Intervention de Éric Dupond-Moretti

Réunion du 7 juin 2023 à 15h00
Orientation et programmation du ministère de la justice 2023-2027 – ouverture modernisation et responsabilité du corps judiciaire — Article 3, amendement 85

Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux :

Certains semblent presque découvrir la lune et s'émeuvent d'une mesure qui serait « liberticide ». Les grands mots en entraînent d'autres, mais personne ne s'arrête sur la réalité, qui est celle que je viens de vous décrire.

J'en viens aux différents amendements.

Mmes Cukierman, Vogel, de La Gontrie et Benbassa souhaitent la suppression totale ou partielle de ces dispositions. Pourtant, ces dernières constituent une réelle avancée. Elles tendent à moderniser nos capacités d'enquête et à protéger des risques nos policiers et gendarmes, tout en aboutissant aux mêmes résultats que ceux qui sont aujourd'hui permis par les textes.

Je vous rappelle tout de même que l'activation à distance est entourée de garanties importantes. Sa mise en œuvre est subordonnée à l'autorisation du juge, ce qui n'est pas rien.

Par ailleurs, pour activer la géolocalisation, il faut enquêter sur un crime ou un délit puni d'au moins cinq ans d'emprisonnement.

Et pour la captation de son et d'image, il faut être dans une affaire de criminalité organisée ou de terrorisme. Je veux rassurer tout le monde, l'écologie terroriste ou le terrorisme écologique n'entrent évidemment pas dans le champ d'application de la mesure ! §

J'aurais tellement aimé convaincre les auteurs de l'amendement n° 85 rectifié de le retirer. Cet amendement vise à limiter le recours à la technique d'enquête qui permet l'activation à distance à fin de géolocalisation aux infractions punies d'au moins dix ans d'emprisonnement. Quid du proxénétisme ? Quid des atteintes sexuelles sur mineurs de 15 ans ? De toute façon, on peut déjà le faire aujourd'hui, et on ne s'en prive pas.

Pourquoi s'interdire d'utiliser ces moyens sur de tels faits, qui sont graves, mais qui sont passibles de moins de dix ans d'emprisonnement ? Les motifs tenant à la protection des OPJ et à la qualité de l'enquête se posent dans les mêmes termes pour ce type d'infractions. Nous devons donc autoriser les enquêteurs à utiliser ces techniques, comme c'est, en quelque sorte, déjà le cas.

Madame la sénatrice Vogel, vous proposez, par l'amendement n° 230, de limiter le recours aux techniques spéciales d'enquête (TSE) aux fins de géolocalisation ou de captation aux seules infractions commises contre les personnes punies d'au moins vingt ans d'emprisonnement, ainsi qu'aux actes de terrorisme. Je viens d'expliquer qu'une telle limitation n'était pas possible et qu'elle ne me semblait pas réaliste.

Les amendements n° 55 et n° 231 visentinterdire les TSE dans certains lieux. Là encore, il faut préciser les choses.

Il est proposé d'exclure la possibilité de procéder à l'activation à distance d'un appareil connecté aux fins de procéder à sa géolocalisation lorsque l'appareil en cause est situé dans certains lieux. Or la technique d'enquête dont nous parlons, la géolocalisation, vise à localiser un appareil, et non à capter des images ou des paroles. Il n'y aucune raison de s'inquiéter !

Je ne comprends pas l'intérêt d'empêcher la géolocalisation d'un appareil sous prétexte que celui-ci se trouverait dans un cabinet d'avocats ou dans un organe de presse. Ce que l'on veut savoir, c'est où se trouve l'appareil. Il ne s'agit en aucun cas d'une captation d'images ou de son.

Par l'amendement n° 58, vous souhaitez, madame la sénatrice de La Gontrie, exclure la possibilité de procéder à l'activation à distance d'un appareil aux fins de capter des images et du son lorsqu'il est situé dans certains lieux. Or le projet de loi prévoit l'interdiction, à peine de nullité, de procéder à la retranscription en procédure des éléments qui proviennent d'un appareil se trouvant dans certains lieux. Les garanties sont donc d'ores et déjà prévues.

Votre amendement vise à interdire non pas une transcription, mais une activation à distance. C'est en réalité impraticable, dès lors qu'il est impossible de savoir a priori si l'appareil se trouvera dans tel ou tel autre lieu ; cela réduirait à néant ces techniques d'enquête.

Avis défavorable sur l'amendement n° 95, dont l'adoption aurait pour effet de supprimer l'interdiction d'activer à distance la ligne d'un avocat.

L'amendement n° 232 et l'amendement n° 279 visent à interdire les TSE aux fins de captation d'images ou de son lorsque l'appareil est utilisé par une personne résidant ou exerçant habituellement son activité professionnelle dans les lieux protégés.

Ces amendements vont bien au-delà des garanties qui sont déjà prévues par le projet de loi : il est proposé d'interdire l'activation à distance d'un appareil aux fins de captation lorsqu'il est utilisé par une personne résidant ou exerçant habituellement son activité professionnelle dans un cabinet médical, une entreprise de presse, une étude notariale ou d'huissier, une juridiction ou un cabinet d'avocats.

La disposition prévue me paraît excessive, puisqu'elle aurait pour conséquence l'interdiction de la captation à distance du téléphone d'une secrétaire, qu'elle travaille dans un cabinet médical ou d'avocats, auprès d'un clerc de notaire ou d'un agent de sécurité d'un tribunal ou en tant que secrétaire juridique. Pourquoi une secrétaire devrait-elle être particulièrement protégée lorsqu'elle se trouve hors du lieu où elle travaille ? C'est la véritable question.

Cette extension considérable du champ des personnes bénéficiant d'un statut protégé en vertu du code de procédure pénale est en contradiction avec le dispositif des TSE. Avis défavorable sur ces deux amendements.

Avis également défavorable sur le sous-amendement n° 284, qui vise àinterdire le recours aux TSE aux fins de captation d'images ou de son lorsque l'appareil est utilisé par un organe de presse ou par un journaliste.

Le présent projet de loi préserve la liberté de la presse. Il est ainsi interdit, à peine de nullité, de procéder à la retranscription en procédure des éléments provenant d'un appareil se trouvant dans certains lieux sensibles et protégés, ce qui inclut les locaux d'une entreprise de presse et le domicile d'un journaliste.

Il est également interdit de procéder à la retranscription des correspondances permettant d'identifier les sources d'un journaliste. Nous avons modifié spécialement en ce sens l'article 706-96-1 du code de procédure pénale, relatif aux opérations de captation.

Ce sous-amendement va bien au-delà : il prévoit d'interdire l'activation à distance d'un appareil lorsque celui-ci est possédé par un journaliste. Or il n'y a pas lieu d'interdire ces TSE, y compris en dehors de l'exercice de l'activité professionnelle du journaliste.

Je suis donc défavorable à l'ensemble des amendements et sous-amendements en discussion commune.

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