À dire vrai, je ne traiterai que d'un point, celui de l'ambiguïté morale de la notion d'aide active à mourir.
La loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016 prévoit une sédation profonde et continue jusqu'au décès des malades qui en font la demande et qui présentent une affection grave et incurable, causant des souffrances réfractaires aux traitements, avec un pronostic vital engagé à court terme. Elle reconnaît ainsi implicitement le droit du malade en fin de vie à recourir à une aide à mourir sous supervision médicale.
Toutefois, la loi Claeys-Leonetti ne s'applique pas aux personnes qui souffrent de maladies graves ou incurables, mais dont le pronostic vital n'est engagé qu'à moyen terme. Elle ne concerne pas non plus les malades dépendant d'un traitement vital, qui ne le supportent plus et veulent l'arrêter, au risque d'une survenue certaine du décès, mais seulement au bout de quelques mois et souvent dans de grandes souffrances.
Il arrive que ces personnes, dans les deux cas que je viens de rappeler, demandent de façon répétée qu'on les aide à mourir en dépit de l'accès aux soins palliatifs dont elles pourraient bénéficier. Ce sont là deux cas de fin de vie qui devraient justifier une évolution de la législation actuelle.
En effet, la sédation profonde et continue que prévoit la loi Claeys-Leonetti n'est envisageable que pour un malade qui se trouve dans les derniers moments de sa vie. Il s'agit alors, si l'on peut dire, de hâter la mort qui surviendrait de toute façon à brève échéance. À l'inverse, le type d'aide à mourir, dont il est question dans les débats actuels, correspond à une aide active, pour reprendre le terme couramment employé - et qui ne l'est pas à bon escient à mon sens, car la sédation n'a déjà rien d'une aide passive.
Cette aide active à mourir, dont la convention citoyenne, la société et différentes instances, y compris cette assemblée, débattent aujourd'hui, a pour but, non pas de hâter, mais de provoquer la mort d'un malade, qui n'est pas encore à proprement parler au terme de sa vie.
Les raisons pour lesquelles une personne peut vouloir abréger sa vie quand la maladie ne lui laisse aucun espoir de survie n'appartiennent qu'à elle. En revanche, la question de savoir si, dans de tels cas, une aide pour mourir peut être permise par la loi ne peut faire abstraction du système juridique qui est le nôtre, des principes moraux sur lesquels ce système est fondé et de la déontologie médicale. C'est un tout indissociable, le socle d'une société libérale.
Dans la mesure où une loi à venir sur l'aide active à mourir toucherait à une situation humaine à laquelle de nombreux Français ont déjà été confrontés dans leur entourage, familial ou amical, et à laquelle ils ont sans doute déjà réfléchi, il incombe au législateur, me semble-t-il, de justifier sa décision aussi rigoureusement que possible, et pas seulement en se référant au vote d'une assemblée représentative de la population française.
Deux formes d'aide à mourir sont en cause dans ce que je viens de dire.
Il y a tout d'abord l'assistance au suicide ou suicide assisté - je n'aime pas du tout cette expression, car il va de soi qu'il s'agit de malades qui voudraient vivre. Il s'agit d'aider une personne à mettre fin à sa vie sans souffrance, en lui fournissant les moyens de le faire. Concrètement, cela prendre la forme d'un breuvage à avaler - c'est le cas par exemple en Suisse - ou d'une sonde intestinale à activer - ce qui se pratique en Oregon - lorsque les malades en phase terminale ou à un stade avancé de la maladie ne parviennent plus à avaler.
Il reste que, dans les cas que je viens d'évoquer, le malade, jusqu'au dernier moment, c'est-à-dire jusqu'au moment où la mort devient irréversible, reste souverain. Il peut donc exprimer sa volonté d'utiliser ces moyens, mais également celle d'y renoncer in extremis.
Par contraste avec ce que je viens de décrire, l'euthanasie consiste dans le fait qu'un tiers donne la mort à une personne qui le lui a demandé, ce tiers étant le plus souvent un médecin administrant une injection, acte qui intervient dans la majorité des cas alors que la personne est inconsciente et, donc, plus en mesure d'exprimer sa volonté au moment où s'enclenche le processus final et irréversible.
La différence entre ces deux types d'aide tient à ce que, pour le suicide assisté, la personne se reconnaît libre de ce qu'elle fait d'elle-même jusqu'au moment ultime et que, par ailleurs, elle se reconnaît souveraine de ce qu'elle fait elle-même jusqu'au dernier moment. En outre, l'aide qui lui est apportée et qui conduira à sa mort volontaire est une aide indirecte, c'est-à-dire que l'on donne à la personne les moyens de mettre fin à ses jours, moyens qu'elle peut utiliser ou pas jusqu'au dernier instant.
Dans de nombreux cas, la substance létale n'est pas administrée, les malades préférant différer ce moment ou tout simplement y renoncer.
