Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénatrices et les sénateurs, je me réjouis de vous retrouver aujourd'hui pour cette ultime étape d'un processus législatif qui a été symboliquement entamé le 8 mars dernier, par l'examen en première lecture de ce texte par l'Assemblée nationale, à l'occasion de la Journée internationale des droits des femmes.
Les votes unanimes dont cette navette parlementaire a été jalonnée, ainsi que le travail constructif qui a été mené en bonne entente avec le Gouvernement dans les deux assemblées, avant que les parlementaires présents en commission mixte paritaire ne s'accordent sur un texte commun, nous prouvent bien une chose : le 8 mars, mais aussi les 364 autres jours de l'année, certains sujets sauront toujours nous rassembler, malgré nos différences et nos divergences politiques.
Lorsqu'il s'agit de faire avancer les droits des femmes, malgré des sensibilités diverses, le travail parlementaire peut faire l'objet d'une coconstruction associant les deux chambres et un maximum de groupes. Je m'en réjouis et je tiens à le saluer.
Je veux aussi avoir d'emblée un mot chaleureux pour la députée Sandrine Josso, présente dans vos tribunes, qui a eu l'initiative de ce texte, mais également pour le sénateur Martin Lévrier, son rapporteur au Sénat, ainsi que pour les nombreux parlementaires qui se sont investis dans ce débat important.
En effet, le texte que vous allez – j'espère ne pas trop m'avancer en le disant – adopter définitivement dans quelques instants comporte des dispositions nécessaires, justes et équilibrées. Cette proposition de loi constitue une véritable avancée pour toutes les femmes et tous les couples confrontés à une interruption spontanée de grossesse.
Tout d'abord, ce texte a permis de lever un tabou persistant autour de ce que l'on appelle communément une « fausse couche ».
Passée sous silence, minimisée, voire trop souvent banalisée, l'interruption spontanée de grossesse est pourtant un événement qui nous concerne et nous affecte tous, que ce soit directement ou au travers de nos proches.
Ces chiffres ont été mentionnés plusieurs fois au cours de notre travail, mais il faut le rappeler une nouvelle fois, car leur ampleur est éloquente : en France une grossesse sur cinq est interrompue par une fausse couche ; on estime qu'une femme sur dix sera confrontée à cette épreuve au cours de sa vie ; enfin, c'est la première cause de consultation aux urgences gynécologiques.
Une fois ces éléments rappelés, on comprend à quel point l'interruption spontanée de grossesse, qui affecte chaque année 200 000 femmes, leur famille et leur entourage, constitue un véritable phénomène de santé publique et de société.
L'ampleur du phénomène ne doit cependant pas nous faire oublier que la fausse couche reste avant tout un drame intime, que chaque femme vit dans sa chair, de manière très différente selon son histoire de vie. En outre, ce drame touche aussi le partenaire.
C'est cet état d'esprit qui a présidé à l'élaboration de ce texte, qui n'a jamais visé à imposer des schémas préétablis ou des parcours standardisés.
Au contraire, il s'agit bien ici d'ouvrir des droits, c'est-à-dire de mettre à la disposition des femmes toutes les ressources et à tous les outils nécessaires, auxquels elles pourront librement avoir recours, et de faciliter leur accès à ces ressources.
Voilà le fil rouge de la construction de ce texte, qui visait initialement à simplement mettre en place un accompagnement psychologique adapté aux femmes subissant une interruption spontanée de grossesse.
Par un travail commun d'enrichissement du texte, comme vous l'avez dit, monsieur le rapporteur, nous sommes finalement parvenus à mettre sur pied un véritable dispositif cohérent de prise en charge et de suivi de ce traumatisme subi par trop de femmes.
Il me semble important de souligner que l'on a commencé, dans l'élaboration de ce texte, par considérer les aspects psychologiques de la fausse couche. C'est tout à fait représentatif d'un changement salutaire de mentalité dans la manière d'envisager la santé.
Je parlais de briser les tabous. Celui qui existe, de longue date, autour du bien-être et de l'équilibre psychologique est en train de s'étioler, au gré des progrès que nous faisons, qui nous amènent à considérer la santé selon une approche plus transversale et plus globale.
Bien sûr, les fausses couches, en elles-mêmes, emportent des risques et des conséquences physiques importants. Mais, au-delà des répercussions physiques et du nécessaire accompagnement médical, la disponibilité d'un soutien psychologique est indispensable en cas d'interruption spontanée de grossesse.
Alors que la parole se libère, les témoignages de femmes nous prouvent combien l'arrêt brutal d'une grossesse et d'un projet de maternité est un choc d'une grande violence. Il ne faut pas en sous-estimer les conséquences : le stress post-traumatique, l'anxiété, l'angoisse, ou encore la dépression peuvent perdurer ou se manifester parfois des mois, voire des années après l'événement.
On entend des questions et des remises en question ; ce drame est parfois même accompagné d'un sentiment de culpabilité.
Il y a enfin le deuil, ce deuil périnatal si particulier, dont les femmes parlent mieux que moi quand elles décrivent leur « souffrance transparente aux yeux de la société », ou encore ce « deuil impossible », souvent solitaire et sans rituel.
Je suis convaincu que le texte dont l'examen s'achève aujourd'hui nous permet de prendre en compte ces différents aspects et de faire figurer dans la loi tous les outils nécessaires pour accompagner celles et ceux qui font face à la double perte que sont la perte physique de l'embryon ou du fœtus et la perte symbolique de l'enfant à naître et du projet de parentalité.
