Nous examinons la proposition de loi de Céline Brulin et ses collègues du groupe communiste républicain citoyen et écologiste (CRCE) qui vise à revaloriser le statut de secrétaire de mairie. Ce texte propose de renforcer l'attractivité de ce métier essentiel au fonctionnement des communes de moins de 2 000 habitants, qui représentent plus des trois quarts des communes françaises.
Métier le plus en tension de la fonction publique territoriale, le métier de secrétaire de mairie souffre d'une insuffisante reconnaissance de la part des pouvoirs publics, mais aussi d'une franche méconnaissance de la société. Au nombre de 14 000 environ, ces agents, principalement des femmes, constituent pourtant l'indispensable interface entre les habitants et les élus et sont les garants de la bonne gestion municipale en milieu rural.
Ce sont de véritables « couteaux suisses » ou des déesses Shiva et certainement des perles rares, dans tous les sens du terme. D'une part, elles sont le pilier de la vie communale, en effectuant des missions variées, techniques et exigeantes qui nécessitent une grande adaptabilité, un investissement personnel important et de nombreuses compétences en matière de budget, d'état civil, d'élection, d'urbanisme, de marché public ou encore de gestion des ressources humaines. D'autre part, compte tenu de la pyramide des âges, un tiers des secrétaires de mairie actuelles partiront à la retraite d'ici à 2030.
Il est donc nécessaire d'adopter des mesures concrètes pour répondre au besoin légitime de reconnaissance de ces agents dévoués à leur commune et leur garantir une rémunération et des conditions de travail à la hauteur de leurs responsabilités.
Le métier de secrétaire de mairie correspond à une fonction pouvant être exercée, outre par des agents contractuels, par des fonctionnaires territoriaux appartenant à l'un des quatre cadres d'emplois suivants : secrétaires de mairie (catégorie A), mis en extinction depuis 2001 ; attachés territoriaux (catégorie A) ; rédacteurs territoriaux (catégorie B) ; adjoints administratifs (catégorie C).
En pratique, les secrétaires de mairie relèvent majoritairement de la catégorie C. La plupart d'entre eux travaillent à temps non complet dans plusieurs communes, les contraignant à de nombreux déplacements au cours de la semaine.
Si l'ensemble des métiers de la fonction publique, notamment dans les petites communes, sont frappés aujourd'hui par un déficit d'attractivité, celui-ci est particulièrement préoccupant s'agissant du métier de secrétaire de mairie pour lequel les communes sont confrontées à d'importantes difficultés de recrutement : plus de 1 900 postes sont à pourvoir actuellement.
Parmi les raisons, peuvent être citées la difficulté à exercer un emploi à temps complet ; la difficulté à acquérir la totalité des compétences rendues nécessaires par la polyvalence du métier ; le relatif isolement et les éventuelles difficultés dans la collaboration avec le maire ; et les représentations négatives du métier chez les jeunes générations, voire la confusion avec la fonction de secrétaire du maire.
Premièrement, la proposition de loi modifie le nom de « secrétaire de mairie ».
La dénomination proposée de « responsable de l'administration communale » semble toutefois peu adéquate en raison de la confusion qu'elle risquerait d'entraîner dans la répartition des rôles et responsabilités entre le maire, qui est chargé de l'administration municipale, et le secrétaire de mairie.
De plus, la proposition de loi tend à faire de l'emploi de responsable de l'administration communale un emploi fonctionnel. Ce régime spécifique, qui s'applique actuellement aux agents occupant les plus hauts emplois de direction administrative ou technique des collectivités territoriales, induit notamment le bénéfice d'une grille indiciaire plus favorable, mais également le droit, pour l'exécutif, de se séparer de ces agents pour seule perte de confiance.
Un tel statut d'emploi, qui serait accessible à l'ensemble des catégories de la fonction publique (A, B et C), ne pourrait être associé à une grille indiciaire cohérente. En outre, la position de détachement qu'il implique serait incompatible avec la pluralité d'emplois à temps non complet qu'exerce la majorité des secrétaires de mairie.
En tout état de cause, si la création d'un statut d'emploi relève de la loi, les conditions d'accès à un tel statut relèvent quant à elles du règlement, de même que la création éventuelle d'un cadre d'emplois et le nom choisi pour celui-ci.
Pour ces raisons, je vous proposerai un amendement de suppression de l'article 1er.
Deuxièmement, la proposition de loi précise que les fonctionnaires appartenant au « statut d'emploi des responsables de l'administration communale » exercent leurs fonctions dans les communes et leurs groupements et prévoit la rédaction d'un guide définissant leurs missions. Ces dispositions n'étant pas de nature législative et étant en pratique déjà satisfaites s'agissant de la publication d'un guide, je vous proposerai un amendement de suppression de l'article 2.
Troisièmement, la proposition de loi affirme le droit à la formation des secrétaires de mairie et le rôle clé en la matière du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) et des centres de gestion.
Ces dispositions sont de valeur réglementaire et en pratique satisfaites. Si les agents occupant un emploi de secrétaire de mairie bénéficient aujourd'hui, au titre de la formation professionnelle continue, de différents types de formations - intégration, professionnalisation ou encore perfectionnement -, leur formation paraît à la fois trop courte et trop fragmentée.
La spécificité des missions confiées aux secrétaires de mairie semble au contraire nécessiter la création d'une formation obligatoire, commune à l'ensemble des agents concernés, qui serait dispensée par le CNFPT dans un délai d'un an à compter de la prise de poste.
Je vous proposerai donc un amendement introduisant une formation initiale obligatoire propre aux secrétaires de mairie.
