Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme chaque année, nous finissons par évoquer la question de l'ouverture du mécénat aux sociétés publiques locales (SPL) culturelles.
Nous poursuivons ainsi la tradition – la série, devrais-je plutôt dire –, après les saisons 2019, 2020, 2021 et 2022, marquées par le dépôt d'amendements à des projets de loi de finances ou dans le cadre de lois relatives aux collectivités territoriales, par exemple la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dite 3DS.
L'ouverture du mécénat aux SPL culturelles est donc devenue un cheval de bataille sénatorial. Constante dans ses votes, notre assemblée a toujours soutenu, à l'unanimité, cette mesure. À certains moments, nous n'étions pas loin qu'elle devienne réalité, mais les compromis issus des commissions mixtes paritaires lui ont été systématiquement défavorables, charriant regrets et déceptions.
C'est pourquoi, en cette saison 2023, nous avons décidé d'innover et de « taper plus fort », afin d'inverser le cours de cette histoire. Ainsi, c'est par le biais d'une proposition de loi, et non plus par voie d'amendement, que nous voulons permettre aux SPL culturelles de bénéficier du mécénat.
J'utilise à dessein le pronom « nous », car il faut souligner qu'il s'agit d'une initiative transpartisane, traduisant fidèlement l'esprit de concorde qui unit le Sénat sur ce sujet. Les temps de concorde étant actuellement rares, savourons-les. J'espère que le Gouvernement, faisant preuve de la sagesse qui le caractérise, s'y joindra avec entrain.
En cette occasion, je salue et associe pleinement mes collègues Julien Bargeton, Hervé Marseille et Antoine Lefèvre, co-auteurs de cette proposition de loi et partenaires précieux dans ce combat en faveur des collectivités territoriales et de la décentralisation.
En effet, cette proposition de loi vise avant tout à développer la culture et l'attractivité des territoires, en revenant sur une inégalité de traitement flagrante entre l'État et les collectivités. Rappelons que, à la lecture de l'article 238 bis du code général des impôts, l'État, « [seul] ou conjointement avec une ou plusieurs collectivités territoriales », peut recourir au mécénat afin de financer des projets culturels. L'État et les collectivités territoriales peuvent donc s'associer et faire appel au mécénat pour mettre en place de tels projets.
La proposition de loi consacre ainsi cette logique d'association, vertueuse et si caractéristique de l'exercice de la compétence culturelle partagée, en l'appliquant aux collectivités territoriales qui s'unissent et qui désirent recourir au mécénat en vue de la réalisation d'un projet culturel.
En d'autres termes, il ne s'agit nullement de créer un dispositif ad hoc, dérogatoire au droit commun et spécifique aux collectivités, il s'agit bien plutôt de leur permettre ce que l'État s'autorise. En ce sens, ce texte répare une inégalité – d'aucuns diraient même une injustice.
Objectivement, quel argument pourrait justifier cette rupture d'égalité entre l'État et les collectivités, alors même que le périmètre du mécénat, ainsi que les finalités visées sont strictement identiques ?
Est-ce à dire que les collectivités territoriales seraient moins légitimes à s'associer entre elles pour développer des projets culturels via le mécénat ?
Est-ce à dire que les collectivités territoriales seraient moins garantes de l'intérêt général ?
Est-ce à dire que les collectivités territoriales seraient moins précautionneuses quant aux conditions de recours au mécénat ?
Je ne le crois absolument pas et, comme vous vous en doutez, monsieur le ministre, le Sénat ne pourrait que s'inscrire en faux devant une telle défiance. En effet, il ne s'agit que de confiance. Le Gouvernement est-il enfin prêt à faire confiance aux collectivités regroupées sous forme de SPL qui voudraient déployer une ambition culturelle sur leur territoire ?
Quand il est question de décentralisation, souvent sont invoqués un big bang territorial, un acte III, y compris d'ailleurs au sein du Gouvernement, mais la décentralisation peut aussi être approfondie par la méthode des petits pas, chère à Robert Schuman et Jean Monnet. Ce texte est un tout petit pas décentralisateur.
Si vous n'êtes pas décidé à y consentir, monsieur le ministre, comment pourrions-nous croire en la détermination réelle du Gouvernement de « mener ensemble une nouvelle étape pour une vraie décentralisation » ? Saisissez donc cette proposition de loi comme un moyen de prouver en actes la confiance que vous revendiquez d'accorder aux collectivités.
Par ailleurs, j'ai entendu les questionnements juridiques que pouvait faire naître ce texte. J'aimerais y apporter plusieurs réponses.
Premièrement, en vertu de l'article L. 1531-1 du code général des collectivités territoriales, les seuls actionnaires des SPL sont les collectivités territoriales. Cet actionnariat public permet aux collectivités d'œuvrer en commun pour mener des actions d'intérêt général. Mutualisation, souplesse, partenariat public-public à l'échelle locale et subsidiarité effective peuvent ainsi caractériser ces entreprises publiques locales (EPL).
