Cette proposition de loi a été déposée par Philippe Brun, jeune député de l'Eure. Il a réussi à obtenir un vote quasi unanime de l'Assemblée nationale : un seul député a voté contre. Cette majorité est constituée de députés Nupes, Rassemblement national et Les Républicains, unis comme au front, pour éviter le démembrement d'EDF.
Trois dispositions expliquent ce vote surprenant, permis notamment par l'absence des députés Renaissance qui avaient quitté l'hémicycle, estimant que l'article 40 de la Constitution aurait dû s'appliquer. Selon le ministre, l'Assemblée nationale voterait ainsi une proposition de loi dont la mise en oeuvre des dispositions coûterait 18 milliards d'euros aux finances publiques. M. Philippe Brun souhaite que le Gouvernement s'explique sur l'avenir d'EDF au moment où il met en oeuvre une procédure décidée en juillet 2022, rendue possible dans les lois de finances rectificative (LFR) : le rachat et le retrait des actions cotées d'EDF, pour que l'État acquière 100 % des actions, ce qui aboutit à retirer les actions de la cote. Cette action gouvernementale est légitime, et les moyens lui sont donnés par la LFR de fin 2022, mais ne s'accompagne pas d'un exposé clair des projets du Gouvernement sur EDF.
Philippe Brun, ayant fait un contrôle sur place et sur pièces, estime que l'idée sous-tendant le projet Hercule, à savoir la séparation du nucléaire et de l'hydraulique d'un côté, du reste des activités de l'autre, n'est pas abandonnée. L'Agence des participations de l'État (APE) poursuit d'une façon systématique des réflexions sur EDF et le Gouvernement est bien en mal de donner son avis sur l'avenir d'EDF, qui dépend beaucoup des futures règles du marché européen de l'électricité ; celui-ci a des effets pervers redoutables quand le prix de l'électricité est tiré vers le haut, à des niveaux inacceptables, par le coût marginal de la dernière centrale appelée qui s'applique ensuite à l'ensemble du marché européen.
Il y aurait trois raisons de soutenir le texte tel qu'il a été voté par l'Assemblée nationale, mais aucune n'est vraiment bonne. D'abord, la renationalisation est un affichage, qui, certes, a du sens pour ceux qui l'avaient souhaité, comme les communistes, qui retrouvent ainsi l'action de Marcel Paul, qui avait nationalisé EDF en 1946. Jusqu'en 2005, EDF était un établissement public à caractère industriel et commercial (Epic), avant de devenir une société anonyme (SA). C'est un retour vers le passé, ce qui n'est cependant pas l'intention principale de l'auteur de la proposition de loi...
Ensuite, la proposition de loi veut présenter EDF comme un groupe public unifié, indissociable. Cela pose deux types de problèmes : l'entreprise est certes unifiée, mais elle n'a pas autorité sur la totalité de ses activités. Elle a autorité sur sa fonction de production d'énergie - nucléaire, hydraulique, énergies renouvelables, thermique -, mais pas sur le transport de l'électricité ni la distribution finale. Le transport de l'électricité dépend de Réseau de transport d'électricité (RTE), capitalistiquement dépendant d'EDF. Mais institutionnellement, le code de l'énergie, inspiré par le droit communautaire, interdit au transporteur de dépendre de l'autorité d'un fournisseur particulier. Dans un marché concurrentiel, les producteurs doivent accéder aux consommateurs en utilisant de façon transparente et loyale le réseau de transport d'électricité. Cela interdit à RTE d'obéir à EDF. RTE a donc sa propre politique. S'il est majoritairement détenu par EDF, il doit être indépendant.
La situation d'Enedis est comparable, alors que la filiale détient une position quasi monopolistique pour la distribution d'électricité, si l'on exclut quelques entreprises locales comme l'usine d'électricité de Metz, héritage des Stadtwerke, ou des réseaux communaux de distribution dans le Sud-Ouest, témoignages de l'histoire. Enedis est détenue à 100 % par EDF, mais en est indépendante.
Faire évoluer statutairement EDF pour en faire un système « unifié » n'est pas clair juridiquement, et c'est en contradiction avec l'ouverture du marché exigeant que transport et distribution soient indépendants de l'autorité d'EDF.
Autre problème si l'on fige le périmètre d'EDF : EDF développe des activités très différentes, héritées de l'histoire, certaines proches de la production, d'autres plus éloignées, comme la production de chaleur : Dalkia, possédé par EDF, produit de la chaleur, et est en concurrence avec d'autres entreprises. On pourrait imaginer une évolution de son périmètre, mais la rédaction de la proposition de loi la rendrait difficile, voire impossible.
Pourquoi les députés Les Républicains soutiennent-ils cette proposition de loi qui n'est pas dans la ligne de leurs convictions habituelles ? Le groupe dirigé par Olivier Marleix avait demandé une commission d'enquête « visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France ». La raison en est d'abord tactique : le Gouvernement n'est pas à la hauteur des besoins en ce qui concerne l'amortissement des variations de prix. La proposition de loi visait l'extension du bouclier tarifaire au-delà des très petites entreprises (TPE) - selon l'Union européenne, la définition des TPE concerne les entreprises dont le chiffre d'affaires n'excède pas 2 millions d'euros et dont l'effectif est inférieur à 10 salariés - pour l'étendre à toutes les entreprises de moins de 5 000 salariés et dont le chiffre d'affaires n'excède pas 1,5 milliard d'euros ou dont le total de bilan n'excède pas 2 milliards d'euros. Le ministre au banc a découvert que l'analyse de l'application de l'article 40 par le président de la commission des finances de l'Assemblée nationale était que le texte tel que rédigé n'impliquait pas de dépenses directes : l'Assemblée pouvait donc adopter la proposition de loi. Faisons prospérer le débat : cette proposition de loi a été adoptée par l'Assemblée nationale.
Mais elle arrive trop tôt ou trop tard. Elle arrive trop tard, car le retrait des actions décidé par le Gouvernement et approuvé par le Parlement via le projet de loi de finances rectificative (PLFR) implique que la nationalisation n'aurait pas de sens et perturberait la procédure en cours - l'État détient 95,82 % des actions.
Je proposerai un amendement visant à garantir que cette reprise à 100 % s'accompagne de la possibilité pour les salariés d'accéder au capital de l'entreprise - certains y sont actuellement. Cependant, si l'entreprise n'est plus cotée, les actions ne sont plus liquides : il reste donc une difficulté : comment les salariés souhaitant détenir ou conserver des actions pourraient-ils bénéficier d'une certaine forme de liquidité ?
L'initiative du Président de la République de rendre les salariés actionnaires s'appliquerait très bien ici, à condition de descendre le taux de détention par l'État de 2 % pour que les salariés soient eux-mêmes actionnaires.
Cette proposition de loi arrive trop tôt quant à la crainte du démembrement d'EDF, car le marché européen de l'énergie électrique doit être réexaminé. La règle centrale de fixation du prix sur le coût marginal de la dernière centrale est absurde. Il faut prévoir différentes formes de financement. On ne finance pas une éolienne comme une centrale nucléaire. Cette dernière fait face à des coûts d'investissement extrêmement lourds, et à des coûts de fonctionnement plus légers et insensibles aux variations des prix de la molécule fossile - à la différence de l'électricité produite à partir de gaz ou de charbon.
Avec davantage de pays acceptant le nucléaire, j'espère que l'Union européenne abandonnera ce système et adoptera des contrats de long terme pour financer des investissements lourds. Les Britanniques ont ainsi obtenu un contrat différent pour la centrale d'Hinkley Point : l'État britannique crée un tunnel de prix, avec une certaine liberté. Si le prix est trop élevé, l'État soutient le producteur ; s'il est trop bas, le producteur rembourse l'État. L'Union européenne avait accepté ce système lorsque le Royaume-Uni était membre de l'Union. Si notre gouvernement est efficace, il devrait pouvoir obtenir un résultat similaire et soutenir ceux qui veulent défendre EDF. Au Gouvernement de nous dire ce qu'il est capable de faire.
Troisième raison, nous proposons une solution acceptable : faire sauter le verrou des 36 kilovoltampères (kVA) pour les tarifs réglementés de vente de l'électricité (TRVE). Aujourd'hui, les TRVE et le bouclier s'appliquent aux entreprises employant moins de 10 personnes, dont le chiffre d'affaires est inférieur à 2 millions d'euros et dont le compteur électrique a une puissance inférieure ou égale à 36 kVA. Ce seuil n'a pas de raison d'être au niveau européen. Nous devons décider que ce butoir n'est pas légitime. Cette réponse immédiate pourrait être satisfaisante.
Cette proposition de loi a l'immense mérite d'obliger le Gouvernement à présenter sa politique de long terme sur l'outil national que constitue EDF, qui mériterait un peu plus d'informations sur son avenir. Un ancien président d'EDF - qui n'est pas Jean-Bernard Lévy, mon ancien directeur de cabinet - estimait que le seul aléa, pour EDF, était les changements de politiques absolument incompatibles avec l'échéance des investissements d'EDF, à quarante ou soixante ans. Il estimait ne pas avoir besoin d'un gouvernement mauvais actionnaire mangeant le blé en herbe pour satisfaire ses besoins de financement à court terme, ni d'un gouvernement idéologique demandant de supprimer tout ce qui avait été fait auparavant. Je remercie Philippe Brun de faire ainsi progresser le débat et de nous permettre de jouer notre rôle de parlementaire, préparant l'avenir de notre pays.