Intervention de Jean-François Carenco

Réunion du 13 avril 2023 à 15h30
Justice dans les outre-mer — Débat organisé à la demande du groupe socialiste écologiste et républicain

Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, madame la sénatrice Jasmin, je veux d'abord vous remercier d'avoir choisi de mettre en avant cet après-midi un sujet ultramarin, tant j'ai de l'intérêt à venir échanger avec vous. Je tiens à vous exprimer ma vraie volonté d'agir sur les difficultés spécifiques de ces territoires.

Je vous prie d'excuser l'absence de mon collègue Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, qui est retenu par d'autres engagements. Vous savez qu'il porte une attention toute particulière aux territoires ultramarins, comme je vais essayer de le démontrer. J'ai des échanges réguliers avec lui sur les sujets qui nous sont communs. Les avances déjà effectuées ou en cours sur ces sujets sont considérables.

Je précise d'emblée que je ne pourrai pas, comme vous le savez, répondre sur les affaires en cours, pas plus que n'aurait pu le faire le garde des sceaux. Mais c'est avec plaisir que je vais tenter d'apporter des éclairages sur vos préoccupations.

Comme dans d'autres domaines, l'action du Gouvernement en la matière est empreinte à la fois de volontarisme et de pragmatisme. Il nous faut regarder les actions d'aujourd'hui et non pas seulement les rapports publiés voilà plusieurs années ; beaucoup a justement été fait à la suite de ces rapports ! Pragmatisme et volontarisme : c'est précisément ce vers quoi le Défenseur des droits voulait nous amener dans le rapport que vous avez évoqué, madame la sénatrice.

Je veux à présent vous répondre plus précisément sur les points que vous avez soulevés.

La politique de conciliation est essentielle, je vous rejoins sur ce point. Dans chacun des deux départements antillais, deux conciliateurs ont pu être recrutés en 2022. Cela est encore insuffisant, je le conçois, mais les juridictions poursuivent des campagnes de recrutement.

Les Antilles bénéficieront, comme l'ensemble du territoire, du large déploiement de la politique de l'amiable, l'une des suites des États généraux de la justice. Nos concitoyens souhaitent que leurs litiges puissent avancer. Or, parfois, la médiation ou d'autres modes de règlement des différends répondent mieux à leurs préoccupations que le recours à la justice en tant que telle.

Sur votre souhait que la justice soit rapprochée des concitoyens, je peux vous répondre que le garde des sceaux a fait de la justice de proximité, depuis bientôt trois ans, une priorité essentielle de son action.

Les hausses inédites que connaît le budget de la justice durant ces années profitent à tous : 68 personnels contractuels sont arrivés en outre-mer dans le cadre du déploiement de cette justice de proximité. La Chancellerie a bien pris en considération les recommandations du Défenseur des droits et procédera prochainement à un recensement des audiences foraines existantes et des besoins concrets des juridictions en la matière.

Vous pointez à juste titre l'aide juridictionnelle, sujet nécessairement lié au contexte budgétaire contraint que nous connaissons tous. Je crois cependant comprendre que mon collègue garde des sceaux est prêt à étudier certaines évolutions en la matière, en sachant bien que cela devra reposer en même temps sur des engagements des avocats, ainsi que sur une réflexion sur l'évolution des modalités du recours, dans certains cas, à la visioconférence. Sachez en tout cas que la Place Vendôme examine cette question avec attention, notamment pour Wallis-et-Futuna, où je me suis rendu voilà peu.

Au-delà, ce sujet rejoint celui du coût de la vie dans les outre-mer, sujet qui, comme vous le savez, fait lui aussi l'objet de perspectives précises que nous portons avec le ministre de l'intérieur et des outre-mer. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle la revalorisation de l'unité de valeur ne fait pas partie des évolutions envisagées.

Je souhaite plus largement revenir sur l'intitulé du débat de ce jour : l'état de la justice dans les outre-mer. Mon collègue garde des sceaux est pleinement conscient que cet état n'est pas toujours parfait, pas plus qu'il ne l'est d'ailleurs dans l'Hexagone, mais cela résulte, vous le savez bien, d'une très longue histoire.

Les hausses importantes du budget de la justice au cours des dernières années permettent cependant d'entrevoir de potentielles améliorations.

De nombreuses créations de postes ont eu lieu : 108 postes de magistrats et de fonctionnaires ont été créés dans les services judiciaires depuis 2018, dont 71 dans les deux dernières années ; dans l'administration pénitentiaire, on est passé entre 2020 et 2023 de 2 800 à 2 932 postes en outre-mer, soit autant de postes supplémentaires permettant aux Ultramarins, très nombreux dans l'administration pénitentiaire, de revenir exercer leurs fonctions sur le territoire dont ils sont originaires. Ces renforts sont importants, mais ils sont loin d'être suffisants ; je le reconnais volontiers.

Le garde des sceaux a pris en compte les difficultés majeures d'attractivité de plusieurs départements, notamment Mayotte et la Guyane – c'est le problème principal pour les recrutements –, et met en place plusieurs mesures concrètes pour y remédier.

Ainsi, l'aide à l'installation est permise pour les magistrats et greffiers depuis l'an dernier, par le biais d'un marché public.

Un contrat de mobilité est aussi possible pour des postes de magistrat souffrant d'une absence de candidats : pour ces postes, le passage outre-mer est un véritable tremplin pour la carrière, avec l'assurance après trois ans de revenir dans l'Hexagone sur l'un des cinq postes sollicités en partant.

Avant les choix de postes, une formation intitulée Être magistrat outre-mer existe pour sensibiliser ceux qui sont intéressés. Des pôles spécialisés existent désormais à la direction des services judiciaires, pour sensibiliser aux spécificités de ces territoires. Des interventions sur les postes outre-mer sont désormais systématiques au moment des choix des postes, à la sortie de l'École nationale de la magistrature ou de l'École nationale des greffes Le ministère de la justice a donc désormais parfaitement compris que, pour que la justice outre-mer fonctionne, il faut que les personnes venant y contribuer soient conscientes des spécificités du territoire dans lequel elles arrivent, et qu'elles soient accueillies, accompagnées et formées.

Le ministère de la justice contribue également à l'emploi outre-mer : ainsi, je veux ici mettre en lumière que 28 % des surveillants recrutés depuis 2017 sur l'ensemble du territoire national sont originaires des territoires ultramarins : c'est un chiffre important.

Par ailleurs, un concours national d'affectation locale est en cours pour recruter sept greffiers à Mayotte et dix en Guyane.

De même, les outre-mer sont largement concernés par le plan 15 000 places de prison, visant à moderniser et accroître la capacité de nos établissements pénitentiaires, qu'il s'agisse de ceux de Koné en Nouvelle-Calédonie, de Ducos en Martinique, de Baie-Mahault en Guadeloupe ou encore de Saint-Laurent-du-Maroni en Guyane.

L'immobilier judiciaire n'est pas en reste, puisque des opérations d'ampleur sont actuellement prévues ou engagées, à des stades d'avancement différents, à Cayenne, Fort-de-France, Basse-Terre, Mamoudzou ou encore Saint-Laurent-du-Maroni.

Les projets judiciaires ultramarins en cours représentent plus de 800 millions d'euros d'investissements par le ministère de la justice. C'est considérable : la Défenseure des droits a été entendue ! Cette somme, absolument indispensable, démontre que l'État est au rendez-vous pour l'immobilier judiciaire outre-mer.

On construit aussi pour la protection judiciaire de la jeunesse, notamment dans les départements qui ont le plus besoin de cette action : de nouveaux centres éducatifs fermés sont prévus en Guyane pour le début de 2024 et à Mayotte pour 2025.

Ces nombreux projets montrent aussi que le ministère de la justice prend désormais en considération dans ses réflexions des paramètres tenant compte des caractéristiques climatiques de ces territoires. L'usure des bâtiments est en effet plus rapide dans nombre des territoires que nous évoquons.

Je pense que ce tour d'horizon – peut-être trop long, je m'en excuse – et les chiffres que j'ai cités démontrent bien que le Gouvernement prend en compte de manière particulièrement sérieuse, pragmatique et volontariste à la fois les problématiques liées à la justice et les sujets ultramarins.

L'effort humain et budgétaire est considérable ; je suis particulièrement heureux de vous le présenter ici aujourd'hui, parce qu'on ne le souligne peut-être pas assez. Je suis donc impatient d'en débattre avec vous et de répondre plus précisément à toutes vos questions.

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