Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous devons prendre position sur deux projets de loi primordiaux pour la justice française. La semaine dernière, en séance, les débats ont été riches et parfois clivants ; ils nous conduisent à porter aujourd’hui un regard nuancé sur ces deux projets de loi.
Commençons par les aspects que nous considérons comme positifs.
En ce qui concerne le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice, le groupe CRCE ne peut que soutenir les objectifs affichés du texte, à savoir ceux d’une justice plus rapide, plus claire, en somme d’une justice moderne. Le recrutement prévu de 1 500 magistrats et 1 500 greffiers d’ici à 2027 est une réponse apportée par le Gouvernement aux importantes lacunes d’effectifs.
En ce qui concerne le projet de loi organique relatif à l’ouverture, la modernisation et la responsabilité du corps judiciaire, nous soutenons bien évidemment l’ouverture du corps judiciaire sur l’extérieur, la modernisation de l’institution judiciaire, tant dans sa structuration que dans son fonctionnement, et la protection des magistrats dans le cadre de leur exercice professionnel.
Aussi, nous nous réjouissons de l’adoption de quatre de nos amendements au projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice, qu’ils visent l’allongement du délai pour contester une mise en examen et une mise sous statut de témoin assisté, l’extension de la compétence des pôles cold case du tribunal judiciaire de Nanterre ou encore une meilleure prise en compte de l’expérience professionnelle acquise dans un État membre de l’Union européenne pour accéder à la profession d’avocat. Nous considérons donc que, comme d’autres dans cet hémicycle, nous avons apporté notre pierre à l’édifice.
Toutefois, des réserves demeurent.
Dans la mesure où le projet de loi prévoit la géolocalisation en temps réel et l’activation de micros et de caméras pour capter le son et l’image dans le cadre des affaires de terrorisme, de délinquance et de crime organisé, nous considérons qu’il accentue une surenchère sécuritaire qui est déjà mal reçue par nos concitoyens – vous le savez, monsieur le garde des sceaux, et nous en avons débattu. Un recours à de tels usages est disproportionné et nous souhaitons que la procédure pénale respecte les droits de la défense.
Nous voulons rappeler que, au stade de l’enquête, le mis en cause demeure présumé innocent et il convient également de souligner que le principe de loyauté de la preuve régit l’enquête et s’impose à tout agent de police. Le groupe CRCE dénonce une disposition qui n’est nullement conforme à un tel impératif et qui envoie un signal particulièrement inquiétant à tous les justiciables.
Une telle intrusion dans la vie privée n’est pas suffisamment entourée de garanties, et cela même si le recours à la géolocalisation est prévu uniquement dans le cadre d’infractions punies d’au moins dix ans d’emprisonnement.
Nous nous inquiétons de ce que nous pourrions qualifier d’« effet cliquet ». Une fois rendues acceptables pour le terrorisme, ces pratiques de surveillance seront-elles étendues progressivement à des infractions de droit commun ? C’est un risque que nous ne voulons pas négliger et nous regrettons que, par ce type de disposition, le Gouvernement cherche à mettre en place une surveillance généralisée.
Bien que nous ayons porté la proposition de loi de Mme Éliane Assassi visant à mettre fin à la surpopulation carcérale par le biais d’amendements, nous n’avons pas été entendus.
Mes chers collègues, ne faisons pas l’autruche, la sonnette d’alarme a été tirée et la surpopulation carcérale atteint un niveau record : plus de 73 000 détenus pour à peine plus de 60 000 places. Nous considérons que la construction de nouvelles places de prison n’est pas une réponse suffisante. Après l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 30 janvier 2020, une énième condamnation de la France pour conditions indignes de détention semble inévitable.
Encore une fois, le statu quo l’emporte sur l’humanité. Or on ne peut pas accepter le discours selon lequel aucune solution ne peut être envisagée ni rendue possible sauf à favoriser le populisme dans notre pays.
Est-il vraiment nécessaire de rappeler que le respect des droits fondamentaux de tous ne doit jamais être une option et que l’emprisonnement demeure un facteur de récidive ?
Il est plus que temps d’enclencher une réflexion sérieuse sur notre système carcéral. Un mécanisme de régulation carcérale, aussi contraignant soit-il, doit s’inscrire dans une réflexion globale sur la nécessité d’engager une politique carcérale réductionniste en France. Comme le souligne la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté dans son dernier rapport d’activité, l’inertie doit cesser. La lutte contre la surpopulation carcérale doit devenir une politique publique dotée de moyens propres et durables.
Enfin, concernant le projet de loi organique relatif à l’ouverture, la modernisation et la responsabilité du corps judiciaire, nous considérons que l’amendement adopté à son article 1er est préoccupant pour la liberté syndicale de la magistrature. Le groupe CRCE considère que conditionner la liberté syndicale, corollaire de la liberté d’expression et de la liberté d’opinion, au principe d’impartialité revient ni plus ni moins à la neutraliser.
D’ailleurs, monsieur le garde des sceaux, vous ne partagez pas cette volonté, puisque vous n’avez pas été favorable à cet amendement.
Nous sommes certains que cette disposition fera l’objet d’une censure pour inconstitutionnalité, si elle est maintenue à l’issue de l’examen du texte à l’Assemblée nationale.
Les événements survenus au sein du tribunal judiciaire de Mamoudzou ne sauraient suffire à provoquer une réaction législative et encore moins un bâillonnement de nos magistrats. Nous soutenons les magistrats lorsqu’ils font valoir que l’appartenance syndicale ne saurait servir de fondement à la mise en cause de leur impartialité et nous nous opposons à ce qu’une telle atteinte soit inscrite dans la loi.
Le groupe CRCE considère également que l’ajout d’une charte de déontologie des magistrats de l’ordre judiciaire, telle qu’elle a été défendue dans l’hémicycle, n’est pas la bienvenue. Le recueil des obligations déontologiques des magistrats est suffisant. Ne les accablons pas d’obligations superflues et vides de sens.
Pour toutes ces raisons, le groupe CRCE s’abstiendra sur les deux textes. Cette abstention est empreinte de vigilance et nous suivrons avec attention les évolutions introduites à l’Assemblée nationale et l’issue des travaux de la commission mixte paritaire.