En premier lieu, pour garantir à chacune de ces femmes l'accessibilité de cet indispensable accompagnement psychologique, les sages-femmes seront désormais habilitées à adresser leurs patientes vers les séances d'accompagnement psychologique offertes dans le cadre du dispositif MonParcoursPsy, dans tout type de situation liée à la grossesse.
Je tiens à souligner le caractère inédit de ce dispositif qui permet, je le rappelle, la prise en charge intégrale et sans avance de frais de huit séances chez un psychologue agréé. C'est une mesure qui a déjà prouvé toute son efficacité, en offrant rapidement une première réponse tout en permettant une orientation vers des soins plus spécialisés en cas d'indicateurs de gravité. Notons d'ailleurs que 71 % des plus de 131 000 patients qui en ont bénéficié depuis sa mise en place sont des femmes.
Dans le cas d'une fausse couche, le ou la partenaire de la patiente pourra également faire l'objet d'un adressage par la sage-femme. Je tiens à souligner que cette prise en compte du conjoint est un apport parlementaire, qui est tout à fait légitime et bienvenu, car il permet de reconnaître autant la souffrance propre du partenaire que son rôle de soutien auprès de sa compagne.
Cette nouvelle mission confiée aux sages-femmes représente aussi une valorisation et une reconnaissance importante de leur engagement auprès de leurs patientes, alors que nous allons justement accompagner leur montée en compétence par une réingénierie de leur formation, qui sera effective dès la rentrée 2024.
Dans la lignée de la loi du 19 mai 2023 portant amélioration de l'accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé, dite « loi Rist », et de la proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels, dite « proposition de loi Valletoux », j'envisage cette disposition comme une brique supplémentaire apportée aux chantiers du décloisonnement des parcours de soins et de la modernisation de notre système de santé.
Aussi, en second lieu, c'est justement dans cette logique de parcours de soins adaptés aux besoins de chacune que s'inscrira cette prise en charge psychologique.
En effet, grâce à ce texte, des parcours spécifiquement dédiés aux femmes victimes d'une fausse couche seront mis en place, à partir du 1er septembre 2024, dans tous les territoires, sous l'égide des ARS. Ces parcours associeront tous les professionnels médicaux, hospitaliers comme libéraux, ainsi, bien sûr, que les psychologues, dans le cadre d'une approche complémentaire et pluriprofessionnelle, pour accompagner au mieux chaque situation tout en développant la formation des soignants et en améliorant l'accès à l'information et à la prévention à destination des couples.
Finalement, alors que nous répondons aux enjeux de la prise en charge clinique et psychologique des fausses couches, il reste encore une autre conséquence à laquelle il est urgent de s'attaquer.
En plus du traumatisme physique et mental, la fausse couche fait aussi supporter un coût financier aux femmes, dans les cas où elles doivent arrêter de travailler. Je refuse cette triple peine !
Nous tenons donc une promesse de campagne du Président de la République, comme la Première ministre a eu l'occasion de l'annoncer le 1er mars 2023, en supprimant les jours de carence en cas de fausse couche, et ce pour l'ensemble des assurées.
La présente proposition de loi vient concrétiser cet engagement, qui sera effectif dès que possible, au plus tard le 1er janvier de l'année prochaine.
Cette levée de la carence est une excellente nouvelle et une avancée concrète, dont nous pouvons tous être fiers. C'est aussi une solution qui permet de prendre en compte la diversité des situations des femmes confrontées à ce phénomène, tout en leur permettant de préserver la confidentialité du secret médical.
Je tiens à saluer ici l'ajout à ce texte de l'article 1er C, issu d'un amendement sénatorial, qui instaure une protection contre le licenciement au bénéfice des femmes confrontées à une interruption spontanée de grossesse dite « tardive », ce qui s'inscrit dans la lutte contre les risques de discrimination professionnelle.
Mesdames, messieurs les sénatrices et les sénateurs, j'ai toujours assumé de le dire : notre système de santé ne s'adapte pas assez vite aux spécificités des femmes, qui ont trop longtemps été marginalisées dans la prise en charge clinique comme dans la recherche.
Depuis mon arrivée au ministère, j'ai fait de la lutte contre les inégalités de santé ma priorité ; je pense, en l'espèce, aux inégalités entre femmes et hommes.
Les mesures que nous avons élaborées ensemble, en bonne intelligence, s'inscrivent dans une lignée d'avancées prises en faveur de la santé des femmes, pour mieux garantir leurs droits reproductifs, améliorer leur prise en charge spécifique, ou encore renforcer le dépistage et la prévention.
Je pense, par exemple, à la prise en charge à 100 %, pour toutes les femmes, de la contraception d'urgence, à la gratuité des protections hygiéniques, ou encore à la grande campagne de vaccination des filles et des garçons contre le papillomavirus, qui débutera à la rentrée prochaine dans tous les collèges et nous permettra d'envisager la possible éradication du cancer du col de l'utérus.
Le Parlement tient en la matière un rôle central. Je pense ici à certaines grandes lois, telles que la loi Neuwirth de 1967 autorisant la contraception, la loi Veil dépénalisant l'IVG en 1975, ou encore, plus récemment, la dernière loi de bioéthique autorisant la procréation médicalement assistée (PMA) pour toutes les femmes.
Si je convoque ici ces grands textes, c'est parce que toute loi participant à combler les inégalités entre femmes et hommes, toute loi participant à améliorer la santé des femmes, toute loi permettant de leur redonner un peu plus la main sur leur corps et leur vécu est, à mon sens, une grande loi. Le texte que vous allez adopter aujourd'hui participe, à sa manière, de ce grand combat.