Mes premiers mots seront pour remercier le Président Stéphane Artano ainsi que toute la délégation d'avoir accepté d'inscrire à l'ordre du jour des missions de la délégation cette question de la continuité territoriale d'outre-mer. Je voudrais particulièrement adresser mes remerciements à toute l'équipe de la délégation. Imaginez le bonheur que j'ai aujourd'hui d'être à vos côtés pour vous livrer avec mon collègue Guillaume Chevrollier un rapport qui épouse mes valeurs politiques. Je suis de celles qui, depuis longtemps, parle de responsabilité, voire de souveraineté, en outre-mer. Ma notion de responsabilité et de souveraineté est dans l'expression des contributions que nous devons faire dans nos pays respectifs pour être plus en adéquation avec les nécessités de nos territoires. Il y a un temps où il faut s'inscrire dans une démarche vertueuse de construction d'alternatives.
C'est pourquoi je suis heureuse d'être parmi vous ce matin et de vous dire comment ce rapport est une première pierre apportée à une réflexion légitime et nécessaire à la responsabilité de l'État quant à la continuité territoriale outre-mer. C'est un événement important mais le travail ne fait que commencer. La livraison de ce rapport devra être suivie d'une détermination extraordinaire. Il y a, en effet, au-delà des considérations budgétaires, une véritable nécessité de l'État à prendre également plus de responsabilité quant à sa présence et à l'accompagnement des Français que nous sommes.
Pour rappel, ce n'est qu'en 2003 que les premières briques de la politique de continuité territoriale ont été posées. Toutefois, vingt ans plus tard, force est de constater que le chantier est inachevé. Les premières briques sont toujours là, mais elles ne suffisent pas à répondre aux enjeux de l'équité, de l'égalité des chances et de l'indivisibilité de la République.
L'effort budgétaire annuel de l'État demeure comprimé entre 35 et 52 millions d'euros selon les années. Il existe donc une sorte de plafond implicite bornant la solidarité nationale au profit de la continuité territoriale dans les outre-mer à une enveloppe budgétaire maximale de 50 millions d'euros, voire moins. Chaque fois que ce plafond a été crevé ou menacé de l'être, les conditions d'obtention des aides ont été resserrées comme en 2009 et en 2015.
Bien sûr, simultanément, pour prendre la seule période 2012-2019, l'inflation cumulée a été de 7,8 % et la population des DROM a cru de 4 %. L'effort budgétaire réel a donc baissé de plus de 30 % sur cette période.
Pourtant, les objectifs affichés sont ambitieux. Pour rappel, l'article L.1803 du code des transports, qui définit la politique de continuité territoriale, dispose que « les pouvoirs publics mettent en oeuvre outre-mer, au profit de l'ensemble des personnes qui y sont régulièrement établies, une politique nationale de continuité territoriale. Cette politique repose sur les principes d'égalité des droits, de solidarité nationale et d'unité de la République. Elle tend à atténuer les contraintes de l'insularité et de l'éloignement et à rapprocher les conditions d'accès de la population aux services publics de transport, de formation, de santé et de communication de celles de la métropole, en tenant compte de la situation géographique, économique et sociale particulière de chaque outre-mer. »
Régulièrement, l'objectif de 200 000 billets aidés chaque année est lancé, comme en 2003 lors de la naissance de la politique de continuité territoriale.
Derrière ces affichages ambitieux, les réalités de la politique nationale annoncée restent décevantes.
La politique de continuité territoriale s'articule principalement autour de plusieurs catégories d'aides, avec 5 principales :
- l'ACT qui est l'aide pour le grand public ;
- l'ACT dite spécifique pour les sportifs et artistes ;
- le passeport mobilité pour les études pour les étudiants ;
- le passeport pour la mobilité de la formation professionnelle ;
- et les aides à la continuité funéraire.
Dans l'ensemble, les critères d'éligibilité à ces aides sont sélectifs. Les conditions de ressources sont particulièrement strictes. Certains dispositifs comme l'ACT pour les sportifs sont même inconnus.
