Bonjour à tous. C'est un honneur pour nous, depuis La Réunion, de prendre part à cette table ronde. Je suis professeur des universités et anthropologue. Je travaille depuis plus de vingt ans sur le thème de la famille, de la parenté et de la parentalité à La Réunion. Depuis 2015, nous avons créé un observatoire de la parentalité, dans le cadre d'un partenariat entre l'université de La Réunion et la Caisse d'allocations familiales (Caf). Je commencerai par vous présenter cet outil et les actions menées, avant que mon collègue Alexandre Hoareau prenne la parole pour en présenter les spécificités et le futur à construire ensemble.
L'Observatoire de la parentalité est l'oeuvre d'un partenariat développé en 2015 entre l'université, la recherche académique et scientifique, et la Caf de La Réunion pour permettre aux structures d'accompagnement de disposer d'un lieu au service de l'intelligence collective. Entre le niveau macro - les politiques sociales et directions - et le niveau micro - l'action sociale sur le terrain -, nous manquions d'un maillon au niveau méso, reliant à la fois réflexions, analyses, recherches et mises en action sur le terrain. Ce regard croisé s'appuie sur un travail disciplinaire, une émulation, une créativité avec les acteurs du social oeuvrant dans le champ de la parentalité à La Réunion, mais aussi les décideurs et les parents. En effet, les parents sont évidemment inclus dans nos études et ateliers de réflexion. L'Observatoire vise à insuffler une dynamique, à travers un tiers-lieu neutre dans lequel chacun peut s'exprimer sur des thématiques précises. Libérer la parole et partager les expériences des acteurs du soutien à la parentalité est au coeur de notre dynamique et de notre éthique pour que chacun puisse prendre la parole dans les objets et chartes que nous avons créés ensemble. Nous avons par exemple créé une Charte de la parentalité de La Réunion.
Parmi nos missions figure le recensement de tous les acteurs sur le département de La Réunion ainsi que la diffusion d'outils et de méthodes. Le réseau que soutient la Caf est à présent en place depuis vingt ans, mais encore faut-il le nourrir avec de nouveaux outils au regard des évolutions des structures de parentalité et des liens parents-enfants. Nous avons ainsi pour engagement d'être au plus proche des associations et des acteurs de terrain, de participer à l'évaluation des dispositifs existants et nécessaires pour les politiques publiques, de participer à la recherche et à la prospective.
En termes de recherche, à l'Observatoire, nous travaillons sur trois thèmes : l'évolution des structures de parenté en contexte, le champ de l'éducation familiale et le principe de coéducation. Nous avons mené une étude qui nous tenait à coeur sur le rôle des pères en 2018. À partir des résultats de recherche présentés sur ce thème, une réelle dynamique entre les acteurs du champ de la parentalité, les collectivités et la Caf a permis de mettre en oeuvre une politique de sensibilisation sur l'importance du rôle et de la place des pères. Au-delà des films et de la campagne d'affichage réalisée, nous soutenons aujourd'hui les associations qui oeuvrent et mettent en place des groupes de parole spécialement dédiés aux pères. Des lieux d'accueil parents-enfants sont ouverts le samedi matin pour que les pères s'y réunissent avec leurs enfants, par exemple.
Une autre étude porte sur la monoparentalité, une spécificité lorsque l'on étudie les structures de parenté en outre-mer, notamment à La Réunion. Ce type de famille est en augmentation dans l'Hexagone mais surtout en outre-mer. Nous n'affichons pas les chiffres de la Martinique, mais près d'une famille sur trois est monoparentale à La Réunion, ce qui nous place entre l'Hexagone et les Antilles. Nous rencontrons également de nombreuses situations de mères isolées et de violences intrafamiliales ou conjugales. En lien avec ces problématiques fortes, nos études sur la famille et l'évolution du lien social dans la parenté à La Réunion et à Mayotte, contribuent à apporter plus de connaissances et d'analyses, de façon à mieux adapter les politiques publiques et décisions aux spécificités des contextes.
Nous avons par ailleurs travaillé sur la relation parents-enfants durant la pandémie ainsi que sur la famille recomposée.
Être présent sur Internet est aussi très important. Nous avons dû créer d'autres plateformes pour nourrir les acteurs de la parentalité, mais aussi les parents. Notre site reprend les règlements, les lois, les politiques locales et les études sur les contextes locaux et nationaux. Nous avons également cartographié et recensé tous les dispositifs de soutien à la parentalité à La Réunion. Il est aujourd'hui très facile, pour tout parent ou tout acteur, de cibler des structures et outils répondant à ses besoins dans son quartier. En outre-mer, il est primordial d'être proche des populations, encore plus que dans l'Hexagone. Les problématiques de distance géographique, le climat, les cyclones, ne rendent pas toujours faciles les réponses aux différents problèmes. Ainsi, une page Facebook est alimentée et nous publions tous les trois mois une revue, Info parentalité, qui valorise les associations et met en avant leur créativité en matière d'outils et expériences pour renforcer les compétences parentales. Nous développons leurs actions et présentons les synthèses de nos recherches ; ce livrable est en accès libre, en version papier et numérique.
Vous comprenez donc que notre observatoire affiche une mission de recherche, de diffusion, mais aussi d'émulation de la pensée et de la réflexion avec les acteurs du soutien à la parentalité. Nous remplissons le niveau méso, souvent manquant.
Nous nous appuyons également sur des outils de la recherche, tels que le logiciel « Être parent de jeunes enfants », issu des travaux de collègues chercheurs sur le champ de l'éducation familiale dans l'Hexagone et au Québec. Ils ont développé des outils pour animer les groupes de parole à travers lesquels l'animation de vignettes permet aux parents de développer et d'améliorer certaines compétences parentales. Dans l'Hexagone comme en outre-mer, on ne devient pas parent du jour au lendemain. En ce moment, nous terminons tout juste une large étude sur l'éducation familiale. À La Réunion, nous constatons que, bien souvent, les jeunes parents se réfèrent au modèle de leurs propres parents. Pourtant, la société a évolué et les enfants n'ont pas les mêmes besoins.
Au-delà de La Réunion, nous oeuvrons également en matière de soutien à la parentalité dans une dimension régionale, avec notre association l'Observatoire de la parentalité de l'océan Indien (Opoi), que j'ai l'honneur de présider, intègre l'Afrique du Sud, le Mozambique, la Tanzanie, les Comores, l'île Maurice et les Seychelles. Nous avons mis en place une dynamique avec des acteurs, des porteurs de projets, des politiques, pour agir comme nous le faisons sur le territoire de La Réunion, mais dans une dimension régionale. Nous devons également tenir compte des problématiques parentales des populations des territoires voisins qui parfois migrent jusqu'à La Réunion. L'Opoi met en place des webinaires mensuels entre les acteurs de ces pays sur des thèmes variés tels que le numérique.
L'Observatoire de La Réunion se positionne comme un facilitateur à tous les niveaux.
Vous me demandiez de présenter des propositions et analyses à l'occasion de cette audition. Je propose de construire des outils avec les problématiques locales. Nous disposons d'outils et de logiciels, parfois issus de la recherche, qui proviennent de l'Hexagone ou de l'Occident, mais nous devons développer davantage d'outils pour les parents des outre-mer avec les acteurs pour développer une appropriation plus claire du concept d'« aller vers » et pour renforcer la compétence parentale. Le réseau de soutien à la parentalité a fleuri, mais ce qui fonctionne, c'est lorsqu'on parle du « soi », quand les parents sentent qu'on les prend en considération avec leur culture. Ainsi, des outils spécifiques aux territoires ultramarins nous semblent importants à créer avec une réflexion et des moyens spécifiques.
Nous devons par ailleurs travailler en transversalité. Beaucoup de structures associatives sont relativement vides. Comment y faire venir les parents, que ces derniers soient actifs ou non ? Comment les sensibiliser ? Je pense aussi que nous devons travailler sur le lien entre la parentalité et l'entreprise, et injecter de la formation à l'éducation parentale dans ces structures où les parents passent une large partie de leur temps. La formation est un droit pour les travailleurs de notre pays. Pourquoi ne pas ouvrir ce modèle ? Un travailleur heureux sera davantage un parent heureux en rentrant le soir et vice-versa. Nous devons prendre en considération la globalité de l'être humain. Il est humain, père ou mère, travailleur ou demandeur d'emploi. Nous devons travailler sur l'éducation familiale, et donc le champ du renforcement des compétences parentales, d'une manière plus large et globale qu'actuellement.
Je terminerai mon propos en insistant sur le développement de groupes de parole auprès du réseau actuel sur des thématiques précises. Je pense notamment à la communication non violente (CNV). Les techniques de CNV transmises au plus grand nombre, et également aux parents à travers les groupes de parole du soutien à la parentalité, pourraient nécessairement agir pour diminuer les violences intrafamiliales dont le taux est très élevé dans notre territoire et en outre-mer. Il est clair que l'éducation familiale se traduit également par l'apprentissage d'une capacité à communiquer en paix entre parents et enfants. Injecter des formations à la CNV me semble indispensable, de surcroît dans des territoires où les violences sont parfois reliées à des héritages culturels en lien avec l'esclavage et l'engagisme. La question de la violence dans la famille, et plus spécifiquement des violences faites aux femmes, peut s'envisager par l'apprentissage de la communication non violente à travers la logique du soutien à la parentalité et les groupe de parole. Une politique en ce sens permettrait de « nourrir » le réseau avec des outils concrets à transmettre et diffuser auprès des parents.