Intervention de Pascal Allizard

Réunion du 22 mars 2023 à 15h00
Dépôt du rapport public annuel de la cour des comptes suivi d'un débat

Photo de Pascal AllizardPascal Allizard :

Madame la présidente, monsieur le Premier président, mes chers collègues, depuis plusieurs années, la dette publique française file, malgré les mises en garde de diverses institutions nationales ou européennes.

Si la crise du covid-19 a coûté cher, elle n’explique pas toutes nos difficultés. Les chiffres du commerce extérieur sont très inquiétants. Les taux d’intérêt remontent lentement, mais avec régularité. Le conflit en Ukraine pourrait durer encore plusieurs mois, voire plusieurs années, continuant ainsi de dégrader nos économies.

L’inflation alimentaire et énergétique tire les prix à la hausse et pénalise les entreprises, les services publics et les consommateurs. De plus, il nous faudra suivre de très près, dans les semaines à venir, les conséquences sur les marchés de la fermeture de la Silicon Valley Bank aux États-Unis et de l’incertitude autour du Credit Suisse.

Comme le souligne la Cour des comptes, la situation des finances publiques restera en 2023 « parmi les plus dégradées de la zone euro, alors que la Commission européenne juge que les risques sont élevés sur la soutenabilité de la dette française à moyen terme ».

En positivant, nous pourrions nous convaincre que la dette a servi a minima à préserver notre modèle social, nos services publics et notre économie. Mais qu’en est-il réellement ?

La crise sanitaire a révélé au grand jour l’état réel de l’hôpital public et les difficultés des soignants. Elle a montré les effets délétères de la mondialisation, notamment des pertes de souveraineté.

La guerre en Ukraine a fait apparaître les limites de notre modèle d’armée. La crise énergétique a mis en lumière les renoncements de l’État en matière de nucléaire. Le changement climatique appelle des investissements massifs. Ces quelques cas soulignent l’ampleur des défis à relever et des dépenses à engager.

Prenons l’exemple de la défense. À l’aube d’une nouvelle loi de programmation militaire, nous mesurons les limites du modèle expéditionnaire et échantillonnaire français dans la perspective de la survenue de conflits de haute intensité : lacunes capacitaires, problèmes de stocks et de masse, extension de la guerre multichamps-multidomaines, concurrence industrielle étrangère de plus en plus rude…

Nos grandes compétences sont encore en France, notamment s’agissant de la dissuasion ; il nous faut impérativement les y maintenir. De même, préservons nos pépites technologiques des prédations étrangères, et soutenons-les dans leur croissance. Il y va de notre sécurité et de notre souveraineté, mais aussi de l’avenir économique de nombreux territoires.

La Cour connaît bien ces sujets de défense ; elle les a étudiés dans un passé récent. La question est : comment accomplirons-nous tous ces efforts quand, dans le même temps, la Cour appelle de ses vœux le « nécessaire retour à une trajectoire de finances publiques soutenable et durable » ? Le Gouvernement sera-t-il contraint à des arbitrages douloureux pour assurer la soutenabilité de la dette ?

Fractures territoriales, fractures sociales… Quarante ans après les premières lois de décentralisation, dont la Cour dresse le bilan, les territoires sont, à juste titre, inquiets pour leur avenir. Comme de nombreux collègues, je le constate dans mon département.

Je crois sincèrement que les Français demeurent très attachés à leur commune et à leur maire, échelons de proximité, qu’ils connaissent le mieux et dont ils ont pu apprécier le rôle durant la crise sanitaire.

Pour autant, la succession rapide des dernières réformes a contribué à brouiller le paysage institutionnel local et les compétences de chacun. La dématérialisation a altéré le lien humain entre administration et administrés, tandis que l’État a progressivement réduit ses effectifs déconcentrés.

Chez les élus, la fatigue législative et réglementaire est réelle. La voie de la réforme permanente et de l’inflation des normes, qui leur coûte cher et leur complique la vie au quotidien, n’est plus tenable.

De plus, les collectivités sont très affectées par la hausse des prix des carburants, des combustibles et de l’alimentation, qui se répercute dans le secteur du BTP ; nous connaissons l’importance des collectivités dans ce secteur.

Par ailleurs, les comptes des collectivités locales ne constituent pas un problème majeur : ils sont nécessairement équilibrés et la dette locale, réelle, est très largement maîtrisée, comme le confirme le rapport.

Si des marges d’amélioration du système territorial existent, il nous faut continuer de soutenir les élus et améliorer les conditions d’exercice de leur mandat. Sinon, nous n’aurons plus de candidats pour faire vivre la démocratie locale.

Qu’il s’agisse de la maîtrise des dépenses, de la préservation de notre souveraineté ou de l’avenir de la décentralisation, nous avons besoin d’un véritable État stratège avec une vision à long terme. L’État ne peut pas être vu comme une holding dont les collectivités territoriales seraient les centres de coûts et seraient donc considérées comme des variables d’ajustement. La France que nous aimons, ce n’est pas celle-là.

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