Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est des moments où notre chambre a l'occasion de se grandir en laissant une trace dans l'Histoire.
Ce fut le cas récemment, avec l'adoption, le 23 mai dernier, du projet de loi relatif à la restitution des biens culturels ayant fait l'objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites entre 1933 et 1945, ou encore avec l'adoption de la résolution relative à la reconnaissance du génocide des Assyro-Chaldéens au mois de février. Cela aurait également pu être le cas lors de l'examen de la proposition de loi relative à la commémoration de la répression d'Algériens le 17 octobre 1961 et les jours suivants à Paris, que j'avais eu l'honneur de déposer.
Une occasion se présente de nouveau aujourd'hui.
Je veux ici remercier Mélanie Vogel et le groupe GEST d'avoir déposé cette proposition de résolution. Je veux aussi rendre hommage aux Ouïghours eux-mêmes qui, au risque de leurs vies et de celles de leurs familles, témoignent et informent le monde de ce crime contre l'humanité que subit leur peuple.
Alors que nous nous apprêtons à voter, ou du moins je l'espère, pour une proposition de résolution visant à interdire l'importation de produits issus du travail forcé, je ne peux m'empêcher d'avoir à l'esprit un triste parallèle : voilà à peine trois semaines, le 10 mai, nous étions réunis pour la Journée nationale des mémoires de la traite, de l'esclavage et de leurs abolitions. Une autre journée de commémoration a eu lieu le 23 mai un hommage aux victimes de l'esclavage.
Je ne peux non plus omettre de souligner que la France est le premier État, et demeure le seul, à avoir déclaré la traite négrière et l'esclavage crimes contre l'humanité.
Aussi, mes chers collègues, qui mieux que notre pays peut faire évoluer les choses de manière concrète ?
Commençons par les faits. Ils sont documentés et incontestables. Selon une enquête réalisée par le chercheur allemand Adrian Zenz et révélée en 2020, au moins un demi-million d'habitants du Xinjiang issus des minorités ethniques sont envoyés dans les champs de coton pour y travailler de force.
Selon l'Organisation internationale du travail : « Le travail forcé fait référence à des situations dans lesquelles les personnes sont contraintes de travailler par l'utilisation de la violence ou de l'intimidation, ou des moyens plus subtils comme l'accumulation de dettes ». Or, au Xinjiang, les 11 millions d'Ouïghours, de Kazakhs et autres peuples musulmans sont bel et bien soumis à un contrôle policier totalitaire et à un travail forcé.
Depuis 2017, des centaines de milliers d'entre eux ont été envoyés en camps de rééducation. Plus récemment, les Xinjiang Police Files ont permis de mettre des visages et des noms sur les victimes de ces horreurs. La plus jeune détenue s'appelle Rahile Omer et n'a que 14 ans ! Dans le seul canton rural de Konasheher, plus de 12 % de la population adulte ouïghoure, soit un adulte sur huit, se trouvait dans un de ces camps ou dans une prison au cours des années 2017 et 2018.
Fin 2018, après avoir longuement nié, la Chine a reconnu l'existence de ces camps, les présentant comme des lieux « sympathiques » de formation professionnelle. Une véritable honte ! De nouveaux documents viennent confirmer visuellement les récits des témoins emprisonnés dans des camps où règnent la torture, les viols, la violence, les mauvais traitements ou encore le lavage de cerveau.
Un rapport du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme (HCDH) publié le 31 août 2021, à la fin du mandat de Michelle Bachelet – chacun se souvient du blocage de la Chine à l'époque –, et consacré à la région autonome ouïghoure du Xinjiang concluait que de « graves violations des droits de l'homme » étaient commises à l'encontre des Ouïghours et d'« autres communautés majoritairement musulmanes ».
Déjà, à l'époque, ce rapport affirmait que « les allégations de pratiques de torture ou de mauvais traitements, notamment de traitements médicaux forcés et de mauvaises conditions de détention, étaient crédibles, tout comme les allégations d'incidents individuels de violences sexuelles et sexistes ».
Les Ouïghours subissent donc à la fois les conséquences d'un libéralisme fou, où il faut produire beaucoup moins cher, et un emprisonnement numérique, qui en fait des cobayes du gouvernement chinois en matière de surveillance grâce aux nouvelles technologies. Pire, ils subissent une éradication organisée de leur culture, de leur religion et de leur peuple à travers la stérilisation de nombreuses femmes.
L'Assemblée nationale a d'ailleurs adopté en janvier 2022 une résolution portant sur la reconnaissance et la condamnation du caractère génocidaire de ces violences. La France peut en être fière.
En juin 2022, le Parlement européen adoptait deux résolutions : l'une sur la situation des droits de l'homme au Xinjiang, y compris les fichiers de la police du Xinjiang et l'autre sur un nouvel instrument commercial visant à interdire les produits issus du travail forcé. Preuve, s'il en fallait, que ces initiatives démocratiques ne laissent pas de marbre le régime de Pékin, celui-ci avait, en représailles, sanctionné une dizaine de ressortissants européens, dont des parlementaires, comme Raphaël Glucksmann. Je veux ici rappeler que ces sanctions contre des élus, qui font tout simplement le travail pour lequel ils ont reçu mandat, sont parfaitement inacceptables et doivent être condamnées systématiquement.
Cette seconde résolution européenne du mois de juin 2022 a conduit la Commission à présenter une proposition visant à interdire aux fabricants, producteurs et fournisseurs de mettre sur le marché européen ou d'exporter vers des pays tiers des produits issus du travail forcé.
Il appartiendra aux autorités de chaque État d'apporter la preuve de ce qu'ils soupçonnent. Les marchandises en question seront alors saisies et retirées du marché européen. Si je salue cette avancée, force est de constater, comme les orateurs précédents, qu'elle n'est pas suffisante.
Le texte que nous examinons aujourd'hui, lui, va dans le bon sens, puisqu'il invite les instances européennes à réviser cette proposition en s'inspirant des dispositions mises en œuvre par les États-Unis, qui interdisent les produits a priori et font peser la responsabilité sur les entreprises, celles-ci devant démontrer qu'elles n'utilisent pas et ne vendent pas de produits issus du travail forcé. Cette mesure aurait pour vertu de s'appliquer bien plus rapidement et, au regard des obligations en matière de traçabilité, ne devrait normalement pas poser de problèmes aux acteurs concernés, aujourd'hui quatre-vingt-trois entreprises.
Il faut le savoir, chacune et chacun d'entre nous, chaque personne qui porte un vêtement ou un accessoire qui comprend, à un moment ou à un autre de sa chaîne de production, une fibre de coton produite en Chine, doit envisager la forte probabilité d'être bénéficiaire, à son insu, du travail forcé d'Ouïghours.
Mes chers collègues, il faut réaffirmer faut et fort que le seul responsable de ces exactions est le gouvernement chinois. C'est ce que notre assemblée s'apprête à faire, je l'espère, en votant cette résolution, grâce à laquelle nous allons condamner les actes des autorités chinoises et soutenir la population ouïghoure.
En outre, selon les données de l'OIT, près de 30 millions de personnes dans le monde sont actuellement soumises au travail forcé, pour 86 % des cas dans l'économie privée et pour 14 % dans un cadre imposé par l'État. Cette situation n'est acceptable nulle part, pas plus en Chine que dans d'autres pays. Vous l'aurez compris, le groupe SER votera en faveur de cette proposition de résolution. Je remercie une nouvelle fois nos collègues du groupe GEST et Mme Mélanie Vogel. §