Intervention de Michèle Ramis

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 29 mars 2023 à 9h35
Le brésil et l'intégration régionale en amérique latine — Audition de Mme Michèle Ramis directrice des amériques et des caraïbes au ministère de l'europe et des affaires étrangères meae

Michèle Ramis, directrice des Amériques et des Caraïbes au ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE) :

Je remercie la commission de m'avoir invitée à faire cette présentation sur le Brésil. C'est un grand plaisir pour moi d'être ici avec le sous-directeur d'Amérique du Sud, Jean-Christophe Tallard-Fleury.

J'ai bien noté qu'une délégation de votre commission se rendrait au Brésil du 9 au 17 avril. Cette visite est opportune et participe d'une relance de la relation diplomatique avec ce pays. Nous tâcherons de vous éclairer au maximum pour la préparer.

Nous entendons les attentes des pays latino-américains quant à une multiplication des visites et des échanges et je m'emploie à les satisfaire, mais aussi à corriger une certaine perception. L'Amérique latine est importante pour la France et le président de la République, qui n'a pas pu s'y rendre durant son premier quinquennat, émaillé de nombreuses crises, souhaite le faire cette année. Je souligne par ailleurs qu'il reçoit souvent les chefs d'État étrangers et a récemment reçu les présidents costaricien, argentin et colombien ainsi que monsieur Lula avant son élection.

Le Brésil est un géant de 8,5 millions de kilomètres carrés - soit quinze fois la France -, qui compte 212 millions d'habitants. Il est un partenaire historique de la France, avec lequel nous partageons un partenariat stratégique signé en 2006 par les présidents Chirac et Lula, dont la feuille de route a été établie par ce dernier et le président Sarkozy en 2008.

Si la relation bilatérale a été distendue pendant le mandat du président précédent, nous sommes en train de la relancer, comme en témoigne la visite officielle de Catherine Colonna du 8 au 9 février. Celle-ci a trouvé un pays polarisé, les événements du 8 janvier ayant montré qu'une partie de la population, peut-être manipulée par les réseaux sociaux, n'a pas accepté l'alternance.

Par ailleurs, nos relations économiques et culturelles ont perduré pendant ces quatre années et nous avons beaucoup travaillé avec les États fédérés et les mairies.

Lula ayant été élu avec une faible marge, il va devoir, pour rassembler sa population, faire preuve d'une capacité à concilier les inconciliables. À cet égard, il a nommé un gouvernement élargi au centre, sachant qu'il doit composer avec un Sénat conservateur.

J'ai accompagné la ministre lors de sa visite en févier et nous avons eu le sentiment que Lula se sentait renforcé par les événements du 8 janvier, car il est parvenu à éviter une dérive vers une situation incontrôlable, obtenant des présidents des deux chambres et des gouverneurs qu'ils s'expriment en faveur du respect des institutions démocratiques, soutenu en cela par la Cour suprême.

Toutefois, il devra rapidement engranger des succès, dans un pays où plus de 30 millions de personnes souffrent encore de la faim.

Le Brésil, neuvième économie mondiale, exporte essentiellement des produits primaires - produits agricoles, minerais, pétrole - et importe ses produits manufacturés. Ce grand pays émergent, qui a beaucoup souffert des conséquences du covid-19, doit donc améliorer sa productivité et faire évoluer son modèle.

En matière de politique étrangère, le retour de Lula a été célébré dans le monde entier, car sa voix porte dans le « Sud global » et il peut relancer le processus d'intégration régionale. En effet, la crise vénézuélienne a entraîné une polarisation du continent. L'arrivée au pouvoir de gouvernements de gauche en Amérique latine - Brésil, Colombie, Honduras - a permis de réconcilier le continent et de retrouver un dialogue intra-américain, ainsi qu'avec l'Europe - un sommet UE-Celac se tiendra en effet au mois de juillet.

La voix du Brésil sera très attendue sur les sujets environnementaux. Lula s'est déplacé à la COP 27 et a annoncé qu'il accueillera la COP 30 en 2025 en Amazonie.

De plus, le président brésilien souhaite faire le pont entre le Nord et le Sud et encourager la coopération Sud-Sud.

