Dans un contexte de crise inflationniste et énergétique, il est nécessaire et bienvenu de s'interroger sur le niveau des ressources des collectivités territoriales et leur prévisibilité, afin d'éviter un fléchissement de l'investissement local, part déterminante de l'investissement public.
Nous partageons donc le constat fait par Éric Kerrouche et les autres auteurs de cette proposition de loi constitutionnelle, les élus locaux souhaitent voir l'autonomie financière des collectivités mieux garantie et renforcer la relation entre l'État et celles-ci, notamment dans l'élaboration des documents budgétaires, afin d'avoir plus de prévisibilité sur les finances locales.
Toutefois, les solutions proposées par nos collègues sont soit une fausse bonne idée, soit redondantes avec des propositions déjà adoptées par le Sénat.
La présente proposition de loi constitutionnelle vise à créer une loi de financement des collectivités territoriales et de leurs groupements et à garantir la compensation financière des transferts de compétence, par le biais de deux outils : un nouveau type de loi de financement et une compensation dynamique des transferts de charges vers les collectivités territoriales.
Pour le premier outil, un nouvel article 47-1-1 serait inscrit dans la Constitution, inspiré de celui qui régit les projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).
Cette idée suscite d'abord des réserves concernant la procédure qui s'appliquerait : on introduirait un nouveau texte dans un calendrier budgétaire déjà contraint, entre le PLFSS et le projet de loi de finances (PLF). Le Gouvernement pourrait d'ailleurs utiliser pour ce nouveau texte toutes les procédures qui sont à sa disposition pour les textes financiers, notamment le troisième alinéa de l'article 49, de la Constitution...
Sur le fond, rappelons que l'instauration des PLFSS exprimait un objectif de réduction et d'encadrement de la dépense publique. Une loi de financement des collectivités territoriales n'aurait-elle pas pour conséquence d'encadrer et de limiter les moyens dévolus à celles-ci ? Par ailleurs, même si un tel texte pourrait fournir l'occasion d'un débat annuel sur les finances locales - débat qui existe désormais depuis la récente réforme de la LOLF -, le volume des ressources dévolues aux collectivités ne changerait pas.
Les ressources des collectivités proviennent essentiellement de dotations de l'État complétées par une part des impôts nationaux ; il serait très difficile d'isoler cette part du reste des ressources de l'État examinées dans le PLF, ce qui brouillerait le débat en le dédoublant, à rebours de la lisibilité recherchée par les élus locaux et les auteurs du présent texte. Ce texte annuel n'offrirait en outre aucune prévisibilité pluriannuelle, souhait majeur des associations d'élus que nous avons auditionnées ; il n'interdirait pas non plus des révisions en cours d'exercice, conformément au principe d'annualité budgétaire.
Quant aux dépenses, si la proposition de loi constitutionnelle prévoit la simple fixation d'un objectif de dépenses, afin de respecter le principe de libre administration des collectivités territoriales, en l'absence d'une proposition de loi organique qui lui soit adossée, cette notion demeure floue et incapable de fournir les garanties nécessaires pour éviter que ce projet de loi de financement encadre de manière trop stricte les dépenses des collectivités, par une sorte de contractualisation ; on risque un retour aux contrats de Cahors, cette fois-ci dans un texte encore plus contraignant qu'une loi de programmation, voire une recentralisation.
Dès lors, inscrire un tel projet de loi de financement des collectivités territoriales dans la Constitution ne me paraît pas permettre l'atteinte des objectifs louables des auteurs de cette proposition de loi constitutionnelle ; ce n'est pas ainsi que l'on obtiendra une meilleure prévisibilité sur les ressources ni une meilleure association des collectivités aux décisions budgétaires.
Le deuxième outil proposé est la rénovation des modalités de compensation des transferts de compétence, en application du principe « qui décide paie », figurant à l'article 72-2 de la Constitution. Il s'agit de répondre à une demande récurrente, en passant d'une compensation dite au « coût historique » à une compensation dynamique. On y parviendrait par trois mécanismes : l'obligation de compensation serait étendue aux transferts de compétences entre collectivités ; la compensation financière serait désormais intégrale pour toute création ou extension de compétences ou toute modification des conditions d'exercice des compétences des collectivités territoriales résultant d'une décision de l'État ; enfin, les ressources ainsi attribuées feraient l'objet d'un réexamen régulier.
Cette approche se heurte d'abord à un écueil global : ces mécanismes vaudraient pour les collectivités, mais aussi pour leurs groupements, alors que ces derniers ne constituent pas des collectivités à part entière et reconnues par l'article 72 de la Constitution. Placer les intercommunalités au même niveau que les collectivités territoriales est problématique.
Par ailleurs, un tel mécanisme de compensation dynamique a déjà été adopté par le Sénat, le 20 octobre 2020, au sein de la proposition de loi constitutionnelle pour le plein exercice des libertés locales de notre collègue Philippe Bas. Il appartient aujourd'hui à l'Assemblée nationale de s'emparer du texte qui lui a été transmis ; nous ne voyons pas l'intérêt de voter de nouveau sur des dispositions similaires, qui étaient au demeurant complétées par des dispositions organiques, ce qui n'est pas le cas du texte que nous examinons ce matin.
Pour toutes ces raisons, je propose de rejeter cette proposition de loi constitutionnelle.