Intervention de Guy Benarroche

Réunion du 13 juin 2023 à 14h30
Orientation et programmation du ministère de la justice 2023-2027 – ouverture modernisation et responsabilité du corps judiciaire — Vote sur l'ensemble

Photo de Guy BenarrocheGuy Benarroche :

Le constat est partagé : magistrats épuisés, greffiers en sous-effectif permanent, délais trop importants ou incompréhensibles, avec pour corollaire des détentions provisoires bien trop longues. L’urgence est bien là et le ministère agit.

Le budget est en hausse et nous soutiendrons cette ambition nouvelle lors de l’examen du prochain projet de loi de finances. Mais nous nous interrogeons sur sa répartition et sur son affectation. Nous regrettons l’absence de volonté pour organiser différemment les choses et tout particulièrement la trajectoire annoncée – et amplifiée par le Sénat – du « tout carcéral ».

Pour les rapporteures, « la solution passe par la construction de places et il faut aller vite. Nous sommes donc favorables à ce que les peines soient exécutées dans de bonnes conditions, grâce à un nombre suffisant de places. » Cela concerne donc toutes les peines, pour des durées de plus en plus longues.

Et le garde des sceaux d’ajouter : « Le seul levier dont nous disposons aujourd’hui, selon moi, pour faire cesser la surpopulation carcérale, consiste à construire de nouveaux établissements pénitentiaires. »

Nous sommes en désaccord profond avec cette manière de gérer la surpopulation carcérale. Construire des prisons ne peut pas être l’unique solution au problème de la surpopulation et des conditions de détention indignes, pour lesquelles notre pays est si souvent et si lourdement condamné par la Cour européenne des droits de l’homme.

Je rappelle que la France a été condamnée tant en raison d’une surpopulation carcérale structurelle que pour l’absence de recours effectif permettant à un détenu de faire cesser des conditions de détention qu’un tribunal jugerait indignes.

Les États généraux de la justice avaient proposé qu’un seuil de « suroccupation majeure » soit fixé pour chaque établissement, au-delà duquel seraient envisagées des mesures de régulation. Mais cette régulation est la grande absente de ce texte. Le garde des sceaux a indiqué que des solutions étaient déjà mises en œuvre au cas par cas, mais nous regrettons l’absence d’expérimentation officielle permettant une évaluation plus objective.

Certes, M. le garde des sceaux a évoqué les leviers, autres que l’incarcération, qui permettraient de limiter le nombre d’entrées en prison. C’est ce que nous n’avons de cesse de proposer ! Bâtissons ensemble ces politiques alternatives à la prison, plutôt que de continuer à bâtir des prisons et à les remplir.

Je le redis : une société avec moins de détenus n’est pas moins disante ou moins sécurisante, bien au contraire. J’attends que votre ministère le dise et le traduise dans ce projet d’orientation. L’activité des services pénitentiaires d’insertion et de probation (Spip), les travaux d’intérêt général auxquels le garde des sceaux est si attaché et les expérimentations montrent que le coût et l’efficacité de ces alternatives plaident en leur faveur.

Voir dans la prison la seule punition possible, considérer la détention provisoire comme une option usuelle et non plus comme une exception et développer les comparutions immédiates conduit à remplir toujours plus les prisons. La société n’en est pas plus sûre ; les détenus et les condamnés ne sont ni mieux punis ni mieux réinsérés.

Le recrutement de personnel pénitentiaire contractuel nous inquiète tout autant : moins bien formés, ces agents constituent une réponse dégradée aux problèmes. La fonction publique s’ubérise, conséquence inéluctable d’années de politiques au rabais.

De tels sucres rapides sont parfois nécessaires. Nous saluons la volonté de faire sortir de la précarité les assistants de magistrats, mais n’oublions pas qu’il s’agit aussi des conséquences d’une politique de recrutement défaillante de magistrats depuis de nombreuses années.

Les recrutements prévus sont positifs, tout comme la création d’une équipe autour du magistrat. Tant mieux si les solutions proposées permettent de gérer la pénurie, mais les mesures structurelles qui les accompagnent sont insuffisantes.

L’ouverture de l’accès à la magistrature est l’un des aspects essentiels d’une politique de justice efficace et au service des citoyens. Nous saluons la diversification des voies de recrutement, grâce notamment à l’adoption d’un amendement de notre groupe qui facilite l’accès au concours professionnel pour les docteurs en droit.

En revanche, nous regrettons l’adoption d’un amendement qui semble vouloir remettre en cause la liberté syndicale des magistrats.

La visioconférence ne peut pas être la règle. Comment un médecin pourrait-il évaluer les conditions d’une garde à vue par visio ? Comment un interprétariat à distance pourrait-il ne pas gêner le bon déroulé des auditions ? Pourquoi étendre à ce point les possibilités de perquisition de nuit ? Comment ne pas voir que les vidéo-audiences éloignent le justiciable et le citoyen des lieux de justice ?

Nous avons aussi exprimé nos inquiétudes sur l’activation à distance des micros et des caméras des portables et autres appareils connectés.

Ces textes sont l’occasion d’une nouvelle course à l’échalote technologique, sans évaluation des bénéfices. Les caméras individuelles dans les prisons en constituent un autre exemple. Sans garantie de continuité d’enregistrement ou d’accès à ces vidéos pour l’ensemble des parties, il s’agit plus d’un effet d’annonce que d’une réelle amélioration.

Notre groupe salue donc l’effort budgétaire, mais celui-ci n’est pas salvateur en soi. La justice n’en est pas réparée pour autant : recrutements non pérennes, maintien d’une politique du « tout carcéral » avec la poursuite de la construction de prisons, amoindrissement des prérogatives du juge des libertés et de la détention, etc.

Ces dernières années, des missions de plus en plus nombreuses ont été confiées à ce juge spécialisé et indépendant. Pourtant, ce projet de loi le dessaisit de son cœur de métier : cela n’est ni tolérable ni cohérent.

Ces deux projets de loi comportent des mesures positives, même si elles ne vont pas assez loin. Le garde des sceaux n’a pas pu transformer l’essai ni marquer ses textes d’une vision globale autre qu’une politique immobilière carcérale. Il s’agit pourtant d’une loi d’orientation : elle aurait dû le permettre, en développant par exemple les compétences des Spip.

Il n’est pas trop tard, monsieur le garde des sceaux. Les lignes rouges franchies dans ce texte sont trop importantes. La captation à distance de sons et d’images à partir d’objets connectés tels que les téléphones et les ordinateurs est une atteinte bien trop grave aux libertés. La suspicion sur la qualité du travail des magistrats syndicalisés est tout aussi inacceptable.

L’examen du texte à l’Assemblée nationale peut permettre de réelles avancées contre cette dérive de surveillance et de contrôle. Nous regrettons d’autant plus la possibilité bien trop large laissée à l’utilisation de certains outils que nous vous avions alerté sur le sujet. L’interpellation par la police antiterroriste de militants, à la suite d’actions menées dans une usine Lafarge de mon département des Bouches-du-Rhône, a bien montré le risque de dérive.

Pour toutes ces raisons, nous voterons contre le projet de loi d’orientation et de programmation, mais pas contre le projet de loi organique.

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