Intervention de Julien Nocetti

Commission d'enquête Tiktok — Réunion du 27 mars 2023 à 15h10
Audition de M. Julien Nocetti enseignant-chercheur à l'académie militaire de saint-cyr coëtquidan

Julien Nocetti, enseignant-chercheur à l'académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan :

Je prendrai comme point de départ votre dernière question, qui porte finalement sur les enjeux de réciprocité et d'interdépendance instrumentalisée de part et d'autre. J'aurais tendance à relier la question à des enjeux d'identité. Cherche-t-on à défendre l'enjeu des valeurs lorsque l'on cherche à défendre un modèle technologique ? Ou assume-t-on le fait que tous ces enjeux technologiques soient devenus des enjeux de sécurité nationale ?

L'enjeu de fragmentation technologique a été identifié il y a plus d'une décennie et la Chine en tient compte dans la structuration même de son propre cyberespace. Néanmoins, face à certaines actions occidentales, on peut avoir l'impression d'un détricotage des interdépendances et de ce qui fonde la nature, ouverte et interopérable, du réseau. Ce sont donc des choix politiques sur ce que l'on souhaite transmettre par le biais de la technologie, et c'est là une question épineuse. Vivre dans un contexte de réciprocité est assez tentant, d'ailleurs le terme de weaponization illustre bien le contexte, mais cela aurait aussi pour effet de créer des situations d'escalade. En effet, la Chine pourrait répliquer via un certain nombre de domaines économiques. Le sujet est donc très sensible.

L'appareil législatif est-il suffisant ? En considérant le règlement général sur la protection des données (RGPD), le DSA ou la capacité d'action des commissions de l'informatique européennes, on constate que l'appareillage européen est déjà assez important. Un foisonnement d'initiatives existe également en matière de cybersécurité depuis une année, ainsi qu'une volonté de lutte contre la désinformation qui est louable - nous pouvons nous en féliciter. Il faut donc que l'Union européenne puisse tirer profit de cette puissance normative et, comme elle l'a montré avec le bannissement de TikTok, qu'elle puisse agir rapidement.

S'agissant du manque de justification donnée à cette interdiction, je ferais un parallèle avec la « boîte à outils 5G », qui avait été annoncée au plus fort des tensions avec Huawei et qui avait déjà constitué un signe politique assez fort de la part de la Commission, même si elle n'avait fait alors que des propositions aux États membres. Ne faudrait-il pas voir si cela reflète une continuité entre ce qui a suscité l'intérêt du législateur européen à cette époque et aujourd'hui ?

Concernant la question du projet Texas et du projet Clover, qui est finalement une émanation de cette initiative, j'y vois avant tout le retour en force de l'enjeu de la relocalisation des données, dont nous avions pris conscience il y a dix ans avec l'affaire Snowden. Ce projet de relocalisation des données numériques avait été à l'époque vertement critiqué par les Américains, qui accusaient l'Europe de protectionnisme déguisé. Il est finalement assez cocasse de constater qu'ils se livreraient à des pratiques similaires, qui reviennent de facto à imposer un protectionnisme très marqué en matière de stockage des données. J'ignore si cela signifie que les Européens auraient les coudées franches en la matière, mais, d'un point de vue politique, il faut suivre ce sujet.

D'un point de vue technique, la relocalisation des données de TikTok aux États-Unis renvoie à la capacité de l'entreprise à pouvoir assurer cette scission des activités, sachant qu'une partie des équipes techniques se situe toujours en Chine et dépend donc de la loi chinoise. Si cette donnée est moins souvent évoquée dans le cadre du projet Texas, elle méritera une clarification de la part de TikTok et de la maison mère ByteDance.

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