En revanche, pour ce qui est de l'euthanasie, il en va tout autrement, ne serait-ce que parce que l'on peut imaginer qu'une euthanasie soit pratiquée sur une personne encore consciente, qui ne peut simplement plus du tout faire un geste. C'est un cas qu'il faudrait certes traiter à part.
Lorsque l'euthanasie concerne une personne inconsciente, ce qui correspond à la situation traitée dans le rapport du Comité consultatif national d'éthique, il est clair que le malade ne peut plus, au moment du processus final, exprimer sa volonté, qui est d'une certaine manière, le dernier espace de sa liberté, le fondement de l'intégrité de la personne humaine, de sa possibilité d'être souverain sur ce qu'il s'impose à lui-même.
Par ailleurs, l'intervention du tiers est directe : il s'agit d'administrer la mort.
Les problèmes juridiques que pose une éventuelle évolution de la loi sur ces deux points, aussi bien pour l'euthanasie que pour le suicide assisté, sont considérables.
Pour l'euthanasie, c'est évident : le fait d'administrer la mort est considéré dans notre code pénal comme un assassinat, même si la personne qui meurt est consentante, puisque cela ne constitue pas un fait justificatif.
Les fondements de notre code pénal, ainsi que les principes fondamentaux sur lesquels ce code est établi, à savoir la prohibition de tuer, sont issus de prescriptions religieuses qui, dans le cas qui nous intéresse, sont totalement laïcisées. Il reste que cette prohibition de tuer est au fondement de la notion d'intégrité personnelle et de respect de la personne humaine, qui est elle-même au coeur de notre conception libérale. Je ne peux pas imaginer une société libre qui apporte la moindre nuance à ce principe absolu et fondamental pour la dignité humaine.
Dans nos sociétés, le consentement et l'expression ultime de la volonté constituent aussi un principe fondamental, que l'euthanasie, telle que je l'ai décrite, lorsqu'il s'agit d'administrer la mort à une personne inconsciente, tend à bafouer.
Les choses ne sont pas si simples que cela pour le suicide assisté. Le fait de procurer à une personne les moyens de mettre fin à ses jours fait l'objet d'une jurisprudence qui tend à considérer cet agissement comme un crime. Incontestablement, le fait de ne pas empêcher une personne de se servir des moyens de mettre fin à sa vie est un cas caractérisé de non-assistance à personne en danger.
Mais, au moins dans le cas de l'assistance au suicide, est préservée la souveraineté, la volonté de la personne, cet ultime espace de liberté, qui lui laisse au dernier moment la possibilité de se servir ou pas des moyens de mettre fin à ses jours.
Les raisons qui poussent une personne à le faire n'appartiennent qu'à elle et ne peuvent pas être jugées. Je ne prononcerai donc pas le moindre jugement moral là-dessus, car cela a trait à la sphère la plus intime, la plus personnelle de l'être humain.
En revanche, il me semble essentiel de préserver l'intégrité du choix du malade à ce moment ultime, décision dont nous sommes collectivement responsables, dont nos sociétés sont responsables. Or j'ai le sentiment que ce principe pourrait être en partie violé par une loi prévoyant d'étendre l'euthanasie.
Pour finir, je citerai deux exemples.
Le premier concerne ces personnes qui veulent se marier au dernier moment, pas tellement dans la perspective d'une vie commune, bien sûr, mais simplement parce que, symboliquement, il est important pour elles de contracter une union dans les derniers instants. Il est inimaginable qu'une telle union puisse être enregistrée ou officialisée, voire reçue, indépendamment du prononcé d'une volonté : on ne peut donc pas imaginer qu'une telle union soit actée si l'une des deux personnes est inconsciente.
Second exemple, celui d'une personne qui, devenue inconsciente, a demandé à mourir, volonté que l'équipe médicale, confrontée à cette situation, déciderait d'accomplir. Dans ce cas, il est incontestable que la responsabilité médicale des médecins serait engagée -je ne vois pas comment une loi pourrait faire abstraction de cette dimension. Il faudrait alors définir des critères précis, comme la demande maintes fois exprimée par le patient de mourir ou le fait qu'il était impossible de faire autrement que de donner la mort selon l'équipe médicale.
Ainsi, le risque que des décisions arbitraires soient prises serait écarté : ce ne serait plus la volonté d'un seul médecin ou soignant qui influerait sur la mort du malade, mais une délibération conduite en commun au sein d'une équipe médicale. Il reste que cet acte ne peut pas être considéré comme allant de soi.
J'ai confiance en la sagacité des juges pour donner, dans ce type de cas, des instructions particulières, sans pour autant prononcer des poursuites ou des sanctions pénales : il s'agit de signaler clairement qu'il y a là un type d'actes qu'aucune loi ne peut légaliser.
Il est inutile d'adopter une loi sur l'euthanasie pour reconnaître et simplifier ce type de procès ou de situation, dont la fréquence est nettement moindre, reconnaissons-le, que les cas dont on vient de parler de suicide assisté ou même d'euthanasie d'une personne consciente.