Intervention de Gabriel Attal

Réunion du 24 mai 2023 à 15h00
Douane — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Gabriel Attal, ministre délégué :

Nous devons aussi à notre réseau des buralistes une lutte intraitable contre les trafics de tabac dans notre pays, et nos douaniers sont au premier rang de ce combat.

Pour ce combat, nous devons changer d'échelle, de méthodes et de moyens. J'ai annoncé dans ce cadre la densification du réseau de lecteurs automatisés de plaques d'immatriculation (Lapi) ou la généralisation du déploiement de scanners, qui seront des adjuvants essentiels dans la lutte contre la drogue et les trafics de tabacs. Quatorze nouveaux scanners seront déployés d'ici 2025 et j'ai fixé pour objectif que nous soyons alors en mesure de scanner 100 % des colis dans les centres de tri postal. On sait en effet qu'une part importante du trafic passe par des colis. D'ici 2027, je souhaite que nous investissions 45 millions d'euros supplémentaires dans ces équipements.

Être à la hauteur du courage et de l'engagement de nos douaniers, c'est aussi sécuriser leur action sur le plan juridique – je pense bien sûr au droit de visite. C'est aussi leur donner de nouveaux moyens, de nouveaux outils, de nouvelles capacités pour toujours mieux protéger les Français.

Oui, nous devons donner à nos douaniers les moyens d'exercer leurs missions. C'est la condition pour qu'ils continuent à obtenir des résultats. Et nous devons le faire en veillant à respecter scrupuleusement les droits humains et les libertés individuelles.

Je veux saluer les travaux qui ont préparé l'examen de ce projet de loi, notamment ceux des deux rapporteurs Albéric de Montgolfier et Alain Richard, qui ont réalisé, avec leurs commissions respectives, un travail absolument remarquable, avec une seule boussole : encadrer sans entraver.

Nous devons avoir cette boussole à l'esprit. Le partage des seize articles du projet de loi entre ces deux commissions a permis qu'un travail approfondi soit engagé par chacune d'elle, et je tiens à remercier l'ensemble des sénatrices et sénateurs qui ont voulu enrichir ce texte, en commission comme en séance publique.

Je souhaite d'emblée souligner deux points.

D'abord, nous partageons l'essentiel, c'est-à-dire les objectifs finaux visés par ce texte. Et je crois donc que ce texte peut rassembler très largement, par-delà les clivages partisans.

Puis, nous devons toujours avoir à l'esprit que les spécificités du droit douanier s'expliquent par la réalité opérationnelle du travail effectué et par le cadre juridique européen dans lequel il s'exerce et qu'elles sont sans doute l'un des ingrédients de l'efficacité incontestée de la douane française.

Cette ligne de crête invite à la prudence. Le Gouvernement, comme chacun d'entre vous, tient à garantir les droits de la manière la plus complète possible ; tel est l'objectif du dispositif du droit de visite douanière proposé par ce texte. Mais, pour ma part, je veux que notre première priorité soit d'éviter que les bouleversements introduits dans le code des douanes compliquent la tâche de nos douaniers et, de fait, facilitent la vie des trafiquants.

Je l'ai dit, le premier enjeu de ce texte – son fait générateur, pour ainsi dire –, c'est d'offrir à nos douaniers la sécurité juridique indispensable à l'exercice du droit de visite, dont je rappelle qu'il a été, dans ses termes actuels, déclaré non conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel.

Il faut mesurer le choc qu'a été la décision du Conseil constitutionnel pour l'ensemble des douaniers et l'insécurité qu'elle a fait régner. On a vu certaines procédures annulées, alors même qu'elles n'étaient pas concernées par cette décision. Une forme de flou s'est installée, qu'il nous faut écarter aussi rapidement que possible. C'est l'objet de ce projet de loi.

Pour répondre aux critiques formulées par le Conseil constitutionnel, ce texte réécrit intégralement l'article 60 du code des douanes pour sécuriser le droit de visite. Celui-ci, vous le savez, constitue une prérogative essentielle des douaniers, puisqu'il s'agit tout simplement du pouvoir de contrôler les marchandises, les moyens de transport et les personnes afin de rechercher des fraudes.

Les articles 1er à 5 du projet de loi assurent la mise en conformité du droit de visite par trois grands moyens.

D'abord, le texte inscrit dans la loi les principes dégagés au fil des années par la jurisprudence de la Cour de cassation. Sont ainsi codifiés le caractère contradictoire des contrôles, l'interdiction de la fouille à corps et le maintien à disposition des personnes pendant le temps strictement nécessaire aux opérations de visite.

Ensuite, il maintient, dans la zone frontière, une prérogative de contrôle étendue, justifiée par la nature même des infractions douanières. Dans le rayon des douanes, fixé à 40 kilomètres de nos frontières, ainsi que dans les ports, aéroports, gares ferroviaires et routières internationales, le droit de visite pourra continuer à s'exercer sans modification par rapport à l'état actuel du droit.

