Intervention de Vincent Pourquery de Boisserin

Groupe de suivi sur la nouvelle relation euro-britannique — Réunion du 13 février 2019 à 15:5
Audition de M. Vincent Pourquery de boisserin coordinateur national pour la préparation à la sortie du royaume-uni de l'union européenne gestion des flux de personnes et de marchandises de Mme Isabelle Maître déléguée permanente auprès de l'union européenne et de M. Thierry Grumiaux délégué de la commission « transport international douane et logistique » fédération nationale des transports routiers

Vincent Pourquery de Boisserin, coordinateur national pour la préparation à la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne (gestion des flux de personnes et de marchandises entre la France et le Royaume-Uni) :

Merci de cette occasion de vous présenter un bilan des actions engagées par notre pays pour faire face aux conséquences du Brexit sur les flux de personnes et de marchandises entre la France et le Royaume-Uni.

Le 17 janvier dernier, le Premier ministre, Édouard Philippe, a publiquement fait savoir que nous devions nous préparer à une sortie sans accord du Royaume-Uni de l'Union européenne, en estimant que cette hypothèse était « de moins en moins improbable ».

Je m'inscris dans le prolongement de la parole gouvernementale. Mon mandat consiste expressément à identifier et à proposer des mesures qui permettront à notre pays de faire face à un Brexit. Faut-il pour autant s'en inquiéter ? Ce n'est pas vraiment mon sujet. Je suis en réalité chargé de répondre à un certain nombre d'impératifs.

Le premier d'entre eux est, me semble-t-il, de faire prendre conscience à l'ensemble des acteurs concernés que la France occupe historiquement une position géographique particulière vis-à-vis du Royaume-Uni, puisque nous sommes le pays du continent européen le plus proche de celui-ci. Le tunnel est aujourd'hui une réalité inamovible pour les années et les décennies à venir.

L'ensemble des dispositions à prendre devront donc être compatibles avec la nature, l'importance et la fluidité des relations qui prévalent actuellement entre nos deux pays. Aujourd'hui, 60 % des échanges en tonnage entre le Royaume-Uni et l'Union européenne passent par des installations françaises. Ce pourcentage atteint près de 80 % pour ce qui concerne les produits sanitaires et phytosanitaires, tout simplement parce que le tunnel et la proximité du port de Calais ramènent le temps de traversée à 30 minutes environ.

Tout le modèle économique des installations existantes repose actuellement sur la fluidité, indépendamment du fait que nos amis britanniques sont en dehors de l'espace Schengen et qu'ils doivent, à ce titre, subir un contrôle relativement succinct. Demain, la France devra complètement changer le modèle de fonctionnement de ses ports, tout en gardant la même fluidité dans les échanges.

Mon plan d'action s'est articulé autour de deux axes. Le premier porte sur la mise en oeuvre du dispositif législatif. Vous êtes évidemment bien placés pour savoir que cinq ordonnances ont d'ores et déjà été prises. La sixième ordonnance, qui est assez emblématique de la relation future avec le Royaume-Uni, puisqu'elle concerne le tunnel, devrait être publiée demain au Journal officiel.

Les trois ordonnances principales sont l'ordonnance qui permet de réduire les délais de construction des installations dans les ports, les aéroports et le tunnel, l'ordonnance qui règle la question du transport routier, de la sécurité dans le tunnel, en particulier la sécurité ferroviaire et, enfin, celle qui traite du droit au séjour.

Le second axe a trait au dispositif physique. Le 18 janvier, le Premier ministre s'est rendu à Calais pour autoriser la construction des installations nécessaires à l'accueil des Britanniques et des marchandises en provenance du Royaume-Uni dans l'ensemble des ports, le tunnel et les aéroports. Cela s'est traduit par un certain nombre d'investissements pour réaliser des parkings tampons, des installations préfabriquées ou des abris de filtrage.

L'enjeu est de dimensionner ces dispositifs, afin d'éviter une embolie de la circulation. À Calais, près de 6 000 camions débarquent chaque jour, auxquels il faut ajouter entre 2 000 et 4 000 camions en provenance du tunnel. Tout ralentissement du système pourrait causer le stationnement erratique de camions sur la voie publique, des deux côtés de la frontière, et faire courir un risque important de trouble à l'ordre public. À Calais, Édouard Philippe a constaté qu'un certain nombre de mesures avaient déjà été anticipées et que les autorités en charge des ports et du tunnel avaient mené les travaux avec diligence. L'essentiel devrait être prêt d'ici le 29 mars prochain, date officielle du Brexit.

Le Premier ministre a aussi évoqué la mise à disposition de 580 personnels supplémentaires en charge du contrôle douanier, vétérinaire, ainsi que du contrôle relevant de la police aux frontières. Dans un premier temps, une meilleure synergie sera recherchée entre les services des douanes, qui bénéficieront de recrutements importants grâce à la dernière loi de finances, et les services vétérinaires, dont les personnels sont à l'inverse insuffisants, étant entendu qu'il n'existe, de l'avis général, aucun risque systémique dans le domaine sanitaire en provenance du Royaume-Uni.

