Intervention de Éric Dupond-Moretti

Réunion du 7 juin 2023 à 15h00
Orientation et programmation du ministère de la justice 2023-2027 – ouverture modernisation et responsabilité du corps judiciaire — Article 3

Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux :

Avant la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire, dite loi Confiance, il n'y avait aucun délai pour l'enquête préliminaire, de sorte que celle-ci durait parfois très longtemps ; le code d'instruction criminelle l'appelait d'ailleurs « l'enquête officieuse ».

On assistait à des choses assez singulières : des investigations pouvaient traîner en longueur pendant quatre ans, parfois plus, et, de temps en temps, on lisait dans la presse que telle ou telle personne se voyait suspecter à raison de tel ou tel élément. Le suspect lui-même, qui est tout de même le premier concerné, apprenait dans la presse ce qui lui était reproché.

Avec la loi Confiance, nous avons indiqué qu'il fallait désormais fixer des limites. C'est tout simplement une question de droits de l'homme. Nous avons également prévu une autre disposition : si l'on retrouve des violations du secret de l'enquête dans la presse, l'intéressé a le droit de demander l'ouverture au contradictoire.

C'est tout de même bien le moins que le suspect soit mieux informé que tel ou tel journaliste ayant bénéficié d'une violation du secret de l'enquête, d'autant que certains organes de presse se plaisent à feuilletonner – un petit morceau par-ci, un petit morceau par-là, la semaine suivante… – à propos d'affaires concernant des personnalités ; les droits de la défense n'y trouvent à l'évidence pas leur compte.

J'ai donc présenté ces dispositions qui ont été votées par le Parlement, mais nous avons rencontré une difficulté pratique, pragmatique : les forces de sécurité intérieure nous ont indiqué – il faut être attentif à ce qu'elles nous disent, même quand on n'est pas ministre de l'intérieur ! – avoir du mal à réaliser les enquêtes dans de tels délais. Je précise d'ailleurs que le présent projet de loi, dont l'objet est notamment de donner davantage de moyens à la justice, se construit en parallèle d'une loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi) dont l'objet de donner davantage de moyens aux forces de sécurité intérieure.

L'idée est à présent d'affirmer non pas – surtout pas ! – que l'on reviendra sur le principe, mais que l'on permettra la réalisation d'enquêtes sur un temps un peu plus long. Nous proposons ainsi d'allonger le délai au travers d'une première prolongation possible d'un an et d'une seconde de même durée avec motivation spéciale.

Évidemment, c'est un recul. J'en accepte l'augure. Mais, afin qu'il ne s'agisse pas d'un recul pour le suspect lui-même, et en vue d'équilibrer les dispositions que nous sommes contraints d'adopter au nom du pragmatisme, nous ouvrons totalement le contradictoire : si l'enquête préliminaire se poursuit au-delà du délai, l'intéressé aura le droit à une connaissance complète de son dossier et à un accès intégral à celui-ci. Son avocat pourra demander un certain nombre d'actes et de vérifications.

J'ai souvent vécu des enquêtes préliminaires très longues. Je ne souhaite pas du tout que l'on retourne à l'état antérieur du droit. Pendant quatre ans, on fouille chez le notaire, à la banque, chez les amis et dans l'entourage périphérique, et on sort de temps en temps un papier, qui se retrouve naturellement dans la presse. On livre ainsi aux chiens l'honneur d'un homme qui n'a aucune possibilité de se défendre.

Dans mon esprit, il n'est évidemment pas question de revenir à ce qui prévalait avant l'adoption de la loi Confiance. Mais il nous faut prendre en considération la difficulté que les délais posent. Même si nous ne reviendrons pas sur le principe, ces délais étant trop importants pour notre droit, nous nous adaptons et nous permettons en échange, si j'ose dire, un accès total au contradictoire pour que le suspect puisse enfin faire valoir complètement les droits qui sont les siens.

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