Lors des auditions, les secrétaires de mairie nous ont fait part des difficultés qu'elles rencontrent pour se former : manque de temps, éloignement géographique du lieu de formation et surtout difficultés à trouver un remplaçant pendant leur absence. L'inscription dans la loi de cette formation initiale permettra de lutter contre l'autocensure des intéressées et leur fera gagner du temps en leur donnant, dès leur prise de poste, les outils adéquats à l'exercice de leurs missions.
Quatrièmement, la proposition de loi prévoit l'accès des secrétaires de mairie aux catégories supérieures de la fonction publique par la voie du concours et de la promotion interne.
Les conditions d'accès aux cadres d'emplois relevant de catégories supérieures sont déterminées par les statuts particuliers, qui fixent notamment la proportion de postes pouvant être proposés au titre de la promotion interne. Les fonctionnaires occupant ou ayant occupé un poste de secrétaire de mairie bénéficient aujourd'hui de deux mesures visant à faciliter leur promotion interne.
Je vous proposerai un amendement afin de garantir dans la loi, au-delà de ces dispositions réglementaires, la prise en compte de l'exercice des fonctions de secrétaires de mairie pour l'établissement des listes d'aptitude.
Cinquièmement, afin d'aider financièrement les communes de moins de 2 000 habitants à recruter des secrétaires de mairie, la proposition de loi tend à créer un fonds de soutien local financé par l'État.
La rémunération des secrétaires de mairie est un véritable enjeu budgétaire pour une commune. Cependant, les communes ont vocation à disposer de ressources libres d'emploi plutôt qu'à recevoir, pour des dépenses liées au recrutement d'agents, un soutien financier de l'État. L'autonomie financière dont ont besoin les communes ne doit pas passer par une compensation, mais par une fiscalité adaptée, ainsi que par l'indexation de la dotation globale de fonctionnement sur l'inflation. La création d'un nouveau fonds renforcerait la complexité des relations financières entre l'État et les collectivités territoriales. Je vous proposerai, par conséquent, de supprimer cette disposition.
En revanche, il convient de faciliter le recrutement de secrétaires de mairie par les communes de moins de 2 000 habitants. Aussi, je vous proposerai un amendement visant à ouvrir la possibilité aux communes comptant entre 1 000 et 2 000 habitants de recruter des agents contractuels pour les emplois de secrétaire de mairie, cette possibilité existant pour les communes de moins de 1 000 habitants depuis la loi du 12 mars 2012.
Au-delà des dispositions de cette proposition de loi, je souhaite attirer votre attention sur plusieurs points concernant la rémunération et la formation des secrétaires de mairie.
Des instruments de revalorisation salariale, indemnitaire comme indiciaire, pouvant bénéficier aux secrétaires de mairie existent, mais présentent des limites.
Les quatre cadres d'emplois auxquels peuvent appartenir les agents exerçant les fonctions de secrétaire de mairie sont en effet éligibles au régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel (Rifseep).
Toutefois, l'effectivité de ce régime indemnitaire est aujourd'hui limitée, car, d'une part, toutes les communes, notamment les plus petites d'entre elles, n'ont pas encore délibéré pour sa mise en oeuvre, et, d'autre part, les montants moyens versés sont bien inférieurs aux plafonds autorisés. En outre, de façon plus structurelle, le Rifseep n'est pas pris en compte dans le calcul du montant de la pension de retraite.
Par ailleurs, si la nouvelle bonification indiciaire (NBI) pour les secrétaires de mairie a été revalorisée de quinze points au 1er mars 2022, entraînant un gain brut d'un peu plus de 70 euros par mois, elle ne bénéficie pas aux agents contractuels. De plus, toutes les communes de moins de 2 000 habitants n'ont pas encore pris d'arrêté permettant sa mise en place.
Concernant la formation, certaines universités organisent, en partenariat avec les centres de gestion, des formations en alternance qui conduisent à l'octroi d'un diplôme universitaire.
En outre, depuis 2022 existe un partenariat entre Pôle emploi et le CNFPT, qui regroupe également l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité et Régions de France, permettant la mise en oeuvre de formations au métier de secrétaire de mairie à destination des demandeurs d'emploi. Un partenariat similaire devrait être prochainement conclu entre Pôle emploi et la Fédération nationale des centres de gestion (FNCDG).
Ces initiatives reposant sur des actions institutionnelles à assise locale paraissent particulièrement prometteuses. Elles pourraient contribuer à davantage faire connaître le métier de secrétaire de mairie, notamment auprès de publics jeunes ou éloignés de la fonction publique territoriale, et élargir le vivier de candidats potentiels.
Pour conclure, je voudrais saluer l'initiative de Mme Brulin et du groupe CRCE, qui met un coup de projecteur sur ce métier à multiples compétences et sur la nécessité de reconnaître de manière juste le travail considérable de ces milliers d'agents qui assurent aux côtés des maires la pérennité et la qualité du service public, particulièrement en milieu rural.
J'invite le Gouvernement à prêter une attention toute particulière à la situation des secrétaires de mairie dans le cadre des travaux lancés le 1er février 2023 par le ministre de la transformation et de la fonction publiques et portant sur l'accès, les rémunérations et les parcours professionnels dans la fonction publique.
J'ai été ravie de mener ces travaux que je pourrai poursuivre dans le cadre de la mission sur l'attractivité de la fonction publique qui m'a été confiée ainsi qu'à mes collègues Cédric Vial et Jérôme Durain par la présidente de la délégation aux collectivités territoriales. Nous ferons à cette occasion un focus sur les secrétaires de mairie.