Le retour automatique des ministres dans leur assemblée d’origine accentue la responsabilité directe des ministres devant le Président. Il pourra ainsi les nommer et les congédier à sa guise, sans craindre une sanction électorale. L’application immédiate de cette mesure aux ministres en exercice peut certes les rassurer par rapport au remaniement annoncé, mais l’octroi de ce privilège rétroactif n’en reste pas moins choquant par le sort qu’il réserve aux parlementaires qui les ont suppléés, lesquels passeraient ainsi du statut de parlementaires de plein exercice à celui d’intérimaires.
L’encadrement du pouvoir de nomination du Président est souvent présenté comme une avancée significative. Il est pourtant plus virtuel que réel. En effet, donner au Parlement le droit de s’opposer à une nomination à la majorité des trois cinquièmes, c’est fixer le seuil d’approbation aux deux cinquièmes. Quel exploit pour le Président qui dispose de la majorité de recueillir l’assentiment de 40 % des parlementaires ! Nous sommes donc en présence d’un droit formel, d’un leurre. Ce faux-semblant ne contribue pas à favoriser une démocratie respectueuse du pluralisme d’opinion.
La modernisation des institutions implique, pour le moins, que soit respecté le principe le plus élémentaire de la démocratie : l’expression du suffrage universel détermine la majorité d’une assemblée parlementaire. Ce n’est pas le cas du Sénat. Le comité Balladur avait reconnu la nécessité de supprimer le verrou constitutionnel qui interdit toute évolution du collège électoral sénatorial. Le Gouvernement, dans son projet initial, affirmait sa volonté de surmonter ce blocage. Il admettait qu’une prise en compte de la population était indispensable. Toutes ces bonnes intentions gouvernementales se sont envolées. Toute référence à la population a disparu. Le Gouvernement a cédé aux injonctions des sénateurs UMP. Ceux-ci conserveront leur mode d’élection si confortable et leur pouvoir de bloquer toute révision qui tenterait de mettre fin à cette anomalie.
Peu importe que les citoyens accordent par le suffrage direct une large majorité aux formations politiques de gauche dans toutes les catégories de collectivités territoriales : le Sénat, qui est censé en assurer la représentation, doit rester inexorablement à droite ! Il faut beaucoup d’aveuglement pour reconnaître dans ce paysage institutionnel l’image d’une démocratie irréprochable.
Revaloriser le Parlement, monsieur le Premier Ministre, ne consiste pas à augmenter, comme vous le proposez, les pouvoirs de la majorité, mais à garantir par la Constitution les droits de l’opposition, le pluralisme de la représentation et le droit d’amendement.
Les droits de l’opposition ne sont pas inscrits dans la Constitution, mais renvoyés, ou plutôt relégués au règlement de chaque assemblée. Ils dépendront donc exclusivement du bon plaisir de la majorité, qui seule décidera des concessions qu’elle daignera octroyer.
Même la journée mensuelle réservée, dans le projet initial, à l’opposition n’a pas survécu dans son intégralité. C’était sans doute trop pour vous. Ce temps sera partagé avec les groupes minoritaires. La réalité du nouveau pouvoir de fixer l’ordre du jour, un des fleurons de votre révision, se déclinerait donc ainsi : tout pour le Gouvernement et l’UMP, sauf un jour, à partager entre tous les autres groupes politiques. Quelle curieuse façon de respecter le pluralisme !
Le pluralisme, parlons-en. Vous acceptez avec difficulté d’en faire figurer le principe dans votre texte, mais vous vous opposez à sa réalisation. Or le seul moyen de garantir la représentation du pluralisme, c’est d’inscrire dans la Constitution l’obligation d’une dose de proportionnelle à l’Assemblée nationale. Vous avez rejeté tous les amendements qui le proposaient, quels qu’en soient leurs auteurs, refusant ainsi de conjuguer nécessité d’une majorité et respect de la diversité politique. La revalorisation du Parlement exige pourtant l’amélioration de sa représentativité.
Le droit d’amendement, aujourd’hui garanti par la Constitution, fait l’objet d’une très grave mise en cause puisque les conditions de son exercice seront fixées par le règlement des assemblées. Quelles garanties pour l’opposition ? Aucune. Rien, dans votre projet, n’assure à un parlementaire qu’il conservera le droit d’amendement en séance publique. Quel paradoxe de prétendre revaloriser le Parlement et de faire dépendre l’exercice d’un droit qui devrait être intangible, là encore, du bon plaisir de la majorité de chaque assemblée !
Quelle qu’en soit l’issue, monsieur le Premier ministre, ce Congrès sera celui des occasions gâchées.
Occasion gâchée que d’avoir, une nouvelle fois, refusé d’accorder le droit de vote aux élections locales aux étrangers installés dans notre pays depuis plusieurs années.