S'agissant de l'ACT, qui doit bénéficier au plus grand nombre, les résultats sont médiocres : 84 371 bons délivrés en 2012 puis une baisse régulière pour tomber à 22 838 bons en 2019 et 48 035 en 2022. Ce rebond en 2022 s'explique par le retour des demandes des Réunionnais qui avaient fui le dispositif national au profit d'un dispositif régional plus avantageux. Ce dernier ayant été revu à la baisse, les Réunionnais se tournent à nouveau vers le dispositif national.
Lancée en 2021, l'ACT spécifique pour les sportifs et les artistes est un échec complet. En 2022, 22 bons ont été émis !
Le PME qui concerne les étudiants est le dispositif qui se maintient le mieux avec une dizaine de milliers de bénéficiaires. C'est aussi le plus ancien. Les étudiants formulent néanmoins des critiques, ces aides ne prenant pas assez en considération l'intensité du déracinement des étudiants, ni la cherté de la vie. Le dispositif est aussi jugé peu souple pour s'adapter à des situations régionales particulières. Ainsi, les ACT ne prennent pas en charge les transports passagers par bateau entre la Martinique et la Guadeloupe, alors que beaucoup d'étudiants étudient entre les deux îles.
Le passeport pour la mobilité de la formation professionnelle (PMFP) est lui destiné aux personnes en formation professionnelle en mobilité et aux personnes inscrites dans une démarche d'insertion professionnelle. Les antennes territoriales de LADOM en Hexagone sont entièrement dédiées à l'accompagnement de ces demandeurs d'emploi en formation (accueil, hébergement, suivi).
Toutefois, ce dispositif est en perte de vitesse avec une baisse régulière du nombre de bénéficiaires pouvant s'expliquer notamment par l'amélioration des offres de formation sur les territoires, ce qui est une bonne chose.
Une autre critique récurrente, qui concerne les aides forfaitaires comme l'ACT, est celle de leur inadaptation à la saisonnalité forte des prix. Les aides ne s'adaptent pas au prix réel des billets.
Les bons sont censés couvrir 40 % du prix des billets (50 % depuis le 15 mars 2023). Toutefois, ce pourcentage n'est pas calculé sur la base du prix réel, ni sur celui du prix moyen constaté, mais sur la moyenne du prix d'achat des billets d'avion par les bénéficiaires de l'ACT.
En somme, l'aide forfaitaire est calculée à partir d'un plancher bas. Cette méthode de calcul, protectrice pour les finances publiques, n'est en revanche pas adaptée à la réalité de la plupart des ultramarins qui ne peuvent pas tous programmer leur déplacement six mois à l'avance ou échapper à la haute saison.
Le reste à charge se maintient à des niveaux très élevés qui poussent de nombreux bénéficiaires potentiels des aides à renoncer à leurs projets.
S'agissant de l'aide au fret, qui est un dispositif à part, non géré par LADOM, elle a surtout pour objectif d'améliorer la compétitivité des activités de production dans les outre-mer. En revanche, les importations de produits de consommation ne peuvent en bénéficier. Ce n'est donc pas un outil adapté pour diminuer la charge du fret sur le coût de la vie. Les montants disponibles, les activités éligibles et la complexité des dossiers n'en font pas un outil opérationnel.
Ces manquements apparaissent plus crûment à la lumière d'autres expériences en France ou dans l'Union européenne. L'exemple corse est une illustration d'une politique ambitieuse de continuité bénéficiant au plus grand nombre, même si ses modalités peuvent être discutées. De même, les exemples espagnols et portugais sont intéressants car il démontre qu'une politique très volontariste est possible sans pour autant affaiblir le jeu concurrentiel. Dans ces deux pays, des réductions et des tarifs résident co-existent avec un marché entièrement libre où des compagnies low cost opèrent.
Le tableau figurant dans l'Essentiel vous montre page 2 une comparaison des efforts budgétaires en faveur de la continuité territoriale. Les chiffres sont accablants.
Depuis 2021, on observe néanmoins les prémices d'un nouvel élan. Le montant des aides a été réévalué à deux reprises en 2021, puis il y a 15 jours à la suite de l'augmentation des crédits en loi de finances pour 2023.
La hausse des prix des billets et la fin du dispositif réunionnais très avantageux ne laissaient pas d'autres choix que de relever les moyens alloués.
Ce bilan très critique de la politique conduite depuis 20 ans nous conduit à formuler neuf autres propositions en complément de celles déjà exposées par mon collègue Guillaume Chevrollier il y a un instant.
Au préalable, il faut réaffirmer que la politique de continuité territoriale relève d'abord et avant tout de l'État. C'est sa responsabilité et les collectivités territoriales ne peuvent venir qu'en appui ou en complément, sous réserve de leurs capacités et selon les priorités de leurs territoires.
En conséquence, l'augmentation des enveloppes budgétaires allouées à la continuité territoriale en loi de finances nous paraît incontournable. Un doublement serait un point de départ, tant les bricolages et ajustements à la marge que nous avons connus ne sont plus à la hauteur des enjeux.
S'agissant des diverses aides existantes, une proposition commune à toutes est le relèvement du plafond de ressources. Ce critère est le plus discriminant, tant le seuil actuel est bas, malgré le contexte de forte pauvreté des outre-mer. Environ 12 000 euros de plafond pour être bénéficiaire de l'ACT ; autrement dit, ce sont des bénéficiaires qui nous touchent même pas le SMIC ! Comment peut-on imaginer que dans ces pays où le coût de de la vie est supérieur parfois de près de 35 % sur les matières alimentaires, que l'on soit dans un plafond de ressource qui est inférieur au SMIC. Il n'y a que les ultra pauvres qui peuvent bénéficier d'une contribution sur un billet d'avion.
Nos autres propositions concernent la fréquence des aides (quatre ans pour l'ACT est manifestement trop long), les modalités - bons ou remboursements ou leur revalorisation comme pour le transfert des corps.
De manière générale, il faut aussi revoir le périmètre des aides.
Tout d'abord, pour aider les déplacements entre les outre-mer. Je rappelle, à titre d'exemple, que l'Université des Antilles est à la fois en Guadeloupe et en Martinique. Les étudiants Martiniquais qui étudient en Guadeloupe, ou de Guadeloupe qui étudient en Martinique, ne sont pas inclus dans le périmètre de l'aide. En effet, les aides, en particulier l'ACT, sont orientées quasi exclusivement vers la métropole. Un aller-retour Guyane Fort-de-France doit être aidé au même titre qu'un Pointe-à-Pitre Paris.
Ensuite, il faut prévoir des aides additionnelles spécifiques pour prendre en compte le coût du trajet depuis le domicile jusqu'à l'aéroport international, quand ce coût est prohibitif. Par exemple en Polynésie française pour les habitants des îles éloignées. Ou en Guyane depuis les communes de l'intérieur.
Enfin, il faut désormais faire de l'aide au retour une priorité. L'intégralité des responsables de collectivité entendus, mais aussi les acteurs économiques, ont alerté sur la fuite des talents et des jeunes qualifiés. Une proportion importante des étudiants ne revient pas sur les territoires.
La question du retour prend encore une autre acuité dans les outre-mer en déprise démographique, comme la Guadeloupe et la Martinique. Cette préoccupation des territoires a trouvé un écho favorable dans les réflexions en cours sur les évolutions de la continuité territoriale et des missions de LADOM. Cet axe d'actions doit se construire en plein partenariat avec les collectivités ultramarines afin de coller à leurs choix et priorités de développement.
S'agissant de l'aide au fret, un rapport demandé en loi de finances pour 2023 est attendu à la fin du semestre. Nous attendons ses recommandations. Parmi les pistes de réflexions pour simplifier le dispositif, sont déjà évoqués l'utilisation d'un barème forfaitaire pour le versement des aides européennes et le découplage de l'aide européenne et de l'aide nationale.
De manière plus structurelle, la question est celle de la réorientation ou non de l'aide au fret comme véritable outil de lutte contre la vie chère, ce qu'il n'est pas à ce jour. Si tel était l'objectif, il conviendrait d'augmenter les moyens alloués et d'étendre son bénéfice aux importations de produits agricoles et de produits de première nécessité.