Deuxièmement, les SPL ne peuvent pas créer de filiale et se contentent d'agir pour le compte de leurs collectivités actionnaires.
Troisièmement, en aval, les SPL font l'objet de contrôles multiples et renforcés. S'il était besoin de rassurer, nous pourrions même affirmer qu'elles sont les structures les plus contrôlées ! Elles le sont par les collectivités actionnaires, par les chambres régionales des comptes, par les commissaires aux comptes. Elles sont en outre soumises au contrôle de légalité, ce qui permet à l'État de s'assurer de la conformité des actes pris par les SPL. En d'autres termes, les SPL sont considérablement contrôlées, tant en interne qu'en externe, ce qui apporte de nombreuses garanties.
Quatrièmement, la loi 3DS et ses décrets d'application ont affermi les règles en matière de déontologie, de transparence et de prévention des conflits d'intérêts applicables aux EPL.
Cinquièmement, grâce au rapporteur que je souhaite vivement remercier, ce texte est encore plus sécurisé, puisqu'il est désormais prévu que le conseil d'administration ou le conseil de surveillance statue sur l'acceptation des dons consentis aux SPL au titre de leurs activités culturelles ou patrimoniales, par analogie au régime qui prévaut pour les dons et legs faits aux communes. Par conséquent, l'édifice visant à prévenir les conflits d'intérêts est consolidé, pour ne pas dire parachevé.
Du point de vue budgétaire, des réticences ont été exprimées. Soyons précis : nous parlons d'une dépense fiscale estimée à 1, 7 million d'euros par an, laquelle ne prend aucunement en compte les retombées fiscales et économiques indirectes qu'elle génère : augmentation des recettes de la TVA et des taxes de séjour, ainsi que de l'emploi et de l'activité économique dans les territoires concernés.
Lors des auditions que j'ai menées, tous mes interlocuteurs, du MuséoParc Alésia au Palais des papes d'Avignon, ont insisté sur cet aspect : la culture sert de levier pour renforcer l'attractivité touristique et économique des territoires. L'ouverture du mécénat aux SPL élargirait la palette aux mains des collectivités pour dynamiser leur territoire. Les incertitudes étant aujourd'hui nombreuses, il devient fondamental d'octroyer un maximum de moyens aux collectivités, tout en les laissant libres d'y recourir.
C'est pourquoi je ne pourrai pas comprendre un quelconque dogmatisme qui s'arrêterait à l'évidence, considérant qu'il s'agit d'une dépense fiscale. Oui, et alors ? A-t-elle une incidence positive sur l'activité ? Oui ! Rapporte-t-elle aux collectivités, ainsi qu'à l'État ? Oui ! La dépense fiscale n'est pas mauvaise en soi, si elle est un investissement, ce qui est le cas.
J'ajoute qu'une évaluation du dispositif sera toujours possible – elle sera même souhaitable et bénéfique –, afin de mesurer ses effets aussi bien sur les finances publiques que sur l'activité économique, les collectivités territoriales et les secteurs culturel et touristique.
Enfin, cette proposition de loi est évidemment un soutien à la culture, qui a été mise à rude épreuve pendant la crise sanitaire. Je n'en ferai pas l'historique, mais, vous le savez, madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la culture fait partie des secteurs qui ont été les plus fragilisés durant cette période. La reprise reste lente, timide, et la relance n'est pas définitivement stabilisée.
Parallèlement, d'autres inquiétudes ont émergé eu égard à la dégradation très nette de l'environnement global. Je pense au renchérissement du coût de l'énergie, mais pas seulement.
Pour le dire clairement, les arts et la culture sont fragilisés : perpétuelles variables d'ajustement dans les discussions budgétaires, terrain de prédilection du résurgent combat idéologique et civilisationnel, comme on le voit aujourd'hui. Il faudra probablement ouvrir une réflexion pour rendre la compétence culture obligatoire et rénover la matrice de nos politiques publiques culturelles. En tout cas, il est une certitude : il faut protéger la culture, tout de suite et maintenant.
Cette proposition de loi apporte ainsi son modeste écot à cet objectif. Elle fait partie d'une politique plus large de sauvegarde, de développement et de valorisation de la vie culturelle de nos territoires. Répondant à la fois à un besoin et à un désir de mécénat de proximité, elle conduirait également les collectivités à amplifier leur politique culturelle, le recours au mécénat n'étant ouvert aux SPL que si leur activité principale est de nature culturelle.
Élan décentralisateur, rigueur juridique, en particulier dans le contrôle, dépense faible par rapport au retour sur investissement, instrument au service d'une ambition et d'une vision culturelle du territoire, les raisons sont multiples et variées de soutenir cette initiative.
Connaissant l'attachement du Sénat à cette mesure, je ne doute pas de son soutien plein et entier ; en revanche, j'espère sincèrement que le Gouvernement s'y montrera favorable et qu'il enverra ainsi un signal positif à la fois aux collectivités territoriales et au monde culturel. §