Intervention de Éric Dupond-Moretti

Réunion du 7 juin 2023 à 15h00
Orientation et programmation du ministère de la justice 2023-2027 — Article 3

Éric Dupond-Moretti :

Ces murs ont des oreilles, mais ils ont aussi une mémoire !

Souvenons-nous de la situation qui prévalait avant l’adoption de la loi Confiance. Selon la Cour de cassation, la relation entre un avocat et quelqu’un qui n’était pas placé en garde à vue ou qui n’était pas mis en examen n’était pas couverte par le secret professionnel.

Certains avocats s’étaient émus d’une telle situation et avaient mis en ligne une pétition qui avait recueilli 10 000 signatures d’avocats français, italiens, suisses ou belges. Avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons fait bouger les choses. Aujourd’hui, quelqu’un qui appelle un avocat bénéficie du secret professionnel avant même d’avoir décidé s’il choisira cet avocat pour le défendre. Nous avons ainsi considérablement renforcé le secret de la défense.

À l’époque, je n’avais pas caché vouloir aller plus loin, en mettant en place un système technique permettant de couper l’interception s’il s’agissait d’une discussion entre un avocat et son client, comme cela se pratique dans certains pays. Mais, en France, le coût d’un tel dispositif serait exorbitant.

Si l’on ne peut pas faire autrement que d’enregistrer, la police ne peut pas retranscrire les conversations.

Par ailleurs, j’examine en ce moment la question de la conservation des enregistrements. Je souhaite qu’on ne puisse pas les conserver ad vitam aeternam.

Il faut le dire et le redire, il n’y a pas de défense sans secret de la défense : ce n’est pas plus compliqué que cela ! Ce secret ne protège pas l’avocat, comme on l’entend dire parfois ; il protège le justiciable, qui racontera des choses qui ne sont pas forcément des ignominies, par exemple qu’il est cocu ou qu’il a une maîtresse ; sa vie intime est ainsi faite. Cela ne mérite-t-il pas d’être totalement protégé ? C’est aussi une question de liberté et de droit à l’intimité et à la vie privée.

Je suis évidemment sensible à vos préoccupations, qui sont aussi les miennes. Pour autant, on ne peut pas aller trop loin. Si quelqu’un est placé sous surveillance téléphonique, on ne peut pas savoir qu’il appelle un avocat avant qu’il ne l’ait effectivement fait.

Une fois qu’on a l’enregistrement, on ne peut pas le retranscrire. Mais, en l’état, il n’est pas possible d’aller plus loin. Nous avons beaucoup travaillé avec les avocats sur ces questions. Selon moi, la technologie nous apportera un certain nombre de solutions nouvelles, notamment s’agissant de la conservation des enregistrements.

Très franchement, je vois difficilement comment on pourrait deviner que le correspondant d’une personne surveillée est un avocat. C’est très compliqué, voire impossible. Les officiers de police judiciaire, en dépit de leurs grandes qualités, ne disposent pas du don de médiumnité.

C’est la raison pour laquelle, presque à regret, je suis défavorable à ces trois amendements identiques.

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