Madame la présidente, monsieur le Premier président, mes chers collègues, l’examen du rapport annuel de la Cour des comptes est toujours un moment important pour les parlementaires. Cette année, la Cour aborde un sujet auquel les sénateurs, représentants des territoires, prêtent une attention toute particulière : la décentralisation.
Cela fait un peu plus de quarante ans que Gaston Defferre, aux côtés de Pierre Mauroy et de François Mitterrand, a posé la première pierre du processus de décentralisation. La Cour en avait dressé un premier bilan en 2009. Hélas ! L’état des lieux dont nous discutons ne présente guère d’améliorations : les compétences s’entremêlent toujours plus, les modalités de financement se sont complexifiées et, plus encore, l’État n’est pas au rendez-vous.
Nous le constatons tous, dans nos départements : l’organisation de l’État reste en décalage avec le maillage territorial. Ainsi, la baisse très importante des effectifs des services déconcentrés de l’État s’est traduite par un désengagement de celui-ci dans les territoires, provoquant un sentiment d’abandon parmi la population et les élus locaux.
Entre la révision générale des politiques publiques (RGPP) et la réforme de l’organisation territoriale de l’État, c’est l’hécatombe ! La Cour le souligne bien : en dix ans, plus de 11 000 emplois ont été supprimés dans les préfectures, sous-préfectures, directions départementales ou régionales.
J’ai dénoncé cette attrition des moyens de l’État dans mon dernier rapport budgétaire, qui m’a conduite à proposer un rejet des crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l’État ».
Déconcentration et décentralisation doivent impérativement être coordonnées pour répondre à l’exigence de proximité de nos concitoyens. Nous voyons bien à quel point cette proximité est essentielle. En effet, les crises récentes ont mis en lumière, si besoin en était, le rôle essentiel des services publics et la nécessité de les renforcer en tout point du territoire.
C’était bien là l’un des objectifs de la décentralisation telle que la voulait le président Mitterrand. L’acte I a d’ailleurs pleinement joué son rôle en renforçant la démocratie locale, en rapprochant la décision politique du citoyen et en donnant aux collectivités territoriales les moyens financiers et humains d’exercer les compétences transférées.
Toutefois, après plusieurs réformes décentralisatrices, le message s’est brouillé. Si une clarification s’impose quant à l’exercice des compétences et la complémentarité des différentes collectivités – car nous savons bien que certaines compétences partagées donnent de meilleurs résultats –, la question des moyens des collectivités se pose avec une acuité particulière.
Depuis vingt ans, les collectivités, en particulier les communes, sont confrontées à deux tendances contradictoires : d’un côté, l’attribution de compétences supplémentaires ; de l’autre, une réforme continue de leurs finances. Elles assurent pourtant les services publics de proximité et doivent constamment ajuster leurs actions aux besoins de la population.
La Cour qualifie d’« inadaptée » la substitution progressive des ressources fiscales des collectivités par des dotations de l’État, tant la cohérence entre les recettes locales et les compétences exercées s’en trouve réduite.
Les suppressions de la taxe professionnelle en 2011, de la taxe d’habitation en 2020 et de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises en 2023, puis en 2024 illustrent parfaitement ce constat.
Ces différentes réformes sont autant d’atteintes à l’autonomie financière et fiscale des collectivités. Elles ont en outre distendu le lien qui existait entre les communes et leurs administrés, utilisateurs des services publics locaux.
Par ailleurs, le manque de lisibilité et de prévisibilité des finances locales, ainsi que la réduction des marges de manœuvre des communes sont un frein important pour l’investissement public.
Les communes y prennent pourtant – nous le savons bien – une très large part, en apportant un soutien indispensable à l’économie locale et à l’emploi. L’enchaînement des crises économique, sociale et sanitaire, ainsi que la forte inflation actuelle rendent nécessaire la refonte du financement de nos collectivités, afin de préserver le maillage territorial assuré par nos communes.
Si j’ai un point de désaccord majeur avec la Cour, c’est bien au sujet de nos communes, qui sont l’échelon de proximité indispensable au maintien de la démocratie locale et doivent être préservées.
En revanche, pour mieux fonctionner – le constat est clair –, l’organisation territoriale de notre pays requiert une articulation plus fine entre l’État et les collectivités. Cette meilleure conciliation ne doit cependant pas servir à contrôler les dépenses des collectivités, mais doit viser à garantir les capacités de financement des investissements publics locaux. Pas plus que les départements et les régions, les communes n’ont vocation à être les variables d’ajustement des comptes publics.
Il nous faut donc renouer avec les objectifs initiaux de la décentralisation et instaurer un véritable dialogue de confiance entre l’État et les collectivités, dans le respect de la libre administration de ces dernières.