Intervention de Guillaume Gontard

Réunion du 17 mai 2023 à 15h00
Génocide ukrainien de 1932-1933 — Adoption d'une proposition de résolution

Photo de Guillaume GontardGuillaume Gontard :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 26 novembre dernier, les Ukrainiens et Ukrainiennes célébraient le quatre-vingt-dixième anniversaire de la grande famine qui a entraîné la mort de plusieurs millions de personnes, entre 1932 et 1933, en République socialiste soviétique d’Ukraine.

En 1920, le dirigeant de l’URSS Joseph Staline décide de lancer la collectivisation forcée, afin d’ouvrir des fermes d’État. Les terres et les productions des paysans sont confisquées, et alors que des familles éclatent dans plusieurs pays, comme au Kazakhstan, les prélèvements sur les récoltes continuent à augmenter de manière disproportionnée.

En réaction à la politique meurtrière de Staline, des actes de protestation et de contournement des règles s’organisent partout. L’Ukraine, en particulier les paysans ukrainiens, est le cœur de cette résistance. Pour la briser, Staline et son gouvernement décident de durcir encore leurs mesures et, partant, d’aggraver la famine. Les villages affamés sont isolés, les paysans n’ayant pas le droit de gagner les villes. Entre 3, 5 et 5 millions de personnes mourront dans des conditions atroces.

Cet épisode de la politique meurtrière de Staline porte le nom d’Holodomor, qui signifie littéralement « extermination par la faim » en ukrainien. Pour beaucoup d’historiens, l’intention de Staline était bien, par cette politique criminelle, d’anéantir les Ukrainiens.

Aujourd’hui, la Rada ukrainienne nous demande de reconnaître la grande famine comme un génocide du peuple ukrainien. Cet épisode de l’histoire fait en effet partie intégrante de l’identité ukrainienne.

Pendant plusieurs décennies, les autorités soviétiques ont tenté d’étouffer la vérité – en vain, car la vérité n’est pas une opinion. C’est en 2004, après l’élection de Viktor Iouchtchenko, que le peuple ukrainien dénonce les actes barbares et meurtriers de Staline.

En 2006, soixante-quatorze ans après la grande famine, l’Ukraine élève l’Holodomor au rang de tragédie nationale, puis le reconnaît comme génocide.

Depuis lors, de plus en plus d’États reconnaissent la grande famine comme génocide. L’Allemagne l’a fait au mois de novembre et le Parlement européen au mois de décembre dernier.

Les Ukrainiens et les Ukrainiennes n’ont pas eu la possibilité, en 2022, de célébrer comme il se doit ce quatre-vingt-dixième anniversaire. Il n’y a pas eu de grands rassemblements, mais seulement des cierges allumés aux fenêtres et une minute de silence, car, comme nous le savons tous, depuis le mois de février 2022, le peuple ukrainien est de nouveau attaqué.

Si le régime a changé, l’agresseur est le même : le voisin russe, qui a toujours la plus grande difficulté, après des siècles d’histoire partagée, à accepter l’existence même de la nation ukrainienne.

Quand Vladimir Poutine a envahi son voisin il y a quinze mois, ses intentions ne faisaient aucun doute : il souhaitait l’annexion de l’Ukraine ou, a minima, la mise en place d’un pouvoir fantoche.

La colonne de chars envoyés vers Kiev en février 2022 illustre cette velléité impérialiste. Poutine bombarde des civils, torture, attaque des établissements médicaux et – nous en avons débattu récemment dans cet hémicycle – enlève des enfants. La logique de ces atrocités est toujours la même : faire disparaître la nation, l’identité nationale ukrainienne.

Ces enfants, dont le nombre est estimé à 16 000, sont déportés en Russie, puis emmenés dans des camps de rééducation, qui ont pour but de les endoctriner en les noyant dans la propagande prorusse et en les soumettant à des entraînements militaires. Poutine cherche ensuite à faire adopter ces enfants ukrainiens par des familles russes.

Le massacre de Boutcha, ville ukrainienne dont l’armée russe s’est retirée il y a un an, porte encore les stigmates de cette volonté d’anéantir la population ukrainienne. Lors du retrait des troupes russes, les soldats ukrainiens ont notamment découvert dans cette ville des dizaines de corps de civils, vraisemblablement exécutés.

Toutefois, Vladimir Poutine, comme Joseph Staline avant lui, commet une erreur fondamentale, en considérant que l’Ukraine n’est qu’un territoire riche en ressources, notamment céréalières, dont la Russie peut disposer à sa guise selon les besoins de son pouvoir central.

Cette idéologie de faussaire de l’histoire ignore la construction nationale ukrainienne, qui s’est affirmée depuis deux siècles avec autant de force que toutes les autres nations européennes. En menaçant jusqu’à son existence, Vladimir Poutine ne fait que renforcer l’identité nationale ukrainienne et, plus qu’à d’autres périodes de son histoire, il la pousse vers l’ouest du continent.

Il est de notre devoir d’Européens d’accompagner ce droit du peuple ukrainien à disposer de son destin. La reconnaissance du génocide ukrainien en fait partie. Si elle n’est pas aussi efficace que notre soutien militaire, financier et humanitaire, elle revêt une importance symbolique, dont il ne faut en aucun cas négliger la puissance.

En votant cette résolution, nous exprimons une nouvelle fois notre solidarité sans faille à l’Ukraine et à son peuple.

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