Intervention de André Gattolin

Réunion du 1er juin 2023 à 10h30
Importation de produits issus du travail forcé de la population ouïghoure — Adoption d'une proposition de résolution

Photo de André GattolinAndré Gattolin :

Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, je veux tout d'abord remercier le groupe GEST, à l'origine du texte que nous étudions aujourd'hui.

En effet, c'est la première fois – je dis bien la première fois – que notre Haute Assemblée est amenée à débattre de l'abominable tragédie qui frappe la population ouïghoure. Disons-le tout net : il était temps !

Quand, voilà dix ans, j'ai pris l'initiative d'inviter les représentants du Congrès mondial ouïghour dans nos murs, j'avoue avoir ressenti un grand moment de solitude, car rares étaient à l'époque les parlementaires un tant soit peu informés de cet effroyable drame.

Depuis, la coercition massive exercée à l'encontre de cette minorité ethnique n'a cessé de s'intensifier, et il aura fallu l'incroyable persévérance de quelques associations et chercheurs pour parvenir à documenter ce que d'aucuns osent désormais appeler un véritable processus génocidaire.

Même si le travail forcé ne constitue qu'une des multiples exactions mises en œuvre par le régime de Pékin à l'encontre des Ouïghours, cette proposition de résolution est aussi l'occasion de parler de cette forme d'esclavage moderne qui est aujourd'hui en forte résurgence en Chine, mais aussi ailleurs dans le monde.

La lutte contre ce fléau remonte à 1930, puisque la convention visant à combattre le travail forcé fut parmi les premières adoptées par l'Organisation internationale du travail (OIT) créée en 1919. S'en est suivie l'adoption d'une seconde convention pour l'abolition du travail forcé en 1957.

Sur le papier, nous pourrions nous réjouir que la quasi-totalité des États de la planète aient aujourd'hui ratifié ces deux conventions.

Très récemment, le 12 août 2022, la République populaire de Chine a, à son tour, fini par les ratifier, et leur entrée en application dans ce pays est supposée intervenir d'ici à deux mois et demi.

Si nous étions naïfs, nous pourrions croire l'affaire pliée et l'objet de la présente résolution nul et non avenu. Mais les faits sont têtus, et la réalité terriblement coriace. Loin de régresser, le travail forcé connaît une recrudescence très inquiétante depuis le milieu des années 2010. L'OIT estime à 28 millions le nombre de personnes qui en sont victimes dans le monde en 2021, un chiffre en progression de près de 3 millions par rapport à 2016.

Pour des raisons très politiques, l'OIT publie non pas des données par pays, mais seulement des agrégats régionaux. Heureusement, nous en savons davantage grâce à la Walk Free Foundation, qui vient de publier son dernier rapport voilà tout juste une semaine.

Son index mondial, qui agrège travail forcé, mariage forcé et traite humaine, fait apparaître que la Chine, avec 5, 8 millions de personnes soumises à ces formes scandaleuses d'esclavage moderne, se situe au deuxième rang mondial, derrière l'Inde. En Chine continentale, ce chiffre a même connu une progression de 70 % au cours des cinq dernières années.

Au contraire de l'Inde, où le travail forcé est plus diffus sur l'ensemble du territoire, le phénomène en Chine est davantage concentré dans des régions comme le Xinjiang ou le Tibet, et il est, comme en Corée du Nord, le fruit d'une politique délibérée de l'État, et non le fait d'acteurs privés, comme dans la plupart des autres pays.

Il serait illusoire de croire que la ratification des deux conventions de l'OIT changera les choses en Chine, et au Xinjiang en particulier. Qui sera autorisé à aller sur le terrain vérifier leur application ?

Rappelons-nous, mes chers collègues, la tragi-comédie de la mission d'inspection de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), en janvier-février 2021, au laboratoire de virologie de Wuhan. Rappelons-nous le fiasco du déplacement de Michelle Bachelet au Xinjiang en mai 2022.

Il y a dix ans, quand la Chine a officiellement aboli la rééducation par le travail, le seul véritable changement a été la requalification sémantique des « camps de rééducation » en « centres de formation professionnelle ». En réalité, cette ratification par la Chine des conventions de l'OIT est une tentative de fournir un alibi à la Commission européenne pour rouvrir la ratification de l'accord global sur les investissements Union européenne-Chine. Signé en catimini le 30 décembre 2020, celui-ci a été suspendu après le tollé provoqué par les sanctions imposées par Pékin à plusieurs eurodéputés défendant la cause ouïghoure.

Pour ne pas perdre la face devant l'opinion publique européenne, la Commission tente actuellement de finaliser un règlement interdisant l'importation de produits issus du travail forcé. Mais, en l'état, elle n'est pas dotée des moyens nécessaires pour en assurer la traçabilité effective. La grande faiblesse du texte de la Commission, c'est de faire peser la charge de la preuve sur le régulateur, un régulateur qui a déjà bien du mal à assurer un suivi systématique des accords commerciaux dont il a la responsabilité.

L'intérêt majeur de la résolution ici en discussion est précisément de faire porter la charge de la preuve sur les entreprises responsables de l'introduction de ces produits sur le marché européen.

Il ne s'agit en rien d'une mesure d'exception. Elle est conforme au droit européen et s'applique déjà dans plusieurs domaines.

Pour en terminer, je rappelle que les produits issus du travail forcé consommés en France représentent un chiffre d'affaires annuel de près de 12 milliards de dollars, dont 8 milliards pour ceux en provenance de Chine.

Pour toutes ces raisons, le groupe RDPI votera en faveur de cette résolution. §

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