Intervention de Nadia Sollogoub

Réunion du 17 mai 2023 à 15h00
Génocide ukrainien de 1932-1933 — Adoption d'une proposition de résolution

Photo de Nadia SollogoubNadia Sollogoub :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur l’ambassadeur d’Ukraine, mes chers collègues, dans les années 1930, une épouvantable famine a causé la mort de 7 millions de victimes civiles.

Elle n’était la conséquence ni d’un dérèglement climatique ni d’un phénomène naturel d’envergure.

Elle était organisée par l’homme, et il s’agit bien, mes chers collègues, d’un événement d’une ampleur tout à fait exceptionnelle. Les victimes étaient essentiellement ukrainiennes, mais aussi kazakhes et russes.

Nous nous demandons, quatre-vingt-dix ans plus tard, comment qualifier ce drame avec précision. C’est bien la question que nous nous posons aujourd’hui – je le précise en écho à l’intervention de notre collègue Jean Louis Masson, qui a déjà très courtoisement quitté l’hémicycle…

Avons-nous le droit, par respect pour les générations passées, par solidarité pour ceux qui souffrent aujourd’hui et par souci des générations futures, de fermer encore les yeux ? Les Européens, pour la plupart, ont été longtemps ignorants de cet épisode désastreux et pourtant pas si lointain de l’histoire.

Ce qui a été appelé Holodomor, contrairement à l’Holocauste, la Shoah, n’a pas laissé beaucoup de traces dans les mémoires européennes. Il faut dire que les forces obscures de l’époque, sous la forme du pouvoir en URSS, ont réussi à camoufler l’horreur.

En 1932, une loi fut promulguée, la « loi des épis ». Quelqu’un qui gardait ou cachait des semences en Ukraine devenait passible de la peine de mort. L’hiver fut glacial. Il n’y avait plus de céréales chez les paysans, plus de nourriture. La population était de plus en plus affamée. Elle commença par manger les animaux d’élevage et sauvages, puis les animaux domestiques, puis les rats, les racines. Certains se suicidèrent. Enfin, la population ukrainienne étant désespérée, on a même rapporté des cas d’anthropophagie.

L’Ukraine devint alors un immense mouroir, dans l’indifférence quasi générale malgré les millions de morts. Lénine l’avait annoncé : « Pour soumettre un peuple, il suffit de l’affamer ».

Aujourd’hui, nous sortons d’un nouvel hiver glacial, qui fait étrangement et terriblement écho à ces faits anciens : « confiscations », « approvisionnements », « ressources », « céréales », « populations civiles », « victimes », « enfants », « déportations »… Les tentations génocidaires, faute d’avoir été démasquées, pourraient-elles tenter de resurgir ?

Notre collègue Joëlle Garriaud-Maylam, très à l’écoute du peuple ukrainien, saluée il y a quelques mois dans l’hémicycle par le président Rouslan Stefantchouk, nous propose une excellente proposition de résolution enjoignant au gouvernement français de reconnaître, enfin, l’Holodomor des années 1930 comme étant un génocide.

Nous avons reçu Mme Oleksandra Matviichuk, avocate ukrainienne et prix Nobel de la paix 2022. Elle-même et son équipe recensent les témoignages qui documentent les crimes de guerre actuellement perpétrés sur le sol ukrainien. De l’Holodomor, voici ce qu’elle dit : « Ceux qui ne connaissent pas leur histoire sont obligés de la répéter. »

Cette femme tient, comme tout le peuple ukrainien, grâce à un immense courage, mais aussi grâce à la certitude que le temps de la paix ne viendra pas sans le temps de la justice.

Elle nous a fait comprendre, avec toute son intelligence et sa passion, combien il était important, pour le peuple ukrainien, d’obtenir l’assurance qu’aucun crime ne peut être dissimulé, qu’aucun crime ne restera impuni et que chacun d’eux sera reconnu par la communauté internationale pour ce qu’il est.

Mes chers collègues, les victimes de l’Holodomor nous demandent la vérité.

Nous la leur devons et nous nous la devons. Car, au-delà de ce drame de l’histoire en terre ukrainienne, notre devoir est de démasquer toute volonté, où que ce soit dans le monde, qu’aurait un peuple « d’infliger à un autre, délibérément, des conditions de vie menant inexorablement à son anéantissement physique. »

L’Holodomor était bien une intention délibérée de détruire un groupe de personnes. Nier son caractère génocidaire, c’est grimer la mémoire des peuples.

Le 26 novembre 2022, jour de commémoration Oleksandra Matviichuk, écrivait encore : « Des millions de personnes sont mortes dans une terrible agonie. Aujourd’hui, la Russie essaie d’effacer la mémoire de ce crime. La Russie démolit le mémorial aux victimes dans Marioupol occupé. Mais la mémoire survit ». Ses paroles font écho à celles du grand poète ukrainien Taras Chevtchenko : « Notre âme ne peut pas mourir ».

Faisons en sorte, mes chers collègues, que notre humanité ne puisse pas mourir non plus.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion