Intervention de Claude Malhuret

Réunion du 17 mai 2023 à 15h00
Génocide ukrainien de 1932-1933 — Adoption d'une proposition de résolution

Photo de Claude MalhuretClaude Malhuret :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « nous ne savions pas ». Combien de fois cette excuse a-t-elle servi à ceux qui avaient choisi de fermer les yeux ? La Shoah avait lieu dans le secret des camps. Le génocide perpétré par les Khmers rouges, dans un pays cadenassé. L’Holodomor, dans l’Ukraine impénétrable. Le goulag, dans l’inaccessible Kolyma. Le laogaï, au fin fond de la Chine interdite.

Cette excuse, je n’y crois pas. La vérité ne s’est jamais dérobée qu’à ceux qui ne voulaient pas voir.

Ces massacres, ces génocides, ces crimes contre l’humanité ont leurs bourreaux, mais aussi leurs complices.

Les bourreaux sont connus, d’Hitler à Staline, de Mao à Mengistu, de Pol Pot aux généraux birmans. Là où nous sommes concernés, c’est par les complices : les complices actifs d’une part, les idiots utiles de l’autre.

Les complices, en France entre 1939 et 1945, ce sont les fascistes français et les collabos ; du temps de l’URSS, les partis communistes occidentaux flanqués de tant d’intellectuels prestigieux ; du temps des 40 millions de morts du Grand Bond en avant, les sectes maoïstes puissamment aidées par la fine fleur de l’intelligentsia française.

Les idiots utiles, écoutez-les pendant l’Holodomor : Édouard Herriot, de retour d’Ukraine à l’été 1933 : « Je vous affirme que j’ai vu l’Ukraine tel un jardin en plein rendement. Il n’y a que jardins potagers et kolkhozes admirablement irrigués et cultivés et récoltes décidément admirables. » Des phrases aussi inimaginables ont été proférées par des Romain Rolland, des Langevin, des Malraux et des dizaines d’autres.

Toutes ces visites Potemkine ont eu lieu au plus fort de la famine, lorsque des parents mangeaient leurs enfants morts, lorsque la « loi sur les épis » condamnait à dix ans de camp ou à la peine de mort toute personne ayant glané quelques épis de blé ou de seigle dans les champs.

Certaines victimes de génocides, de famines organisées, de massacres ont été victimes deux fois : une première fois assassinées, une seconde parce que les crimes n’ont pas été jugés.

Les bourreaux qui ont perdu ont été condamnés, parfois avec beaucoup de retard, mais condamnés. Les nazis à Nuremberg, les Khmers rouges à Phnom Penh, les génocidaires hutus à La Haye. Mais il n’y a pas eu de Nuremberg pour ceux qui n’ont pas perdu leurs guerres.

Les Staline, les Mao Tsé-Toung et tant d’autres sont morts dans leur lit. Pis, ils ont eu tout le temps de maquiller l’histoire et de s’exonérer. Seuls les historiens peuvent les juger, mais c’est si difficile lorsque les preuves ont été effacées.

Combien d’années ont-elles été nécessaires pour attribuer à Staline l’Holodomor, le massacre de Katyn et le goulag ? Pour enfin connaître le bilan du Grand Bond en avant en Chine ?

Pourquoi faut-il que ces forfaits soient condamnés, même longtemps après ? Pour la mémoire des victimes, bien sûr, mais pas seulement. Pour aussi tenter d’éviter de nouvelles atrocités. Je dis bien « tenter », car malheureusement l’histoire se répète. Quatre-vingt-dix ans après l’Holodomor, l’Ukraine perd des centaines de milliers de ses enfants par le crime d’un ancien colonel du KGB, devenu le dictateur fasciste du Kremlin. Et les mêmes complices, et les mêmes idiots utiles, sont là.

Si je parle d’eux, c’est parce que je les connais. Je les ai rencontrés tout au long de ma vie.

En 1980, lorsque Médecins sans frontières a organisé la marche pour la survie du Cambodge, afin de dénoncer la famine organisée par les Vietnamiens, nous avons fait face à une campagne internationale expliquant que nous étions des agents de la CIA.

En 1984, lorsque nous avons dénoncé les déportations de masse en Éthiopie, nous avons été traités de menteurs, non seulement par Mengistu, mais par l’attelage improbable de plusieurs ONG, de l’ONU et même du misérable ambassadeur de France.

Des années plus tard, une fois renversé, Mengistu sera condamné pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre et abrité au Zimbabwe par son ami le dictateur Mugabe. Il coule aujourd’hui des jours paisibles à Harare.

D’autres exemples datent, non pas d’hier, mais d’aujourd’hui : les Ouïghours, les Rohingyas, les massacrés de l’est du Congo, ceux de la République centrafricaine, avec l’aide des ordures du groupe Wagner. Tout cela, dans l’indifférence générale et le négationnisme des complices et des idiots utiles.

Aujourd’hui, l’Ukraine est victime de nouveaux crimes contre l’humanité. Presque aucune des résolutions prises par l’Assemblée nationale, le Sénat ou le Parlement européen condamnant la guerre de Poutine n’a été votée par le Rassemblement national, les Insoumis et le parti communiste.

Le 28 mars dernier, l’Assemblée nationale a voté une résolution sur l’Holodomor semblable à celle que nous examinons aujourd’hui. La France insoumise a refusé de participer au vote et le parti communiste a voté contre. C’est un nouvel affront infligé à la mémoire des millions de victimes de Staline, mais aussi de Poutine.

Face aux falsificateurs de l’histoire, le Sénat s’honore aujourd’hui – j’en remercie notre collègue Joëlle Garriaud-Maylam – de célébrer la mémoire des victimes de l’un des pires crimes du XXe siècle.

Demain, après la victoire de l’Ukraine, il faudra que se tienne le Nuremberg du poutinisme et de ses complices.

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