Intervention de David Assouline

Réunion du 23 mai 2023 à 14h30
Majorité numérique et lutte contre la haine en ligne — Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de David AssoulineDavid Assouline :

Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les sujets concernant la haine en ligne et les problématiques autour de la jeunesse et des réseaux sociaux ont toujours été au cœur des combats du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, au nom duquel je m’exprime.

En tant que rapporteur d’une mission sur ce sujet en 2008, j’avais souhaité intituler mon rapport : Les nouveaux médias : des jeunes libérés ou abandonnés ? Ce titre mettait déjà sur la table la problématique dont nous discutons aujourd’hui. À l’époque, on évoquait surtout les bienfaits du Net, dans lequel on voyait un moyen de libération, sans se rendre compte qu’il conduisait tous ceux qui éduquent les enfants et les jeunes – les parents et l’éducation nationale – à les abandonner en quelque sorte.

Cette proposition de loi visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne va dans le bon sens. En effet, quand nous regardons les chiffres, la situation est toujours plus inquiétante. Il est donc grand temps d’agir plus vite et plus fort.

Vous le savez et cela a été dit, les enfants sont massivement connectés aux réseaux sociaux et s’y inscrivent de plus en plus tôt. D’après une enquête de la Cnil de 2021, la première inscription sur un réseau social interviendrait en moyenne vers l’âge de 8 ans et demi, et plus de la moitié des enfants de 10 à 14 ans seraient présents sur ces plateformes.

Ces données sont confirmées par une enquête de l’association Génération Numérique, selon laquelle, en 2021, 63 % des moins de 13 ans avaient un compte sur au moins un réseau social, alors même que ces réseaux leur sont en théorie interdits du fait de leurs conditions générales d’utilisation.

Parallèlement, les parents supervisent peu ou pas les activités en ligne de leurs enfants. À peine plus de 50 % des parents décideraient du moment et de la durée de connexion de leurs enfants et 80 % déclarent ne pas savoir exactement ce que leurs enfants font en ligne. Un chiffre qui n’a presque pas évolué depuis 2008, à l’époque où je préparais mon rapport…

L’exposition à internet et aux réseaux sociaux des plus jeunes peut avoir des conséquences telles que l’addiction aux écrans, des problèmes de sommeil, des troubles de l’humeur et de l’anxiété, des risques de dépression, de désinformation ou d’exposition à des contenus pornographiques ou haineux, ou encore le cyberharcèlement, véritable fléau pour notre jeunesse.

L’anarchie libérale, si j’ose dire, qui existe actuellement sur le Net et la trop faible régulation des plateformes sont un danger, car le seul but de ces dernières est de faire le plus de profit ; les enfants sont des proies faciles pour ces entreprises, comme vous le savez.

L’exemple le plus criant et qui est sur le devant de la scène depuis plusieurs années est TikTok. Ce n’est d’ailleurs pas anodin qu’une commission d’enquête ait été créée ici même, au Sénat, pour comprendre en profondeur les risques liés à cet acteur chinois qui inquiète.

Il faut davantage de contrôle de la consommation des médias sociaux par nos plus jeunes. Il était donc grand temps d’avancer sur ce sujet, même si des progrès ont déjà été enregistrés.

Je pense d’abord à la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, dont l’article 6 impose aux acteurs du secteur de lutter contre la diffusion d’apologie des crimes contre l’humanité, l’incitation à la haine raciale ainsi que la pornographie enfantine.

Avec la loi Avia en 2020 et celle sur le séparatisme, d’autres avancées ont eu lieu, à côté de mesures plus contestées. Le texte que nous examinons aujourd’hui suit la logique d’un plus grand encadrement s’agissant de la haine en ligne, mais témoigne aussi de la volonté d’actualiser la réglementation découlant de la loi de 2004 en créant une majorité numérique.

Ces nouvelles réglementations pourront compléter les dispositifs existants, qui sont encore insuffisants pour protéger les enfants en ligne, comme le contrôle parental par défaut sur les appareils vendus en France, adopté en mars 2022.

Cette proposition de loi vise à donner une définition concrète des réseaux sociaux, reprenant celle qui figure dans la législation européenne sur les marchés numériques au travers du DMA. C’est une bonne chose.

