Intervention de André Comte-Sponville

Commission des affaires sociales — Réunion du 29 mars 2023 à 9h30
Enjeux philosophiques de la fin de vie — Audition de Mme Monique Canto-sperber directrice de recherche au cnrs membre du comité consultatif national d'éthique Mm. Bernard-Marie duPont médecin juriste professeur d'éthique médicale andré comte-sponville philosophe essayiste et jacques ricot philosophe chercheur associé au département de philosophie de l'université de nantes

André Comte-Sponville, philosophe, essayiste :

Premièrement, il ne s'agit pas d'opposer la dignité et la liberté et il me semble que l'Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) se trompe sur le vocabulaire. Il s'agissait de dire que certains de nos compatriotes meurent dans des conditions indignes, mais il va de soi que tous les êtres humains étant égaux en droit et en dignité, le mourant, même s'il souffre atrocement, a exactement la même dignité que ceux qui sont en bonne santé. La question n'est donc pas de dignité, mais de liberté.

Deuxièmement, il n'y a pas de vide juridique ni de silence de la loi. La mort n'est pas en dehors du droit, puisque l'homicide est interdit, de sorte que le médecin qui la donne est coupable. Certes, il faut légiférer le moins possible, mais parfois il faut le faire.

Troisièmement, il n'y a pas à choisir entre les soins palliatifs et l'euthanasie. On ne peut être que favorable au développement des soins palliatifs, d'autant que selon les médecins, mieux ils s'appliquent, plus la demande d'euthanasie recule.

Quatrièmement, dans quelles conditions peut-on rendre l'assistance au suicide légale ? Robert Badinter, constatant que le suicide n'était pas considéré en France comme un délit, se demandait pourquoi l'assistance au suicide en serait un. Il y a certes un paradoxe, mais il faut établir des limites et l'assistance médicale au suicide ne peut être autorisée que dans certains cas, qui sont selon moi le handicap très lourd, la maladie grave et incurable et l'extrême vieillesse. Il ne s'agit pas d'autoriser l'assistance au suicide dans n'importe quelle circonstance.

D'où la question du « droit de mourir », qui doit être distingué du « droit à mourir ». Les droits-libertés - « droit de » - sont définis par des interdits, alors que les droits-créance - « droit à » - le sont par des obligations. Si j'ai le droit de vivre, personne n'a le droit de me tuer ; si j'ai le droit à vivre, il faut que l'on m'assure les moyens de vivre. La notion est la même dans le cas du droit opposable au logement, qui implique que quelqu'un a l'obligation de me loger, en l'occurrence l'État. Par conséquent, je ne revendique pas un droit à la mort, mais le droit de mourir, non pas un droit-créance, mais un droit-liberté qui ne suppose aucune obligation, mais un interdit : personne n'a le droit de m'empêcher de mourir, si je veux le faire pour des raisons qu'une évaluation médicale a établies comme légitimes.

C'est pourquoi la clause de conscience pour le soignant est essentielle. Il est exclu de forcer un soignant à pratiquer une euthanasie ou à aider quelqu'un à se suicider si c'est contraire à ses valeurs morales ou religieuses.

Je suis un libéral : de quel droit la République prétend-elle limiter ma liberté quand celle-ci ne nuit aucunement à celle d'autrui ? Dès lors que l'on aime et la vie et la liberté, on ne peut que souhaiter que la vie soit libre jusqu'au bout.

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