Intervention de Paul Charon

Commission d'enquête Tiktok — Réunion du 20 mars 2023 à 17h00
Audition de M. Paul Charon directeur du domaine « renseignement anticipation et stratégies d'influence » à l'institut de recherche stratégique de l'école militaire irsem

Paul Charon, directeur du domaine « Renseignement, anticipation et stratégies d'influence » à l'Institut de recherche stratégique de l'École militaire :

Je suis un spécialiste de la Chine, et pas un spécialiste des aspects techniques de la désinformation, notamment sur les réseaux sociaux. Je vais donc surtout essayer de vous éclairer sur le contenu et sur la façon dont, de manière générale, les pratiques informationnelles chinoises se déploient, que ce soit sur TikTok ou sur d'autres plateformes - le problème n'est pas fondamentalement différent.

Il faut peut-être commencer par rappeler que l'application TikTok ne recueille pas davantage de renseignements sur ses utilisateurs que d'autres applications du même type, et même moins que Facebook par exemple - d'après ce que j'ai pu lire, car je ne suis pas un spécialiste de ces questions.

La question n'est donc pas seulement celle de la quantité de données ou de la nature des données qui peuvent être collectées par TikTok et, in fine, par ByteDance, la maison mère chinoise. C'est plutôt celle de la nature du régime politique entre les mains duquel ces informations pourraient arriver, compte tenu de la nature autoritaire, s'il en est, du régime chinois.

Une autre distinction qui est peut-être importante est celle de la nature des utilisateurs. Il y a sans doute une distinction à faire - je la nuancerai tout à l'heure - entre des utilisateurs dont les activités professionnelles représentent un intérêt pour la Chine et peuvent donc constituer des cibles du parti communiste chinois et les utilisateurs « lambda », qui, en tant que tels, ne présentent pas d'intérêt pour le PCC, même s'ils peuvent, collectivement, faire l'objet d'opérations de désinformation ou d'influence menées par le parti.

Je vous propose de passer en revue un certain nombre de points durs, de questions qui émergent dans les médias, d'activités à tout le moins « inquiétantes » de la part de TikTok. Ce ne sera pas exhaustif, mais cela permettra d'illustrer en quoi l'application peut poser problème.

D'abord, il y a eu, ces trois dernières années, un certain nombre de révélations, à commencer par une opération d'espionnage, de contrôle, de suivi de journalistes par ByteDance. Cette affaire a été révélée par différents médias à la suite d'enregistrements audio qui ont fuité depuis TikTok. Ce sont à peu près 80 heures d'enregistrement qui ont été ainsi diffusées. Elles ont été analysées par les médias qui ont travaillé sur cette question, notamment BuzzFeed, qui ont montré que les données d'un certain nombre d'utilisateurs américains étaient entre les mains de membres du personnel de l'entreprise ByteDance en Chine, et non pas de TikTok hors de Chine.

Cette affaire a montré que toute la défense de TikTok, qui est bien illustrée par le projet Texas de stockage des données utilisateurs, que l'entreprise a mis en place récemment, notamment aux États-Unis et à Singapour - donc en dehors de Chine -, n'était pas vraie, puisque des membres de ByteDance affirmaient eux-mêmes, dans ces enregistrements, qu'ils avaient accès aux données. Ces premières informations ont été le point de départ d'enquêtes menées par différents médias d'investigation américains, lesquels ont révélé qu'une partie des Américains qui avaient été suivis par ByteDance étaient des journalistes qui s'intéressaient à TikTok. Et ce qui intéressait particulièrement ByteDance était de savoir s'il était possible de croiser les données de géolocalisation de ces journalistes avec celles des employés de TikTok, pour identifier qui était responsable des fuites au sein de la société, donc qui avait parlé aux journalistes. On ne peut donc pas accorder beaucoup de crédit à TikTok quand l'entreprise nous dit que les données restent aux États-Unis - ou, en tout cas, hors de Chine -, que la frontière entre ByteDance et TikTok est étanche et qu'aucune donnée ne peut être exploitée par la partie chinoise du groupe.

Le deuxième problème, que vous avez évoqué tout à l'heure, est celui de la censure sur les contenus TikTok.

Je commencerai par nuancer un peu la situation : la censure dont on parle sur TikTok n'a rien à voir avec celle qui existe sur les réseaux sociaux chinois en Chine, à commencer par Douyin, qui est la version chinoise de TikTok, où la censure est complète - il y a un contrôle total de l'information. Dans le cas de TikTok, la censure est différente : elle est plus comparable à ce que l'on peut voir sur Facebook, sur Instagram ou encore sur Twitter, que les Chinois, à l'image des Russes, ont investi depuis un certain nombre d'années, avec des opérations de plus en plus nombreuses et de plus en plus sophistiquées.

Pour illustrer le type de censure que la Chine pratique sur TikTok, je citerai des contenus qui ont disparu, des comptes qui ont été fermés parce qu'ils avaient évoqué des points relatifs à la politique intérieure chinoise, notamment - ce sont toujours les mêmes sujets qui reviennent - les événements de Tian'anmen - c'est-à-dire la question des dissidents, de la démocratie -, la question tibétaine, les Ouïghours, Taïwan, la secte Falun Gong. C'est grosso modo ce que les Chinois appellent « les cinq poisons », les cinq menaces les plus importantes à la pérennité du régime communiste.

D'ailleurs, de manière générale, les activités informationnelles et de renseignement chinoises portent d'abord sur ces questions, parce que l'obsession du PCC, c'est la pérennité de son pouvoir.

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