Intervention de Gilles Cremillieux

Mission d'information Commune et maire — Réunion du 29 mars 2023 à 17h00
Audition de maires de la montagne

Gilles Cremillieux, maire d'Orpierre (Hautes-Alpes) :

La commune d'Orpierre a la chance d'être entourée de falaises et d'avoir eu, dans les années 1980, des bénévoles passionnés qui, bien avant que l'escalade ne devienne à la mode, ont fait d'Orpierre « La Mecque de la grimpe ».

Je suis devenu maire après treize ans d'enseignement et vingt-cinq ans à la direction d'un groupe de presse régionale. Sans doute le fait de côtoyer nombre d'élus m'a-t-il donné l'envie de passer de l'autre côté de la barrière et de vivre cette expérience.

Être maire en milieu rural reste une belle aventure. À l'instar du médecin ou du curé - deux espèces en voie de disparition -, le maire est encore quelqu'un dans le village. Néanmoins, cette image pagnolesque et idyllique ne résiste pas longtemps à l'analyse.

Il y a d'abord le constat d'une profonde mutation de notre société et des comportements de nos concitoyens. Le respect traditionnellement témoigné à l'élu a laissé la place à une exigence véhémente de tous les instants. Le « moi je » et le « parce que c'est moi » l'emportent trop souvent sur la solidarité et sur le sens collectif. Ainsi, quand il traverse la place du village, la première mission du maire est de régler le problème dans les meilleurs délais...

Il y a ensuite un sentiment de perte progressive de compétences au profit de l'intercommunalité. Si les transferts de compétences peuvent paraître rationnels à quelques esprits technocratiques, ils n'en sont pas moins préjudiciables en ce qu'ils diluent les responsabilités. Les décisions sont de plus en plus lointaines et anonymes, alors que le maire, lui, on le voit !

Les maires sont aussi désemparés face à l'avalanche de sollicitations pour des projets ou subventions. En dépit des efforts de soutien, notamment de la part du département, ni le maire ni son personnel ne sont suffisamment formés pour monter les dossiers. C'est compliqué, cela prend du temps et généralement, quand nous arrivons au terme de nos hésitations, pour le fonds vert par exemple, d'autres sont déjà passés.

Par ailleurs, le quotidien du maire est rythmé par de multiples réunions : syndicat de rivière, syndicat d'électricité, parc naturel régional, communauté de communes... Ces réunions sont chronophages et le fardeau est lourd à porter, notamment pour les maires de petites communes, qui ne peuvent pas déléguer leur présence.

Enfin, le désarroi s'exprime également devant le manque de moyens financiers. Vous l'avez sans doute vécu : les jeunes maires prennent leurs fonctions avec l'envie de révolutionner leur commune. Ils déchantent très vite, quand la réalité les ramène à la raison. La DGF, notamment, reste pour moi une alchimie secrète. Je pensais naïvement que, en faisant classer ma commune en commune touristique, j'obtiendrais un traitement spécifique. Il n'en a rien été et cela mérite selon moi réflexion.

Je reconnais que, depuis le covid notamment, les pouvoirs publics ont redécouvert le rôle irremplaçable du maire. Indiscutablement - on parle d'ailleurs du couple préfet-maire -, la relation avec le préfet, dont les services sont davantage à l'écoute, a évolué. Cela ne règle pas pour autant le problème de l'avalanche des normes, qui sont souvent édictées par des gens qui n'ont pas la connaissance du quotidien des communes rurales et de montagne.

Prenons l'exemple des plans locaux d'urbanisme (PLU). Pour les élaborer, on part des chiffres constatés sur les dix dernières années et on les projette sur les dix prochaines. Mais cette arithmétique ne tient pas compte des dynamiques ! Le maire précédent a pu ne pas faire d'efforts pour accueillir de nouveaux résidents et son successeur peut avoir l'ambition inverse. Avec ce système, ce dernier se trouve bloqué : on lui explique qu'il n'a consommé qu'un hectare les années précédentes et qu'il ne peut donc pas prétendre à beaucoup plus...

Dans le quotidien du maire, la compétence de l'eau est sacrée, la fuite d'eau étant l'un des éléments auquel le maire est identifié. Transférer cette compétence aux intercommunalités comme le prévoit la loi de 2016, c'est nous enlever une légitimité et un pouvoir. Sans refaire la loi, nous pourrions imaginer un transfert à la carte. Je conçois que le maire d'une petite commune du bassin parisien ne tienne pas du tout le même raisonnement que moi, mais dans une commune de montagne où la source est sacrée, il faut nous laisser cette compétence ! En cas de fuite, un seul téléphone sonne : c'est celui du maire et les demandes sont pressantes.

À l'horizon de 2030, je crains donc que le maire ne soit devenu progressivement un guichet unique des pleurs et des mécontentements et qu'il soit dépourvu des moyens d'agir. Nos citoyens nous voient comme celui qui a le pouvoir de régler les problèmes. Si l'on nous enlève ce pouvoir, nous sommes perdus.

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