Enfin, le texte encadre l'exercice du droit de visite à l'intérieur du territoire. L'exercice de cette prérogative devra désormais s'inscrire dans deux cas bien précis. Le premier est lorsqu'elle s'exerce sur le fondement de raisons plausibles de soupçonner que la personne contrôlée a commis une infraction douanière. Le second est lorsqu'elle a lieu après information préalable du procureur de la République pour la recherche d'infractions douanières – il s'agit d'une information, et non pas d'une autorisation du procureur, j'y insiste, afin de ne pas entraver ou ralentir l'action de nos services.

Cette distinction entre le rayon des douanes et l'intérieur du territoire est le cœur de la mise en conformité mettant en œuvre la décision du Conseil constitutionnel.

Nous avons beaucoup travaillé pour aboutir à cette rédaction. Nous avons évidemment associé à notre réflexion des juristes et les organisations syndicales de douaniers. Nous avons testé chacune des rédactions auprès de douaniers du terrain afin de vérifier qu'elles étaient compatibles avec leur activité du quotidien. Et ce texte a été validé par le Conseil d'État.

Nous sommes profondément convaincus que l'équilibre trouvé est le meilleur pour la douane comme pour la protection des libertés. Comme vous, je veux que le droit protège et non qu'il entrave de manière excessive. Et je pense que nous pouvons nous retrouver sur ce point.

Mais, vous l'avez compris, ce projet de loi ne consiste pas seulement à assurer la mise en conformité d'une prérogative essentielle. Il s'agit aussi d'adapter nos moyens d'action, de mettre nos douaniers en situation de lutter le plus efficacement possible contre les grandes menaces d'aujourd'hui et de demain.

D'abord, nous voulons donner à nos douaniers les moyens de lutter contre la cyberdélinquance et la cybercriminalité. L'article 9 leur permet de prendre connaissance et de saisir, au cours d'une retenue douanière, des objets et des documents qui se rapportent à un flagrant délit douanier, y compris lorsque le support est numérique. De quoi parle-t-on ? De données contenues dans un ordinateur, un disque dur, un smartphone, que nos agents pourront saisir et dont ils pourront faire une copie, sur autorisation du procureur de la République. Ce dispositif accélérera considérablement les enquêtes douanières et leur efficacité.

De plus, nous proposons de permettre à nos agents de procéder au gel des données stockées sur des serveurs informatiques, lorsque ceux-ci se trouvent à l'extérieur du lieu perquisitionné. L'objectif est que les données qui sont conservées dans des clouds, comme c'est souvent le cas, ne soient pas effacées par les suspects et puissent être effectivement saisies.

Vous le savez, un nombre croissant d'infractions douanières sont commises à partir de contenus en ligne. Je pense par exemple à la vente en ligne de produits de contrefaçon ou de tabac de contrebande. C'est pourquoi l'article 12 de ce texte donne la possibilité à nos agents d'exiger des plateformes qu'elles procèdent au retrait de ces contenus. Et si ces plateformes ne répondent pas, nos agents pourront demander aux moteurs de recherche de procéder au déréférencement du contenu ou à la suspension du nom de domaine.

La conception de ce dispositif a été rendue complexe par l'impossibilité, au regard du droit européen, de présumer une responsabilité générale des plateformes au titre des marchandises dont elles facilitent la vente. Pour autant, nous avons trouvé une voie de passage qui permettra à la douane d'établir un dialogue permanent avec les grandes plateformes, allant jusqu'à la sanction pour celles qui entretiennent l'opacité du e-commerce.

Ensuite, ce texte propose de mieux utiliser les nouvelles technologies en matière d'enquête et de renseignement douaniers. À ce titre, l'article 11 prévoit l'expérimentation d'une extension à quatre mois de la durée de conservation étendue des données issues des Lapi. Ce que nous voulons, pour lutter efficacement contre le trafic de stupéfiants, c'est être en mesure de détecter les convois routiers organisés par les trafiquants.

Pour cela, nous proposons d'expérimenter une utilisation des données des Lapi profondément différente du dispositif actuellement en vigueur. Alors que le fonctionnement actuel des Lapi sert essentiellement à rapprocher les plaques d'immatriculation détectées de fichiers déjà constitués, pour détecter par exemple les mouvements de personnes déjà connues ou des véhicules volés, le dispositif proposé permettra de procéder à des recherches pour identifier des véhicules circulant ensemble en convois et de détecter ainsi les mouvements des trafiquants. Bien souvent, ces convois commencent par une voiture ouvreuse. Grâce à l'expérimentation de ce dispositif, nous serons en mesure d'identifier automatiquement des véhicules qui circulent très régulièrement ensemble, parfois à des dates régulières, ce qui peut laisser penser qu'il s'agit de convois qui procèdent à du trafic de stupéfiants ou de tabac.

Je tiens à insister sur la nécessité, dans le cadre protecteur qui est celui de l'expérimentation et du contrôle du Parlement et de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil), de disposer de cet outil pour arrêter les trafics à nos frontières.

