Intervention de Hélène Conway-Mouret

Réunion du 17 mai 2023 à 15h00
Génocide ukrainien de 1932-1933 — Adoption d'une proposition de résolution

Photo de Hélène Conway-MouretHélène Conway-Mouret :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la mémoire d’une douleur est toujours personnelle, intime, et le débat qui s’ouvre cette après-midi n’y échappe pas.

Pour avoir vécu trente ans en Irlande, j’ai le souvenir, sur la côte ouest de l’île, de cette vallée rousse et vide, où le regard ne s’accroche qu’à la seule croix de granit dédiée à la tragédie de Doolough, portant la mention suivante : Erected to the memory of those who died in the famine of 1845-1849, c’est-à-dire : « Érigée à la mémoire de ceux qui sont morts dans la famine de 1845-1849 ».

Quand vous vous recueillez à cet endroit, il vous revient en mémoire le poème de Desmond Egan, qui, comme toute poésie, se dit dans le texte :

In Ireland also

there are places where no birds sing

where the past overgrows the present

where centuries quiver in a leaf

we […]

who had our own holocaust in medieval 1847.

Ce qui signifie, mes chers collègues : « En Irlande aussi, il y a des endroits où aucun oiseau ne chante, où le passé envahit le présent, où les siècles tremblent dans une feuille, nous […] qui avons eu notre propre holocauste au cours d’une moyenâgeuse année 1847. »

Il est vrai que, un jour de mars 1849, plus de 400 personnes sont mortes de faim dans ce comté de Mayo lors d’une dernière marche qui leur avait été imposée par une administration coloniale distribuant un secours d’urgence trop rare à des populations abandonnées. Elles s’ajoutèrent, ce faisant, au 1, 5 million de morts que fit la grande famine.

Mon souci n’est pas, mes chers collègues, de relativiser la portée ou la dimension exceptionnelle de la famine qui provoqua entre 1932 et 1933 la mort de 3, 5 millions d’Ukrainiens.

Mais il pourrait être de débattre de cette qualification de génocide qu’il nous est proposé de voter – j’ajoute immédiatement que je voterai évidemment ce texte, ainsi que mon groupe politique, comme vient de le rappeler notre président Patrick Kanner. En effet, il ne nous revient pas de qualifier des faits alors que les Nations unies s’y sont refusées et que le débat entre historiens – et pas seulement entre Russes et Ukrainiens – n’est pas achevé.

Non, la question n’est pas là, et ce ne sera pas l’objet de mon propos. Une famine provoquée l’est par une restructuration et la confiscation de la propriété privée, parfois par la constitution de domaines coloniaux et toujours par le refus de presque tout secours aux populations abandonnées, qui les conduisent à la mort. Elle entraîne aussi un effondrement durable de la natalité et force l’émigration.

Je ne sais, dans ces conditions, mes chers collègues, si l’Holodomor est ou non un génocide. Cette « extermination par la faim » est dans tous les cas un événement tragique de l’histoire universelle.

Il me ramène personnellement à la plage lettonne de Liepaja où furent massacrés 10 000 juifs du ghetto de Riga, au collège de Tuol Sleng à Phnom Penh, au Musée de la mémoire et des droits humains à Santiago du Chili.

Il me ramène aussi le 24 avril dernier à la commémoration du génocide de 1915 à Erevan, où j’étais présente, aux côtés de certains de nos collègues de tous bords politiques, pour célébrer la mémoire d’un peuple en larmes et en marche, qui se remémorait un génocide dont l’Europe s’est détournée.

Qu’il s’agisse de détruire pour soumettre ou de détruire pour éradiquer, un massacre de masse répond toujours à la même logique ultime, celle de faire disparaître une population non seulement de sa terre, mais également de la terre, pour reprendre l’expression d’Hannah Arendt.

Ces massacres ont par ailleurs toujours les mêmes prémisses : la discrimination, la persécution, la marginalisation d’une communauté désignée au regard de tous. C’est bien ce qui est commun à l’ensemble de ces événements, un même processus auquel nous devons être attentifs, car il est toujours à l’œuvre.

C’est pour cela que la mémoire de l’Holodomor doit être rappelée, en raison de l’évocation de la dimension tragique de l’histoire, évoquée par les orateurs précédents.

Je remercie Joëlle Garriaud-Maylam de nous avoir permis aujourd’hui, par ce débat, à la fois d’exprimer notre solidarité à l’égard de l’Ukraine et d’exercer notre devoir de mémoire. Voilà pourquoi le vote de cette proposition de résolution s’impose.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion