celui des usagers. Il faut que la puissance publique montre qu'elle ne craint pas un éventuel contentieux et que le rapport de force s'inverse.

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