Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis de trop nombreuses années, la législation française n’est pas à la hauteur des enjeux de santé publique et de protection de l’enfance qu’induit l’utilisation d’internet par des mineurs.
Exposition à la haine en ligne et prolongement du harcèlement scolaire au sein même du foyer, qui devrait pourtant être un refuge, déformation de l’image de soi, hausse des tendances suicidaires et des comportements addictifs, risque de revenge porn ou de prédation sexuelle : nombreux sont les dangers auxquels les enfants sont confrontés du fait de leur présence sur le Net, nous l’avons tous rappelé.
Certes, le droit européen interdit l’accès aux réseaux sociaux aux enfants de moins de 13 ans, avec la possibilité, laissée à la discrétion des États membres, de porter l’âge minimal jusqu’à 16 ans.
Nous avons légiféré afin d’acter l’obligation pour certaines plateformes de refuser aux mineurs de s’y inscrire ou de les consulter. Je pense notamment aux sites pornographiques.
Mais là où le bât blesse, c’est dans la vérification de l’âge des utilisateurs par les éditeurs. La plupart exigent une simple déclaration, sans aucun contrôle de sa véracité, ce qui laisse toute latitude à l’internaute de mentir. Demander d’entrer les informations d’une carte bancaire ne suffit pas non plus, puisqu’il est possible d’en obtenir une dès 12 ans ou d’utiliser celle de ses parents. De même, la reconnaissance faciale présente des lacunes, et le portefeuille européen d’identité numérique, qui ambitionne d’identifier, d’authentifier et de vérifier des données telles que l’âge ou des documents officiels, n’est pas non plus encore au point.
Faute de solution technique éprouvée pour vérifier l’âge, les plateformes ne respectent pas leurs obligations et ne sont donc pas, à ce jour, sanctionnées.
Ces derniers mois, des avancées technologiques ont toutefois été constatées, et une ou plusieurs solutions permettant d’obtenir un système de vérification satisfaisant et sécurisé devraient être trouvées à moyenne voire courte échéance.
C’est dans le cadre de ces avancées et de l’urgence qu’il y a à mettre fin à cette situation de non-droit au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant que la proposition de loi qui nous occupe aujourd’hui intervient.
D’une part, elle vient définir une majorité dite « numérique » pour l’utilisation des réseaux sociaux, fixée à 15 ans. Les réseaux sociaux seront ainsi obligés de refuser l’inscription des utilisateurs n’ayant pas l’âge requis, sauf accord exprès de l’un des représentants légaux.
D’autre part, elle prévoit la création d’un référentiel par l’Arcom relatif aux systèmes de vérification de l’âge. Les réseaux sociaux devront mettre en place une solution technique conforme à ce référentiel. En l’absence de vérification ou en cas de non-conformité, l’Arcom pourra saisir l’autorité judiciaire en vue d’obtenir une sanction à l’encontre du réseau social.
L’entrée en vigueur de cette possibilité de saisine de la justice est toutefois reportée d’un an, afin de laisser le temps de perfectionner les solutions techniques. Ce compromis paraît satisfaisant, et je voterai donc, à l’instar de mon groupe, en faveur de cette proposition de loi.
Toutefois, je tiens à le souligner, elle comporte des angles morts.
Le premier me paraît être la question des sites de rencontre. Ils sont des réseaux sociaux au sens de la définition introduite par la proposition de loi, mais la limite d’âge pour les utiliser semble inadaptée.
Si certains sites de rencontre ont volontairement interdit l’accès à leurs services aux mineurs, il n’existera pas de sanction pour ceux qui y donnent accès aux plus de 15 ans. Alors que la question de l’accès aux mineurs à ces services pourrait être discutée, je n’ai pas l’impression qu’elle a été posée.
En outre, la proposition de loi se concentre sur les réseaux sociaux. Or des services en ligne ne pouvant être qualifiés comme tels doivent eux aussi être interdits d’accès aux enfants de moins de 15 ans, comme les sites de location de trottinettes électriques, ou de moins de 18 ans, pour les sites où il est possible d’acheter de l’alcool ou autres produits interdits aux mineurs, de louer des scooters ou des voitures, de jouer à des jeux d’argent en ligne ou d’accéder à des sites pornographiques.
Ces services numériques, qu’ils soient légalement obligés d’interdire l’accès ou qu’ils l’interdisent de manière volontaire, ne seront pas soumis à l’obligation de vérifier l’âge et de respecter le référentiel, s’ils ne sont pas qualifiés de réseaux sociaux.
Pour les sites pornographiques, le projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique met en place une solution similaire au dispositif prévu par la proposition de loi. Pour les autres services numériques, rien n’est prévu.
Pour conclure, je tiens donc à souligner qu’il nous faudra être attentifs à ces questions à l’avenir.