Toutefois, ce changement de priorité peut aussi avoir des effets indésirables qu'il conviendra d'étudier.
J'en viens à présent au problème majeur de la saisonnalité des prix et des pics tarifaires.
Cela conduit à poser la question de la faisabilité d'un tarif résident dont l'objectif serait d'atténuer les effets les plus brutaux de la saisonnalité des tarifs.
Les exemples espagnols et portugais nous montrent qu'un tarif résident peut coexister avec un système pleinement concurrentiel, sans DSP.
Toutefois, trois risques sont à circonscrire, les trois soulevant la même question : quel tarif plafond arrêter ?
Le premier risque est celui d'une incitation des compagnies à relever leurs prix, l'État prenant en charge tous les dépassements du plafond. Ce risque paraît néanmoins limité. D'une part, parce que les résidents ultramarins ne représentent qu'une part minoritaire des passagers sur la plupart des lignes. Des prix excessifs feraient fuir les autres voyageurs.
Le deuxième risque est celui d'une perte de l'incitation des voyageurs ultramarins à rechercher le meilleur tarif.
Enfin, le troisième risque est celui d'une non maîtrise budgétaire de ce dispositif.
J'en viens enfin à LADOM qui est en charge de mettre en oeuvre la politique de continuité territoriale et qui ambitionne de devenir l'opérateur de référence de la mobilité outre-mer à l'occasion de son nouveau projet LADOM 2024.
Présente dans les 5 DROM et s'appuyant sur des antennes réparties dans l'Hexagone, l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (LADOM) n'a jamais réellement défini et piloté une stratégie, s'attachant plutôt à ajuster des dispositifs en fonction des contraintes budgétaires permanentes.
Je l'ai dit, les aides sont souvent mal connues. L'instruction des dossiers est complexe pour beaucoup de demandeurs. Certaines procédures sont obsolètes comme les bons papiers. Par ailleurs, LADOM est absente de plusieurs outre-mer, en particulier dans le Pacifique, ce qui se traduit par une faible sollicitation des aides en Polynésie françaises ou en Nouvelle-Calédonie. Quant aux antennes situées en Hexagone, elles nous paraissent sous exploitées.
Toutefois, une phase prometteuse s'ouvre avec le projet stratégique « LADOM 2024 », en cours d'élaboration par une nouvelle équipe dirigeante.
Ce calendrier est une chance pour refonder la politique de continuité territoriale.
Cinq défis doivent être prioritairement relevés :
- renforcer la présence et l'accessibilité dans tous les outre-mer ;
- mieux communiquer auprès des publics cibles ;
- engager un choc de simplification des procédures administratives et du traitement des demandes ;
- développer l'accompagnement des étudiants ultramarins au travers de ses antennes hexagonales ;
- et enfin faire émerger un pilotage stratégique en lien direct avec les territoires pour répondre à leurs besoins.
En effet, pour réussir ce pari, LADOM doit impérativement s'appuyer sur les collectivités ultramarines, mais aussi hexagonales, afin de faire de LADOM un opérateur au service des territoires et de leurs collectivités.
Des conventions de partenariat devraient être obligatoirement signées avec toutes les régions, départements et collectivités d'outre-mer pour compléter, adapter ou expérimenter des dispositifs en lien avec les projets de développement local.
À terme, dans l'esprit de ce qui avait été d'ailleurs imaginé initialement lors de la réforme de la LODEOM en 2009, les antennes locales de LADOM pourraient être transformées en groupement d'intérêt public (GIP).
Autour d'un tronc commun (la politique nationale de continuité territoriale), LADOM mettrait en oeuvre des politiques territorialisées. Ce n'est qu'à cette condition que l'agence rayonnera comme le guichet unique de la mobilité dans les outre-mer.
Je tiens à remercier pour conclure les collègues de Guyane pour notre déplacement sur leur territoire. C'était une véritable expédition qui nous a permis de toucher du doigt un territoire de la République totalement enclavé et ne devant son salut qu'à l'avion. Il reste à créer sur ce territoire des infrastructures pour éviter cette France à plusieurs vitesses que nous avons pu constater.