Par ailleurs, notre groupe souhaite, au travers d’un amendement, exclure les encyclopédies en ligne à but non lucratif, comme Wikipédia, de la définition des « réseaux sociaux », à l’instar du choix opéré au travers de la directive européenne.

Ce texte tend également à contraindre ces réseaux à refuser l’inscription à leurs services aux enfants de moins de 15 ans, sauf si les parents ont donné leur accord. Pour ce faire, ces plateformes devront mettre en place une solution technique permettant de vérifier l’âge de leurs utilisateurs et l’autorisation parentale.

En toute logique, ce sera l’Arcom qui sera chargée de certifier ces dispositifs ; ils devront être conformes à un référentiel qu’elle aura élaboré, après consultation de la Cnil.

En cas de non-respect de cette obligation, le réseau social pourra se voir infliger une amende susceptible d’atteindre 1 % de son chiffre d’affaires mondial.

Des solutions de contrôle de l’âge en ligne existent, mais aucune n’est appliquée de façon satisfaisante. Il est nécessaire de progresser sur cet enjeu important, notamment concernant l’accessibilité des sites pornographiques aux mineurs.

Des évolutions adoptées par l’Assemblée nationale ont amélioré le texte : possibilité donnée aux parents de demander aux réseaux sociaux la suspension du compte de leur enfant de moins de 15 ans ; obligation de diffuser des messages de prévention contre le harcèlement sur ces plateformes et d’indiquer le 3018, numéro vert pour lutter contre le cyberharcèlement ; extension de la liste des contenus illicites que les utilisateurs peuvent signaler aux réseaux afin qu’ils soient retirés.

Toutefois, même modifié par la chambre basse et par la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat, ce texte ne va pas assez loin.

En effet, déjà dans mon rapport de 2008, j’insistais sur la nécessité d’instaurer une ambitieuse éducation aux médias et aux réseaux sociaux afin de sensibiliser à ces enjeux. On peut certes mener des actions de répression à l’encontre de certains d’entre eux, mais il faut d’abord aider les enfants à se protéger eux-mêmes, ce qui passe par l’éducation.

Parmi les recommandations du rapport, il y avait déjà le renforcement des messages de prévention sur les plateformes de blogs et sur les sites communautaires, le lancement d’une étude de grande ampleur relative à l’influence de la publicité sur la jeunesse et le renforcement du rôle des professeurs documentalistes.

Je proposais également que les nouveaux médias soient le support pédagogique prioritaire dans les cours d’éducation civique, permettant de réunir à l’usage le fond et la forme.

Je soutenais la mise en place d’un module de dix heures annuelles d’éducation aux médias en quatrième et en seconde, ou encore le renforcement des obligations de l’audiovisuel public en matière de programmation d’émissions de décryptage des médias, anciens ou nouveaux.

Je déplore que beaucoup de ces propositions n’aient pas été mises en œuvre depuis lors ou n’aient que peu avancé. Celles qui ont été intégrées au code de l’éducation bénéficient de moyens insuffisants pour leur permettre de devenir une réalité vécue par l’ensemble de la jeunesse au sein de l’éducation nationale. Il faudra continuer à progresser dans ce domaine.

En ce qui concerne le cyberharcèlement, l’article 1er ter de la présente proposition de loi traduit l’une des recommandations de la mission d’information sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement, que ma collègue Sabine Van Heghe a présidée. C’est une bonne chose.

Nous sommes également favorables à l’article 5. Il ne faut pas fusionner le 3018 et le 3020 : ils ont des spécificités et des utilités différentes qu’il ne faudrait pas fragiliser.

Nous avons déposé plusieurs amendements, que je présenterai de manière plus développée, visant à prendre en compte les recommandations formulées par Sylvie Robert dans le rapport rédigé au nom de la Cnil. Nous voulons avancer dans cette direction.

Ce texte va donc dans le bon sens, mais du chemin reste à parcourir. Le projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique sera bientôt examiné ; il offrira de nouveau l’occasion d’aborder le sujet, de manière plus générale, pour protéger les enfants des dérives des réseaux sociaux.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion