Intervention de Cyril Pellevat

Réunion du 7 juin 2023 à 15h00
Indices locatifs — Rejet en procédure accélérée d'une proposition de loi

Photo de Cyril PellevatCyril Pellevat :

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, madame le rapporteure, mes chers collègues, il semble que l'adage selon lequel « les bonnes habitudes ne se perdent pas » ne s'applique guère au Gouvernement et à la majorité présidentielle. Une fois encore, ceux-ci démontrent, avec cette proposition de loi maintenant provisoirement un dispositif de plafonnement de revalorisation de la variation annuelle des indices locatifs, leur préférence pour les mauvaises habitudes.

S'agissant d'une proposition de loi, déposée en catimini par des députés de la majorité, plutôt que d'un projet de loi émanant du Gouvernement, ni travail préparatoire, ni concertation, ni étude d'impact des mesures proposées, ni avis du Conseil d'État n'ont été permis.

S'y ajoute l'engagement de la procédure accélérée, qui impose un examen du texte dans l'extrême urgence : il ne nous a été laissé qu'une semaine pour élaborer un rapport et une journée seulement sépare l'examen du texte en commission de son passage en séance publique…

Comment espérez-vous que nous travaillions correctement dans ces conditions ?

Cette situation résulte d'un manque total d'anticipation de la part de l'exécutif. Les échéances étaient pourtant connues depuis près d'un an : la loi Muppa, c'est-à-dire portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat, qui avait introduit le plafonnement temporaire des indices locatifs, date d'août 2022. Monsieur le ministre, vous faites valoir l'urgence de la situation, mais si vous aviez été plus réactif, nous n'en serions pas là !

Sur le fond, la nécessité de prolonger le dispositif porte également à débat. En effet, bien que l'IRL ait été plafonné à 3, 5 % depuis un an, une hausse des loyers de seulement 1, 3 % a été constatée, puisque de nombreux bailleurs ne révisent pas leur loyer chaque année. Cette augmentation semble donc raisonnable : elle est bien inférieure à l'inflation que connaît le pays depuis l'année passée.

Notre groupe partage pleinement la volonté de limiter la perte de pouvoir d'achat des Français et d'aider les locataires.

Pour autant, nous nous interrogeons légitimement sur l'intérêt que présente ce dispositif pour les locataires, principalement concernés par la hausse des prix des produits alimentaires, mais aussi pour les propriétaires, qui sont majoritairement des Français ayant investi dans l'immobilier afin de bénéficier d'un complément de revenus qui leur est essentiel. Tomber dans la démagogie en opposant bailleurs et locataires ne saurait être une solution.

L'Union nationale des propriétaires immobiliers (UNPI) estime que, en cas de reconduction du plafonnement, près d'un milliard d'euros d'efforts auront été demandés aux bailleurs, ceux d'entre eux qui n'avaient pas révisé leur loyer depuis plusieurs années étant particulièrement pénalisés. Les propriétaires s'appauvrissent, car leurs coûts d'entretien augmentent plus vite que leurs revenus.

La mesure emporte également des conséquences fiscales pour l'État. De même, les collectivités territoriales et les bailleurs sociaux subiront une baisse de leurs recettes, alors qu'aucune compensation n'a été envisagée pour eux, ce qui fera baisser leur capacité à construire de nouveaux logements.

Si la prolongation du plafonnement était utile – rien n'est moins sûr, notamment en raison de l'absence d'étude d'impact –, elle serait plus acceptable si elle était compensée, au moins partiellement, par exemple sous la forme d'un crédit d'impôt en faveur des bailleurs. Tel n'est pas le cas.

Ajoutons au tableau une revalorisation insuffisante des APL, après, rappelons-le, leur baisse de 5 euros en 2017. Une augmentation des prestations sociales aurait pourtant permis d'apporter une aide aux locataires les plus précaires, sans pénaliser les bailleurs, privés ou sociaux.

Alors que 82 % des Français estiment que le logement devrait être une priorité du Gouvernement, les propositions émises à la suite du volet du Conseil national de la refondation (CNR) consacré au logement ne sont pas à la hauteur des enjeux et ne contribueront pas à sortir de la crise de l'immobilier à laquelle nous sommes confrontés.

En effet, 2, 42 millions de Français sont en attente d'un logement social et 330 000 d'entre eux sont sans domicile fixe – c'est un record.

En réponse, des mesures techniques sont envisagées, dont l'effet sera marginal. Seule l'augmentation des plafonds de revenu pour l'accès au bail réel solidaire peut être considérée comme positive. Et encore faudrait-il que ces plafonds, pour être pertinents, soient adaptés en fonction des particularités des territoires.

Par ailleurs, certaines propositions émanant du groupe de travail sur le logement permanent en zone tendue et touristique relèvent de l'absurde et sont parvenues à dresser contre elles l'ensemble des territoires touristiques.

S'y ajoute l'abolition de la taxe d'habitation, qui conduit à une explosion de la taxe foncière, et l'exclusion de logements du marché, avec l'interdiction de louer les passoires thermiques, qui n'est pas assortie de mesures visant à donner aux bailleurs les moyens financiers suffisants pour rénover leurs biens.

Cette situation est encore aggravée par un calcul du diagnostic de performance énergétique (DPE) qui pénalise l'électricité et une prochaine quasi-interdiction de la construction de nouveaux logements – merci le ZAN ! Tous ces facteurs créent un cocktail explosif.

Monsieur le ministre délégué chargé de la ville et du logement, vous avez évoqué une bombe sociale ; nous y fonçons tête baissée, en créant toutes les conditions nécessaires à une baisse de l'offre de logements disponibles. Cette situation ne découle pas de la légère augmentation des loyers par certains bailleurs, mais assurément des signaux très négatifs envoyés par l'exécutif à ceux qui souhaitent investir dans la pierre.

L'observatoire Clameur, pour « connaître les loyers et analyser les marchés sur les espaces urbains et ruraux », dresse un constat alarmant du bilan du Gouvernement en matière de logement et souligne que les dispositifs de régulation du marché immobilier en place incitent les investisseurs à privilégier la plus-value, plutôt que la rentabilité locative raisonnable basée sur les loyers. Cela rend le marché immobilier privé encore plus spéculatif.

À la fois en raison de la méthode employée, de nos réserves envers le dispositif proposé, qui charge les propriétaires de la responsabilité de l'inflation, alors même que la protection du pouvoir d'achat en matière alimentaire est insuffisante, et de l'absence de mesures visant réellement à remédier à la crise du logement, je considère que les conditions d'examen de cette proposition de loi ne permettent pas un travail serein.

Or il me semble nécessaire d'engager une discussion sur le fond. Je voterai donc en faveur de la motion visant à opposer la question préalable, proposée par notre rapporteur, Mme Dominique Estrosi Sassone.

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