Intervention de Guillaume Gontard

Réunion du 1er juin 2023 à 10h30
Importation de produits issus du travail forcé de la population ouïghoure — Adoption d'une proposition de résolution

Photo de Guillaume GontardGuillaume Gontard :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, sur l'initiative de notre collègue Mélanie Vogel, qui regrette de ne pouvoir être parmi nous aujourd'hui et qui vous prie de bien vouloir l'en excuser, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires propose qu'à son tour, le Sénat s'exprime sur l'horreur, sur l'indicible crime contre l'humanité opéré méthodiquement depuis plus de dix ans dans l'ouest de la Chine.

Pour compléter la résolution portant sur la reconnaissance et la condamnation du caractère génocidaire des violences politiques systématiques ainsi que des crimes contre l'humanité actuellement perpétrés par la République populaire de Chine à l'égard des Ouïghours, votée par l'Assemblée nationale, nous vous proposons, de manière plus opérationnelle, de stopper l'importation des produits issus du travail forcé des Ouïghours, en France comme en Europe.

Grâce à la mobilisation de tous les instants de la diaspora ouïghoure, relayée notamment par notre collègue député européen Raphaël Glucksmann, nous savons beaucoup du traitement inhumain dont est victime la minorité ouïghoure de Chine.

Permettez-moi néanmoins de rappeler une nouvelle fois l'ampleur de l'horreur qui est à l'œuvre dans le Xinjiang.

Depuis le début des années 2010, et surtout depuis l'accession au pouvoir de Xi Jinping, la République populaire de Chine mène une stratégie d'assimilation culturelle violente envers les groupes minoritaires, particulièrement envers la minorité musulmane ouïghoure dans la région autonome du Xinjiang.

Cette politique d'épuration ethnique se traduit par l'interdiction de pratiques religieuses et culturelles, la destruction de lieux de culte et de cimetières religieux ou encore la surveillance de masse.

Les autorités chinoises font tout ce qui est en leur pouvoir pour diminuer la présence de l'islam, transformant le Xinjiang en laboratoire de la politique d'assimilation répressive du parti communiste chinois.

Sous couvert de lutte antiterroriste, le gouvernement chinois criminalise toute expression des traditions.

Sous couvert de lutte contre l'extrémisme religieux, le gouvernement chinois s'octroie le droit d'incarcérer dans des camps de rééducation toute personne qui pratique la religion musulmane.

La pratique du ramadan, la consommation de nourriture halal, une apparence jugée trop religieuse ou encore l'enseignement coranique suffisent à vous envoyer dans un camp de rééducation, où les détenus sont forcés d'abandonner leur religion. Et pour le prouver, les autorités chinoises forcent les détenus à boire de l'alcool, à manger du porc ou encore à prêter allégeance au parti communiste chinois.

D'autres témoignages issus de ces camps, notamment de femmes kazakhes ou ouïghoures, font froid dans le dos. Il y est fait état d'abominables contrôles des naissances se traduisant par la pose contrainte de contraceptifs, des avortements et des stérilisations forcées. Les femmes récalcitrantes sont menacées de sanctions et de détention.

Aux termes de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, qui, en 1948, a formulé la première définition juridique internationale du génocide, ces mesures visant à entraver les naissances au sein d'un groupe constituent un élément caractérisant une entreprise génocidaire.

Au milieu des années 2010, les arrestations préventives et les placements dans des camps se multiplient, sous des prétextes de plus en plus dérisoires, comme une simple discussion avec un résident étranger. Les incarcérations se font, naturellement, en dehors du système judiciaire.

Des dispositifs de surveillance massive sont mis en place pour traquer les musulmans. Des fonctionnaires sont envoyés vivre dans les familles musulmanes pour surveiller leur mode de vie, ce qu'elles mangent ou la manière dont elles éduquent leurs enfants.

Une vaste politique de délation, qui rappelle les heures les plus sombres de l'histoire de l'humanité, est promue par les autorités chinoises.

Les Ouïghours sont également traqués à l'étranger, les autorités chinoises leur demandant des informations sur le reste de la diaspora et les menaçant de s'en prendre à leur famille restée en Chine s'ils refusent de répondre.

C'est en 2017 que les premières preuves de l'existence de ces camps émergent et que les premières réactions internationales se font entendre.

Amnesty International et l'Organisation des Nations unies estiment qu'il existe 1 200 camps de rééducation au Xinjiang, et que 1 million de prisonniers y sont incarcérés, soit un musulman sur six.

Quelques mois plus tard, l'on découvre que le gouvernement chinois organise un système de travail forcé des Ouïghours. Dans un rapport des autorités chinoises datant de 2020, nous apprenons que de 2, 6 millions de citoyens ouïghours du Xinjiang ont été placés dans des fermes et des usines. Un système organisé au plus haut niveau permet aux industriels de passer des commandes de travailleurs aux autorités locales. Des recruteurs sont désignés et des quotas de travailleurs à atteindre, fixés. Ils se rendent au sein des foyers pour recruter des travailleurs.

Tous les habitants turciques de plus de 16 ans sont susceptibles d'être forcés d'aller travailler et sont menacés de détention. Pendant quelques jours, ils sont formés à des tâches répétitives, puis ils sont envoyés dans les usines. Ils sont entassés dans des dortoirs, ne peuvent pas démissionner, travaillent pendant un nombre incalculable d'heures en contrepartie de très bas salaires.

Ces dernières années, on a vu se construire dans la région du Xinjiang, parfois au sein même des camps de rééducation, d'immenses complexes industriels. Le secteur du textile est le plus concerné, notamment les marques Adidas, Zara, Nike, Uniqlo et bien d'autres. D'autres secteurs sont également mis en cause : l'automobile, les jouets ou encore les panneaux solaires.

Disons-le clairement : c'est toute une partie de l'appareil industriel chinois auquel nous avons délégué la production de tant d'objets de notre quotidien qui repose sur le travail forcé, comme en son temps, la production industrielle soviétique. Notre attitude était alors tout autre.

Tous ces agissements ont une qualification : ce sont des crimes contre l'humanité. C'est ce que Michelle Bachelet, alors haut-commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, a confirmé le 31 août 2022, dans un rapport accablant, résultat de sa visite dans le Xinjiang. Les conclusions de ce rapport sont sans appel : elles confirment toutes les révélations des associations de défense des droits de l'homme.

Malgré les nombreuses réactions internationales, très peu des marques mises en cause ont répondu aux accusations, et celles qui ont arrêté de faire appel aux usines du Xinjiang se comptent sur les doigts d'une main.

Vous l'aurez compris, mes chers collègues, les indignations ne suffisent plus. Leur coût politique et économique est bien trop faible. En 2021, le commerce direct entre le Xinjiang et l'Union européenne a même augmenté de 13, 6 %.

C'est tout un système économique mondial fondé sur le profit et l'exploitation de la vie humaine qu'il faut combattre. Aujourd'hui, on sait qu'un vêtement sur cinq porté sur la planète peut être entaché de travail forcé ouïghour. C'est vertigineux !

L'Europe doit prendre ses responsabilités. Nous avons le devoir de nous doter d'une politique commerciale exigeante qui respecte les droits humains les plus basiques. Les initiatives dans ce sens se multiplient, et la France, qui se veut le phare de la promotion des droits partout dans le monde, doit produire son effort et son effet.

En 2021, les États-Unis ont interdit d'importer des produits fabriqués dans la province chinoise du Xinjiang. Tout produit fabriqué, même partiellement, dans le Xinjiang, est considéré comme étant issu du travail forcé et ne peut être importé, sauf si les entreprises sont en mesure de fournir des preuves claires et convaincantes du contraire.

Dans le même esprit, la Commission européenne a présenté au mois de septembre dernier un projet qui permettrait, à terme, d'interdire certains produits d'entrée sur le marché européen. En cas de soupçons sur un produit, les organismes chargés de la surveillance des marchés pourront lancer une enquête préliminaire au terme de laquelle le produit soupçonné pourra être banni du marché européen.

Comme nous l'expliquons dans l'exposé des motifs de cette proposition de résolution, nous souhaiterions que la France et l'Europe adoptent une position proche de celle des États-Unis. Nous pensons en effet que la charge de la preuve doit être inversée : ce sont les industriels qui doivent prouver de manière convaincante qu'ils ne se fournissent pas dans des usines faisant appel au travail forcé des Ouïghours. Ce ne sont pas aux pouvoirs publics ou aux lanceurs d'alerte d'en apporter les preuves.

Je précise au passage qu'adopter la position américaine en la matière n'est pas du tout synonyme, dans notre esprit, d'un alignement complet avec les positions américaines dans la guerre commerciale, parfois quelque peu manichéenne, engagée contre la Chine.

Au regard des bouleversements géopolitiques majeurs que nous connaissons ces dernières années, l'Europe et la France sont dans la nécessité impérieuse de redéfinir leurs relations avec la Chine et de construire une politique chinoise qui nous soit propre. Compte tenu des valeurs portées par notre pays et notre union continentale, la fermeté absolue vis-à-vis des crimes contre l'humanité doit à nos yeux constituer une composante essentielle de notre relation avec Pékin.

Alors que l'Assemblée nationale a adopté au mois de janvier 2022 une proposition de résolution portant sur la reconnaissance et la condamnation du caractère génocidaire des violences politiques systématiques, ainsi que des crimes contre l'humanité actuellement perpétrés par la République populaire de Chine à l'égard des Ouïghours, comment pouvons-nous continuer à importer, vendre et consommer des produits qui sont fabriqués dans des conditions de travail forcé n'ayant pas grand-chose à envier au goulag ?

Aujourd'hui, il est plus que logique et cohérent de demander au Gouvernement d'adopter des mesures efficaces pour cesser, selon les mots de notre collègue Mélanie Vogel, « d'offrir un débouché commercial aux crimes contre l'humanité ».

En mettant en place une politique qui rejette tout produit issu du travail forcé des Ouïghours, la France ferait peser une vraie chape de plomb sur la Chine, qui mise énormément sur le développement du Xinjiang, région qui est au cœur du projet de nouvelle route de la soie du fait de sa situation géographique, au croisement de routes commerciales entre les continents européen et asiatique.

Le seul rapport de force que comprend la Chine est économique, et c'est à son portefeuille qu'il faut s'attaquer pour tenter de retrouver le sens de notre humanité. §

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