Le cadre de mon intervention était défini très précisément : il s'agissait de savoir si la loi Leonetti pouvait être complétée ou reprise dans le cas spécifique de personnes affectées par des maladies graves et incurables et qui ne sont pas au terme de leur vie, de sorte que l'application d'une sédation profonde ne peut pas valoir. Si ces personnes souhaitent arrêter leur traitement avec un pronostic fatal à court terme ou bien si elles souhaitent être aidées dans une démarche finale, cela s'inscrit clairement dans un accompagnement de fin de vie pour raison médicale.
Certes, la question des souffrances psychologiques, tout comme celles de l'accompagnement des familles ou des soins palliatifs, est très intéressante. Mais je me suis placée dans l'hypothèse selon laquelle les personnes concernées par mon propos avaient accès aux soins palliatifs. Tel est donc le cadre de notre réflexion sur la nécessité d'une proposition de loi.
J'ai été très sensible aux remarques que vous avez faites, en tant que législateurs, sur l'obligation de minimalisme en matière de loi. En effet, quand les textes sont trop nombreux, cela contribue à rendre la loi impuissante et maximise le risque de contradiction. En outre, il faut éviter de proposer un autre texte, alors qu'une loi existe déjà et n'est pas appliquée. Quoi qu'il en soit, si un nouveau texte devait être examiné, il est certain que sa cohérence avec l'ensemble des principes du système législatif devra être considérée.
J'ai tenté d'apporter un éclairage philosophique pour contribuer à mieux définir ce que pourrait être la portée d'une loi. Cet éclairage est nécessaire, car les principes moraux sont à la base des systèmes légaux et les inspirent, du moins dans les sociétés démocratiques. On peut donc difficilement envisager une évolution de la loi qui y porterait atteinte.
On ne peut pas remettre en question la différence qui existe entre un droit et une liberté, le droit créant une obligation d'exécution. Qu'il y ait un droit au suicide selon lequel une personne pourrait exiger qu'on lui donne les moyens d'accomplir sa volonté reste difficile à envisager. En revanche, personne ne conteste la liberté de se suicider, si l'on s'en tient au monde de l'immanence. La liberté est donc acquise quand le droit est en question.
Cela est d'autant plus vrai qu'il ne s'agit pas d'inscrire dans la loi un droit qui s'appliquerait aux malades, mais de permettre aux soignants, sans poursuite pénale, de laisser la personne se suicider. Le terme de « dépénalisation » serait donc plus justifié que celui de « légalisation » au sens propre. Dans cette perspective, la souveraineté de la personne qui exprime sa volonté de se suicider est une valeur essentielle, et cela jusqu'au moment où elle accomplit l'acte.
Dès lors, l'objection que vous avez exprimée sur l'impossibilité de toute certitude quant au fait que la personne dispose de tous ses moyens intellectuels et est pleinement souveraine de sa décision est parfaitement justifiée. Toutefois, dans laquelle de nos décisions humaines peut-on garantir que la raison l'emporte et que les passions, des sentiments passés ou des attachements variés n'interfèrent pas ? Une décision humaine résulte toujours de la conjonction de multiples facteurs, de sorte qu'il est quasiment impossible qu'elle découle, dans une pureté absolue, uniquement de la lucidité de la personne qui la prend et de la possession qu'elle a de ses moyens intellectuels. Dans les pays qui ont dépénalisé ou légalisé l'assistance au suicide, le processus prévoit une évaluation non pas pour remettre en cause la liberté de la personne d'exprimer sa volonté, mais pour tenter de l'éclairer afin qu'elle puisse pleinement se l'approprier.
Un principe fondamental sur lequel je veux insister est celui de la liberté de la personne, souveraine sur ce qui lui arrive, principe qu'a notamment reconnu la loi de 2012. Par ailleurs, il est également essentiel de respecter le principe de la non-intrusion d'autrui, l'aide devant rester indirecte. En effet, une loi qui légaliserait la possibilité de donner la mort serait contradictoire avec nos principes moraux et avec l'architecture même de notre code pénal. Je suis donc tout à fait opposée à une légalisation de l'euthanasie et même à sa dépénalisation.
Néanmoins, on ne peut pas ignorer le cas d'une personne qui demanderait à mourir de manière répétée et dont l'entourage pourrait attester la détermination. Le médecin se trouve alors responsable de sa décision, comme cela se passe aujourd'hui : si l'équipe médicale donne à la personne un moyen de mettre un terme à sa vie, sa responsabilité est engagée. C'est absolument inévitable, car l'acte découle forcément d'une décision humaine de donner la mort. Il peut ne pas y avoir de poursuites pénales et l'instruction peut être rapide, dès lors que l'équipe médicale présente des éléments justifiant sa décision au regard de la situation du patient et de l'accord de la famille. Cela est tout à fait possible, mais il ne s'agit pas d'une dépénalisation de l'acte qui consiste à fournir à autrui ce qui lui permettra de mettre un terme à sa vie.