En son article 6, le projet de loi propose de sécuriser le recours par la douane aux techniques de sonorisation et de captation d'image, en reproduisant le dispositif prévu par le code de procédure pénale pour les enquêtes douanières. C'est une disposition essentielle et protectrice, qui permettra de mieux séparer les utilisations préventives et les utilisations répressives de ces techniques spéciales d'enquête.

Je veux également souligner que le Gouvernement a déposé un amendement actualisant le régime d'utilisation des drones par la douane. Ce régime est aujourd'hui incomplet : il ne comprend pas la lutte contre les trafics de tabacs manufacturés et il ne couvre pas la surveillance des frontières, alors même qu'une telle surveillance est possible pour les services de police et de gendarmerie.

Je le dis très clairement : les réseaux criminels n'hésitent pas à utiliser des technologies dernier cri pour commettre leurs méfaits. Si nous ne combattons pas à armes égales, je ne vois pas comment nous pourrions remporter la bataille. Agir dans l'espace numérique, faire coopérer les plateformes et les moteurs de recherche, voilà ce que nous voulons. Exploiter pleinement les nouvelles technologies pour être aussi efficaces que ceux que nous affrontons, voilà ce que nous devons faire.

Oui, les organisations que nous affrontons ne manquent pas de moyens. C'est la raison pour laquelle nous devons les frapper au portefeuille. C'est sans doute une manière efficace de les affaiblir.

L'article 6 crée un dispositif de retenue temporaire d'argent liquide circulant à l'intérieur du territoire, lorsqu'il existe des indices que cet argent est lié aux activités criminelles les plus graves. Ce délit existait uniquement pour les flux d'argent liquide en provenance ou à destination de l'étranger. Il fallait impérativement corriger cela. C'est d'ailleurs une évolution qui va dans le sens des préconisations du rapporteur Albéric de Montgolfier, formulées dans le rapport d'information qu'il a rédigé avec le sénateur Claude Nougein. Elle permettra notamment à la douane de mieux lutter contre le phénomène des mules entre le territoire métropolitain et la Guyane.

Nous voulons aussi réformer le délit de blanchiment douanier. Il s'agit d'inclure en particulier les cryptoactifs dans les types de fonds pouvant relever du délit de blanchiment douanier.

Enfin, vous le savez, je veux mener un combat sans merci contre le trafic de tabacs. J'avais à la fin de l'année dernière fait un certain nombre d'annonces en ce sens dans le cadre du plan tabac 2023-2025. Le texte prévoit un renforcement des sanctions applicables. Nous voulons par exemple créer une peine complémentaire d'interdiction du territoire pour les étrangers qui ont fait l'objet d'une condamnation pour contrebande de tabac, comme c'est le cas pour le trafic de stupéfiants. Par ailleurs, nous durcissons les sanctions pénales applicables à la fabrication et à la détention de tabac de contrebande. Celles-ci sont portées de un à trois ans d'emprisonnement et, si ces délits sont commis en bande organisée, la peine d'emprisonnement passera de cinq à dix ans.

Nous voyons que des réseaux mafieux et criminels, jusqu'alors occupés au trafic de stupéfiants, se sont reportés massivement sur le trafic de tabac, prenant probablement en compte le fait que les sanctions sont moins importantes. Nous devons donc sanctionner le trafic de tabac de la même manière que nous sanctionnons le trafic de stupéfiants. C'est l'objet de cet alourdissement des sanctions.

La menace a changé d'échelle. Nous ne sommes plus dans le transport de quelques cartouches de cigarettes cachées dans un sac en traversant la frontière. Nous avons démantelé sur le sol national l'an dernier cinq usines de fabrication clandestine de tabac. Il s'agit de hangars situés sur le sol national, au sein desquels étaient produites chaque jour entre un et deux millions de cigarettes de contrefaçon pour alimenter le circuit parallèle en France. Le trafic a changé d'échelle. Notre réponse doit elle aussi changer d'échelle. C'est l'un des objets de ce texte.

Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, ce texte est bien plus qu'un projet de mise en conformité. C'est un texte de mobilisation générale contre tous les trafics et de soutien total à nos douaniers, qui agissent chaque jour pour nous protéger, protéger nos frontières et les Français. Permettez-moi de saluer ceux qui sont dans les tribunes à cet instant, qui appartiennent à la direction interrégionale des douanes d'Île-de-France, à la direction générale des douanes ou à la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières – et, à travers eux, de remercier et de saluer l'ensemble des agents douaniers sur le territoire national.

Je sais que nous aurons d'ici quelques minutes des débats importants sur les garanties apportées en matière de droits fondamentaux. J'espère que nous saurons ensemble trouver les bons points d'équilibre sur les différents dispositifs, afin de permettre à nos douaniers d'agir efficacement, sans renoncer aux exigences qui doivent être les nôtres.

Les douanières et les douaniers comptent sur nous. Ils attendent de la clarté, de la précision et des moyens d'action. Je sais qu'ensemble nous serons capables de leur apporter cela, leur permettant ainsi d'assurer la protection de nos frontières et, surtout, de nos compatriotes. Nous le leur devons. §

(À suivre)

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