En ce qui concerne les contrôles d'identité, le Gouvernement a prévu un délai de grâce d'un an pour les citoyens britanniques installés sur notre territoire, afin que ceux-ci aient le temps de se mettre en règle avec notre droit. Les personnes venant pour de courts séjours en France feront certes l'objet du contrôle de sûreté tel qu'on le connaît aujourd'hui, mais ne seront soumises qu'à un contrôle aux frontières allégé par rapport à celui qui s'applique normalement au ressortissant d'un pays tiers - nécessité d'un visa de court séjour, compostage du passeport, questionnaire sur le viatique ou les motifs du voyage -, ce que deviendrait tout citoyen britannique en cas de sortie brutale du Royaume-Uni. Il faut éviter que le nombre de personnes contrôlées soit multiplié par dix, et que le temps de contrôle le soit par quatre ou cinq. Sinon, on risque la surchauffe aux guichets d'Eurostar, alors même que l'essentiel reste de traiter le risque migratoire.

Compte tenu de ces avancées, on peut raisonnablement penser que notre pays fera face à ses obligations d'ici au 29 mars prochain. Selon moi, le Premier ministre a pris une initiative forte en déclarant que la France devait se préparer à un non-accord. Cette prise de position n'est pas anodine : elle a permis d'envoyer un signal relativement fort et d'alerter sur la nécessité d'anticiper le pire.

L'ensemble des installations de contrôle dont j'ai parlé coûteront entre 50 et 60 millions d'euros. Il revient aux autorités concessionnaires des différentes infrastructures de prendre ces sommes à leur frais, c'est-à-dire l'État pour les grands ports, la concession Eurotunnel pour le tunnel, et les régions ou les départements pour les ports décentralisés.

Dans le cadre du mécanisme pour l'interconnexion en Europe, la Commission européenne a prévu de rendre éligibles un certain nombre d'installations françaises, qui avaient été un peu oubliées. En revanche, elle n'a pas répondu positivement aux demandes d'aides financières pour la réalisation des travaux liés au Brexit. Cela pourrait changer après le 29 mars : en effet, il faudrait pouvoir monter en puissance dans l'hypothèse où aucun accord ne serait conclu à cette date ; à l'inverse, si un accord est signé, il faudra ouvrir des négociations sur les modalités de la relation future qui, si elles ne débouchaient pas dans les dix-huit mois, nous ramèneraient au stade actuel, c'est-à-dire un Brexit « dur ».

Pour terminer, je voudrais insister sur deux points. Le premier a trait à la pêche : les produits de la mer ne sont pas tous importés en France par bateau ; ils le sont pour beaucoup par camion via le tunnel ou le port de Calais. Aujourd'hui, ils ne sont donc évidemment ni dédouanés ni contrôlés sur le plan sanitaire. Nous avons obtenu que Boulogne-sur-Mer, premier centre européen de traitement et d'expédition des produits de la mer, concentre à l'avenir l'ensemble du dispositif sanitaire, phytosanitaire et douanier relatif à la pêche en provenance des ports et du tunnel. Cette décision conforte la place de ce centre et contribue à centraliser les moyens de contrôle, ce qui entraîne des économies d'échelle extrêmement importantes.

Le second concerne le tunnel proprement dit : il s'agit à la fois d'une infrastructure communautaire et d'une installation issue d'un traité bilatéral franco-britannique, le traité de Cantorbéry, qui confère à la Commission intergouvernementale au tunnel sous la Manche un certain nombre de compétences, notamment en matière de sécurité ferroviaire. La Commission joue aujourd'hui le rôle d'autorité binationale, si bien que la sortie du Royaume-Uni casserait cette belle symétrie et empêcherait la création d'une autorité de sécurité ferroviaire binationale avec un État tiers. Il convient donc de réinventer le dispositif.

La Commission européenne a une position assez ferme sur le sujet en demandant le respect des directives applicables. Nous avons tout de même obtenu de pouvoir continuer temporairement à exploiter le tunnel : la Commission européenne souhaite que la période transitoire soit de trois mois, tandis que nous militons pour un délai d'un an. Compte tenu de l'ampleur du risque administratif et juridique lié au Brexit, lequel pourrait entraîner l'arrêt complet des trains, la commodité que nous fait la Commission européenne n'est pas négligeable. Par la suite, nous tâcherons de renégocier un certain nombre de clauses dans les traités et au niveau de la concession pour intégrer le fait que le Royaume-Uni est devenu un pays tiers.

Le Gouvernement est attentif à une question qui comporte aussi une dimension économique considérable. Il a d'ailleurs présenté ce matin en conseil des ministres une ordonnance relative à la préparation au retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne en matière de sécurité ferroviaire dans le tunnel sous la Manche.

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