Intervention de Paul Charon

Commission d'enquête Tiktok — Réunion du 20 mars 2023 à 17h00
Audition de M. Paul Charon directeur du domaine « renseignement anticipation et stratégies d'influence » à l'institut de recherche stratégique de l'école militaire irsem

Paul Charon, directeur du domaine « Renseignement, anticipation et stratégies d'influence » à l'Institut de recherche stratégique de l'École militaire :

d'ingérence électorale dans plusieurs pays occidentaux, qui montrent qu'il s'agit de l'un des volets des opérations d'influence de la Chine.

Sur la stratégie globale de l'entreprise, j'essaie de n'affirmer que ce pour quoi j'ai des preuves. Il me faut avoir collecté suffisamment d'éléments pour affirmer quelque chose. Je reste prudent. Votre hypothèse est plausible, mais nous n'avons pas la preuve d'un vaste plan. Par ailleurs, j'ai quelques doutes sur cette hypothèse : globalement, le parti n'est pas toujours efficace pour mettre en oeuvre de vastes plans de ce type. En revanche, il est très opportuniste : quand quelque chose fonctionne, et qu'il peut l'instrumentaliser ou l'utiliser à des fins politiques, même si le projet d'origine était purement commercial, le parti le fait sans états d'âme et avec beaucoup d'efficacité. Le résultat est le même, mais ce n'est pas tout à fait la même chose du point de vue du chercheur, pour comprendre la nature et le fonctionnement du régime.

Vous avez raison concernant la capacité de la Chine à voir à long terme. Cela ne veut pas dire que tout projet est élaboré sur le long terme : certains projets sont menés dans l'urgence, sans aucune réflexion, et ne sont pas pensés pour durer. Mais les Chinois sont capables de projets à long terme. Pour illustrer mon propos, nous l'avons remarqué dans les opérations de recrutement, lorsque les services chinois veulent recruter une source. Un service de renseignement travaillant sur le court terme identifie la source possédant les renseignements dont on a besoin, un ingénieur travaillant chez Thales ou un membre d'un cabinet ministériel. En misant sur le long terme, on recrute des gens plus jeunes, en espérant qu'un jour les fonctions des recrues seront importantes pour la Chine. Les Chinois font les deux : non seulement ils recrutent des gens déjà en fonction, disposant des informations dont ils ont besoin, mais ils recrutent aussi à long terme.

Je peux évoquer le cas de Glenn Duffie Shriver, étudiant américain parti faire ses études à Shanghai, qui a été recruté, par petite annonce, par le ministère de la sécurité d'État, qui cherchait un étudiant américain pour rédiger une petite étude insignifiante. Cette étude, extrêmement bien rémunérée, a été suivie d'une autre, puis encore d'une autre. La relation s'étend dans la durée, pendant plusieurs mois. La première personne au contact de l'étudiant passe la main à une autre personne - probablement un officier du ministère. Petit à petit, les travaux deviennent plus intéressants. Au final, l'étudiant est incité à tenter le concours du département d'État ou de la CIA. S'il échoue au premier, il réussit les premières épreuves du second. Mais, lorsqu'il a été soumis au détecteur de mensonge, ce qui est obligatoire pour entrer à la CIA, il a un peu paniqué quand on lui a demandé s'il avait déjà perçu de l'argent d'une puissance étrangère. Il a dit qu'il n'était plus candidat, et il a tenté de retourner en Chine. Il a été arrêté alors qu'il s'apprêtait à prendre l'avion.

Le fait que les services de renseignement chinois recrutent des jeunes, encore étudiants, en espérant qu'ils auront un jour des fonctions intéressantes ou même - encore mieux - en les orientant vers les carrières qui les intéressent montre qu'ils sont capables de développer des stratégies à long terme, même si c'est avec plus ou moins de succès.

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