Pour autant, le Brésil de 2023 ne s'éloignera pas des fondamentaux passés. Culturellement occidental, ce pays se refuse à un alignement sur l'Europe ou les États-Unis en matière de politique étrangère : il est critique des interventions militaires et des sanctions et cherche une forme de neutralité, par exemple sur le conflit en Ukraine, bien qu'il ait voté les résolutions des Nations unies.

Pour ce qui concerne sa politique économique, elle sera dictée par les intérêts commerciaux du pays : un tiers de ses exportations se font vers la Chine et il est dépendant d'importations d'engrais en provenance de Russie, ce qui peut expliquer certaines de ses prises de position.

Le sommet UE-Celac qui se tiendra en juillet marque le retour de cette organisation après huit ans d'interruption, le Brésil s'étant notamment retiré de la Celac à cause de la crise vénézuélienne. Nous en attendons la réactivation du dialogue sur les questions économiques, environnementales, énergétiques, ainsi que de démocratie, car l'État de droit est mis à mal dans certains pays.

Nous souhaitons tenir un dialogue franc avec tous les pays de ce continent qui, vu de loin, partage les principes démocratiques de la France, mais qui connaît des crises préoccupantes en matière de droits de l'homme.

Le Mercosur comporte deux pays conservateurs et deux pays progressistes, ce qui complique l'adoption de positions communes. Toutefois, la présidence espagnole souhaite, comme vous l'avez noté, monsieur le président, relancer la relation avec l'Amérique latine à l'occasion du sommet avec le Celac, ce à quoi nous sommes tout à fait favorables.

La relation bilatérale entre la France et le Brésil s'est altérée à partir de 2019 à cause de divergences sur les questions environnementales, consécutivement aux incendies en Amazonie. Il n'y a donc pas eu de visites bilatérales pendant les quatre années précédentes, mais les contacts techniques entre fonctionnaires se sont poursuivis, de même que le dialogue avec des États, notamment celui de São Paulo.

La relation a été rétablie avec la visite de Catherine Colonna, reçue par le président Lula et son homologue brésilien Mauro Vieira. Nous avons annoncé que nous allions signer une feuille de route pour relancer notre partenariat stratégique, qui date de 2008 et doit être nourri. Il porte sur les questions de défense, de culture, de francophonie, de lutte contre la désinformation, mais il doit aussi inclure les questions globales, c'est-à-dire la lutte contre le changement climatique, les questions de santé, d'alimentation et de gouvernance mondiale.

Le président de la République réunira les 22 et 23 juin un sommet à Paris pour réformer l'architecture financière internationale, auquel le Brésil est invité.

En ce qui concerne l'Ukraine, le Brésil, acteur majeur du dialogue Nord-Sud, a voté en faveur de la résolution de l'ONU condamnant l'invasion russe, s'est entretenu avec le président Zelensky et a défendu l'intégrité territoriale de l'Ukraine. Nous dialoguons donc bien sûr avec ce pays, dont je rappelle qu'il est membre des « BRICS » (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud).

Par ailleurs, nous plaidons pour un renforcement et un rééquilibrage de nos relations économiques bilatérales, d'ores et déjà amorcé. La ministre s'est rendue dans l'État de São Paulo, qui représente un tiers du PIB brésilien et a reçu la communauté française des affaires, importante dans cet État.

Ainsi, un agenda politique et diplomatique très riche se dessine : des délégations parlementaires se rendront au Brésil dans les semaines à venir, la secrétaire générale du ministère mènera des consultations bilatérales en avril et le ministre délégué au commerce extérieur devrait également effectuer une visite. Nous en profiterons pour imaginer de nouvelles formes de coopération.

Nous souhaitons accompagner le Brésil dans ses démarches d'adhésion à l'OCDE, notamment pour qu'il parvienne à se conformer aux normes environnementales.

Je sais que la délégation de votre commission se rendra dans l'État d'Amapá, qui partage une frontière avec la Guyane. La relation transfrontalière est très importante ; nous la relancerons également en réunissant, pour la première fois depuis quatre ans, la commission mixte franco-brésilienne à Cayenne, en juillet, pour examiner les questions de sécurité, de lutte contre les trafics et de circulation des personnes.

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