Merci de m'avoir invité. Je suis venu vous offrir un livre dont je suis l'auteur et qui s'intitule La clé des champs et autres impromptus. Le premier article de ce recueil concerne notre débat, puisqu'il porte sur l'euthanasie et le suicide assisté. Son titre est un clin d'oeil à Montaigne, la clé des champs signifiant le droit de s'en aller.
Je crois comme Montaigne, comme tous les Anciens, grecs et latins, et comme la plupart des penseurs non religieux aujourd'hui, que le droit de mourir, y compris volontairement, fait partie des droits de l'homme, même s'il est tout de même beaucoup moins important que le droit de vivre, et surtout beaucoup plus facile à assurer.
Le Sénat, lorsqu'il se préoccupe des moyens de vivre dignement de nos concitoyens, effectue un travail très compliqué. À côté, le droit de mourir est d'une assez grande simplicité, me semble-t-il.
J'ai été membre du Comité consultatif national d'éthique au début des années 2000. Je connais tous les arguments sur la fin de la vie, et je peux vous garantir qu'ils n'ont pas changé en vingt ans. En réalité, le sujet n'est pas si complexe que cela, même si juridiquement, il peut soulever un certain nombre de difficultés.
Le droit de vivre est plus important que le droit de mourir. La mort volontaire n'est pas du tout la liberté suprême, comme certains le prétendent, mais la liberté ultime. Dès lors que l'on aime la liberté, on a envie d'être libre jusqu'au bout, ce qui peut supposer, parfois, la mort volontaire.
Il ne s'agit pas du tout, malgré ce qu'en a dit notre Président de la République, du grand combat entre Éros et Thanatos, formule un peu inquiétante dans la bouche d'Emmanuel Macron, car cela laisserait entendre qu'il y a, comme l'avance Freud, d'un côté, la pulsion de vie et, de l'autre, la pulsion de mort. Évoquer à propos de la fin de vie un tel combat pourrait laisser croire qu'il y a, d'un côté, ceux qui sont pour la mort et qui sont donc favorables à l'euthanasie et, de l'autre, ceux qui sont pour la vie et qui y sont donc opposés.
Mais bien sûr que non ! Personne n'est pour la mort, tout le monde est pour la vie ! Nous sommes tous pour la vie et la liberté. La question de pouvoir mettre librement fin à sa propre vie est donc ouverte. Personnellement, je pense que le droit d'y mettre fin, je le répète, fait partie des droits de l'homme.
Ce que je connais de mieux en la matière est un alexandrin de Mallarmé, qui parle de ce « peu profond ruisseau calomnié la mort ». Cette dernière n'est pas un océan infini. En réalité, ce n'est même presque rien - surtout pour moi, qui suis athée -, voire moins que rien, comme le disait Lucrèce : c'est le néant. Je demande simplement à ce que chacun ait le droit de décider lui-même de sa mort dans certaines circonstances.
Souvenez-vous du cas Vincent Humbert, ce jeune homme de vingt ans, paralysé des quatre membres, aveugle, muet, ne pouvant plus bouger que le pouce de la main gauche, qui a supplié sa mère de l'aider à mourir. J'aurais fait comme lui et comme elle. Dès lors qu'il voulait mourir, de quel droit lui interdire de le faire ? Le jeune Vincent Humbert n'était pas en fin de vie. Autrement dit, il ne relevait pas de la loi Leonetti. Était-ce pour autant une raison pour l'empêcher de mourir ?
Mon ami Roland Jacquard, journaliste, et également mon premier éditeur, s'est suicidé à l'âge de 80 ans. Il n'était pas handicapé, mais il estimait qu'il avait assez vécu et a décidé d'en finir. Grâce à l'un de ses amis, il a pu mourir quand il l'a décidé. Tant mieux pour lui, mais tout le monde n'a pas la chance d'avoir un ami : on a donc parfois besoin de l'aide d'un médecin.
Il y a aussi le cas de la maladie d'Alzheimer. J'ai en tête l'exemple de mon père, qui souffrait de cette maladie, et à qui l'on a « offert » entre cinq et dix ans de vie supplémentaire au service de gérontologie de l'hôpital de Vaugirard. Personnellement, j'ai trois enfants : si je peux éviter à mes enfants le poids énorme, la souffrance, le souci d'avoir un père atteint d'Alzheimer pendant cinq ou dix ans, je le ferai en choisissant de mourir. C'est une question difficile, mais le droit au suicide fait partie des droits de l'homme, y compris quand on est atteint des premiers signes de cette maladie.
Ce droit suppose deux garanties.
D'abord, il faudra évidemment établir une clause de conscience, de telle sorte qu'aucun médecin, aucun soignant ne soit jamais obligé de donner la mort ni d'aider quiconque à mourir, si c'est contraire à ses valeurs morales ou religieuses. Une telle clause de conscience a été mise en place dans le cadre de la loi Veil sur l'interruption volontaire de grossesse (IVG). Bien loin d'en empêcher la légalisation, cette clause l'a rendue possible. Je ne vois pas pourquoi il en irait autrement de ce que j'appelle l'IVV, l'interruption volontaire de vie.
Ensuite, il faudra bien sûr distinguer - je rejoins en cela Monique Canto-Sperber - le suicide assisté et l'euthanasie. Le suicide assisté suppose que le patient prenne lui-même le comprimé, la substance ou le breuvage létal qui mettra fin à sa vie, ou qu'il appuie lui-même sur la pompe actionnant la perfusion qui lui enverra le produit létal dans les veines ; l'euthanasie, elle, implique qu'un tiers, le plus souvent un médecin, accomplisse l'acte létal.
Ce n'est pas du tout la même chose. Les médecins me disent souvent qu'ils n'ont pas fait ce métier pour tuer des gens. Je les comprends parfaitement, d'autant que nous ne sommes pas tous du même côté de la seringue, si je puis dire. Pour les patients, l'euthanasie ou, éventuellement, le suicide assisté correspond à un service que l'on demande. Pour le médecin, le soignant, ce n'est pas un service, mais un homicide, car c'est lui qui manipule la seringue ! Je comprends tout à fait que les médecins soient pour le moins réticents.
Dans tous les cas où le suicide assisté est possible, il faut bien sûr le préférer à l'euthanasie, parce qu'il évite de faire supporter à un tiers cet acte d'homicide. Or ce suicide assisté est presque toujours possible - probablement dans 90 % à 95 % des cas. Dans les quelques cas où cela ne l'est pas - celui du jeune Vincent Humbert, par exemple -, il faut que les patients puissent requérir légitimement l'euthanasie.
Je pense par conséquent qu'il faut légaliser à la fois le suicide assisté et l'euthanasie, tout en indiquant que, dans tous les cas où les deux modalités seraient techniquement possibles, il faut privilégier sans aucune hésitation le suicide assisté.
Je ne m'attends pas à ce qu'une loi sur le sujet soit consensuelle, parce que cela est impossible. Souvenez-vous de la loi Veil : le problème moral posé par l'avortement était alors infiniment plus grave que celui que soulève le suicide assisté, qui n'a trait qu'à sa propre personne, tout simplement. C'est d'ailleurs ce qu'écrit Montaigne dans ses Essais : en substance, on n'est pas un meurtrier quand on met fin à sa vie. C'est pourquoi la question du suicide fait partie des libertés, non pas suprêmes, encore une fois, mais ultimes.
Dès lors, ne cherchons pas un consensus, mais un apaisement. La loi Veil est très éclairante de ce point de vue. Rappelez-vous le climat de tension, de drame et d'injustice vis-à-vis de Mme Veil, dans lequel ce débat s'est déroulé. Certaines personnes fort respectables sont encore opposées aujourd'hui à l'avortement, à sa légalisation ou à sa dépénalisation, mais le débat est désormais serein.
Une loi légalisant l'euthanasie et le suicide assisté, loi qui, par définition, ne sera pas consensuelle quand elle sera votée, pourrait favoriser un apaisement que, pour ma part, j'appelle de mes voeux.