Intervention de Jérémy Bacchi

Réunion du 23 mai 2023 à 14h30
Majorité numérique et lutte contre la haine en ligne — Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Jérémy BacchiJérémy Bacchi :

Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes amenés aujourd’hui à débattre d’un sujet majeur : l’accès à internet et aux réseaux sociaux pour les mineurs, et l’usage que ces derniers en font.

Nous le savons, l’accès des plus jeunes à internet est devenu une tendance lourde. La première inscription à un réseau social interviendrait en moyenne vers 8 ans et demi et plus du quart des 7-10 ans se rendraient régulièrement sur les réseaux sociaux.

Ces réseaux font donc partie du quotidien de nos enfants et de nos adolescents, tandis que le risque d’addiction lié à leur consommation est réfléchi, méticuleusement organisé par des multinationales.

Les risques liés à ces usages sont nombreux.

Le premier, naturellement, qui vient à l’esprit, et qui est d’ailleurs l’objet de cette proposition de loi, est le cyberharcèlement. Selon une étude datant de novembre 2022, près de 60 % des enfants et adolescents déclarent avoir déjà été victimes de cyberharcèlement. Cela peut laisser des séquelles, conduire à la dépression, voire à des conduites suicidaires. Lorsque l’on sait que le suicide représente 16 % des décès chez les plus jeunes et qu’un enfant cyberharcelé sur deux a déjà pensé au suicide, il est clair que nous sommes face à un enjeu national de santé publique.

Pour donner un second exemple, cet accès précoce à internet induit, plus largement, le risque d’une modification de l’image de soi, d’une uniformisation, ainsi que – cela a été dit – d’une exposition tant à des sites à caractère sexuel qu’à des sites idéologiques, à caractère raciste, antisémite ou homophobe.

L’ampleur de ces phénomènes est attestée par plusieurs études. Utilisées à bon escient, il est indéniable que ces plateformes permettent d’acquérir des connaissances. En revanche, elles peuvent également mener à l’intériorisation de stéréotypes et exposer à des contenus violents.

À l’heure actuelle, il existe un gouffre entre les obligations réglementaires des plateformes et la réalité sur le terrain. En effet, alors même qu’il existe un âge minimum requis pour s’inscrire sur les réseaux sociaux, plus de la moitié des enfants de moins de 13 ans sont déjà inscrits sur l’un d’entre eux. À cela s’ajoute une précocité croissante dans l’accès aux smartphones, exposant de fait les enfants aux dérives liées à ces technologies.

Ainsi, le constat est double.

En premier lieu, la responsabilité des entreprises propriétaires des réseaux sociaux apparaît clairement. Il serait temps de les encadrer plus fermement pour qu’elles respectent les dispositions qui les concernent. Cette situation nous oblige, nous parlementaires, à élaborer des lois mettant en sécurité nos jeunes. Nos mains ne doivent pas trembler : la législation doit être suffisamment exigeante et contraignante pour que les plateformes mettent en place un arsenal de mesures réduisant au maximum les risques pour nos mineurs.

En second lieu, il est nécessaire que nous accompagnions davantage les enfants, dans leurs usages, et les parents, dans l’accès qu’ils donnent à internet, par des outils de prévention. C’est pour cette raison que nous sommes favorables à l’instauration d’une majorité numérique à l’âge de 15 ans. Cette mesure, conforme à la législation européenne et aux recommandations de la Cnil, aura aussi le mérite d’inciter à un dialogue entre parents et enfants sur les usages numériques.

En ce qui concerne la question proprement technique de la mise en place du contrôle de l’âge par les plateformes, nous devrons rester vigilants quant à la protection des données requises pour cette vérification.

Par ailleurs, il est également prévu dans cette proposition de loi de faciliter les demandes d’informations auprès des plateformes dans le cadre d’une réquisition judiciaire, dans un délai de huit heures pour les cas urgents et de dix jours pour les autres, afin de livrer toute information utile à une enquête.

Nous aurions préféré un délai plus court que dix jours : pourquoi pas quarante-huit heures, au regard des possibles conséquences gravissimes que peut entraîner la lenteur des procédures ? De plus, nous considérons que la sanction permettant de s’assurer que les plateformes respectent cette disposition n’est malheureusement pas en adéquation avec le poids économique de ces grandes entreprises. Il s’agit d’un manque notable de cette proposition de loi, alors même qu’à l’origine ses auteurs prévoyaient un maximum de 1 % du chiffre d’affaires mondial de l’entreprise.

Nous souscrivons pleinement à la demande de rapport inscrite à l’article 4 de cette proposition de loi. En effet, celui-ci nous permettra de gagner en efficacité par un apport de connaissances au sujet des conséquences sur les jeunes de l’utilisation des réseaux sociaux.

Toutefois, nous veillerons avec vigilance à ce que la fusion des plateformes d’appel destinées aux victimes de harcèlement scolaire et de harcèlement en ligne – fusion évoquée à l’article 5 de la proposition de loi issue des travaux de l’Assemblée nationale, lequel article a été supprimé par la commission –, si elle devait se réaliser, ne soit pas synonyme d’une baisse globale de moyens pour ces dispositifs de prévention indispensables dans l’aide aux victimes.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, malgré les quelques points de vigilance que j’ai soulevés dans cette intervention, nous considérons que cette proposition de loi constitue une première étape dans un contrôle de l’accès à internet par nos plus jeunes, et c’est dans cet état d’esprit que mon groupe la votera.

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